Transcription
Mon père m’a dit de ne jamais accepter de promotion. Il m’a dit, reste à terre et tu resteras en vie. Il me le répétait.
Je faisais partie du peloton de reconnaissance, où nous faisions constamment du repérage avant l’arrivée du régiment au bénéfice des compagnies qui nous succédaient. Vous repérez l’ennemi, vous l’identifiez et vous devez essayer de déterminer la force qu’il détient, puis vous photographiez tout, parce qu’il y a toutes sortes de puissance de feu, puis vous rebroussez chemin et racontez à vos commandants ce que vous avez vu et ce à quoi ils peuvent s’attendre.
Nous sommes allés à des enterrements et nous savions que des hommes avaient été abattus et que nous pouvions essayer de récupérer leur dépouille. L’un de mes meilleurs amis était notre aumônier. L’aumônier East était un homme fantastique qui voyageait avec nous tout le temps. Bien souvent, si nous partions à la recherche de soldats décédés au combat, il nous accompagnait pour leur offrir un service funéraire sur le terrain. Parce que la plupart du temps, nous ne pouvions pas les ramener.
Aussi, il fallait compter sur son compagnon. Si vous dormiez, il restait éveillé; il y avait toujours quelqu’un qui veillait pour assurer la garde, où que vous soyez. Nous devions suivre une routine. Nous travaillions pendant deux ou quatre heures, puis nous dormions. Vous vous en remettez entièrement à la personne qui assure votre garde. Vous ne pouviez pas laisser un front sans surveillance. Il fallait qu’une personne veille sur vous en tout temps. On ne peut pas se préparer à l’imprévu, tu ne peux jamais savoir ce qui va arriver, donc tu restes vigilant. Je n’ai jamais été autant sur le qui-vive de toute ma vie, mais qu’importe, il fallait juste composer avec cette réalité.
L’un de mes meilleurs amis a été retiré. Il a perdu le contrôle et on a dû le retirer du service et le renvoyer en Angleterre. Mais il n’est pas le seul, il y en a eu des milliers comme ça. Mais à Ortona [Italie], une ville a été très durement frappée. Après l’avoir conquise, nous avons dû y retourner, c’était notre zone de repos et ils la bombardaient en tout le temps. Le dimanche de Pâques [1944], nous avons tenu une grande parade à l’église parce que nous n’étions pas en service, et les Allemands nous ont poivré de tirs d’artillerie. Notre corps de cornemuses a perdu la moitié de ses membres, des tirs d’obus nous ont frappés et l’église dans laquelle nous tenions cette grande célébration a aussi été frappée. J’avais la chance d’être catholique, donc nous sommes allés dans une autre église. Mais nous avons perdu beaucoup d’hommes ce jour-là quand ils nous ont bombardés.
On ne peut pas se préparer aux tirs d’obus; on ne sait pas quand ils frappent, d’où ils proviennent ni s’ils vous atteindront ou non. Vous ne pouvez que réaliser que c’est ce qui se passe, j’ai beaucoup prié. J’étais très nerveux.
J’avais avec moi deux amis des environs de Gravenhurst [Ontario] et nous avons tous vécu la guerre ensemble. Nous sommes restés ensemble, comme une bande d’amis, nous avons fait des patrouilles ensemble et tout le reste; c’était un sentiment fantastique d’avoir des amis qui viennent de ma ville natale. Nous étions plutôt nombreux à Gravenhurst, je pense, 11 en tout, et bon nombre d’entre eux, la plupart d’entre eux, étaient du 48th Highlanders [48th Highlanders of Canada]; c’était bien. Dans une patrouille, nous avons perdu tout notre peloton; trois d’entre nous, les trois que j’ai mentionnés, s’en sont sortis et se sont enfuis. Les autres ont tous été faits prisonniers ou tués.
Notre capitaine de peloton nous a emmenés en patrouille de combat. Nous avons été pris dans une embuscade et il a été tué exactement au moment où il dirigeait l’attaque. Le capitaine Heinington. Nous avons tous déguerpi, nous sommes tous repartis, sauf lui. Le lendemain, le colonel a dit : « Retournez là-bas, cherchez son corps et ramenez-le. » Nous sommes retournés et nous avons vraiment été pris dans une embuscade ce soir-là; 18 d’entre nous ont été faits prisonniers ou tués et, comme je l’ai dit, nous nous en sommes tous les trois sortis et nous sommes retournés au régiment. Ce fut le pire événement que nous avons vécu pendant toute la guerre.
Et puis à la fin de la guerre [mai 1945], à peu près une semaine ou deux avant, notre [lieutenant-] colonel [Donald A. Mackenzie, DSO] a été tué en Hollande [le 11 avril 1945]. J’étais tout près de lui, il était dans une jeep et un tir de canon 88 [l’artillerie antiaérienne et antichar allemande de 88 mm] les a frappés et tués lui et son ordonnance. Mais ce sont de tristes exemples de ce qui s’est passé. La ligne Hitler [une ligne défensive allemande] en Italie [dans le centre], comme je l’ai dit, est notre travail le plus célèbre. L’une de nos patrouilles a réussi à franchir la ligne Hitler et à ouvrir la voie pour que nos autres régiments puissent la traverser. Rome est tombé très peu de temps après [le 5 juin 1944] et nous étions au sommet de la colline qui surplombe Rome. Ils ne voulaient pas nous laisser entrer, les Américains ont été autorisés à entrer. C’était très frustrant. Nous avons dû nous contenter de nous asseoir et de les regarder passer devant nous, dans leurs plus beaux uniformes, alors que nous étions vêtus de notre tenue de combat. Nous avons donc dû rester là et attendre deux jours.
En fait, cela a changé toute ma vision de la vie. Je m’attendais à travailler dans une petite usine ici à Gravenhurst et à finir par pouvoir acquérir une maison, et tout, et probablement me marier. Tout ce beau rêve est parti en fumée à mon retour. La ville n’était plus du tout la même. Vous ne vous sentez plus bien à la maison. Rien n’est plus pareil. Les membres de ma famille avaient grandi et tout, et, comment dire, mes frères et sœurs, ma mère et mon père, vous constatez qu’il y a une distance entre vous qui n’existait pas auparavant. C’est fou de dire cela, mais d’autres aussi l’ont dit, tout ce que vous pouvez trouver, c’est la Légion [la Légion royale canadienne, une organisation d’anciens combattants] parce que c’est avec ces hommes que vous étiez, parce qu’ils savent comment vous vous êtes sentis et parce que vous savez que vous pouvez leur parler.