Project Mémoire

Jean-Gabriel Castel

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Jean-Gabriel Castel
Jean-Gabriel Castel
Membre de la Résistance française pendu par les forces de la Milice française à Nice sur l'Avenue de la Victoire (maintenant Avenue Jean-Médecin). 1943.
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Soldats américains et membres de la Résistance française dans le Var. France, 1944.
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Des Françaises aux cheveux rasés pour avoir couché avec des soldats allemands. Nice, août 1944.
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Membres de la Résistance française exécutés par la Gestapo (Police secrète allemande). Nice, 1945.
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Le général de Gaulle prononçant un discours du haut d'un balcon à Nice, août 1944.
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Il fallait faire attention à ce qu’on disait, parce que parfois même, on était dénoncé par nos parents ou les parents par les enfants, ou par nos voisins, ou par nos meilleurs amis. Il fallait faire très attention (...)

La Résistance (française) était organisée de telle manière que vous ne connaissiez qu’une personne au-dessus de vous, c’est tout. Comme je parlais couramment l’allemand et que j’avais accès au commandement allemand, puisque j’avais ma chambre juste à côté, ils ne savaient pas que je parlais allemand d’ailleurs. Donc, j’écoutais ce qu’ils disaient et puis je passais les renseignements à mon supérieur et lui les passait à son supérieur et éventuellement ça s’en allait jusqu’en Angleterre. Il suffisait d’attraper un des membres de la Résistance et puis de le torturer. Il y a des tortures où on ne peut pas résister. Donc, on nous avait distribué des pilules de cyanure dans le cas où on était pris, pour pouvoir se suicider plutôt que de parler.

On recevait des messages, vous voyez, des messages chiffrés parce qu’il y avait des gens qui venaient de Londres et qui venaient dans la montagne. On avait des endroits où on recevait des armes. Il y avait des vols, des Anglais qui venaient nous livrer des armes et des munitions parce que je travaillais dans une ferme en Savoie où la résistance avait débuté et puis dans le Vercors. Et là se trouvaient les chefs de la résistance, moi j’étais à un tout petit échelon au dernier échelon, vu mon âge. Et eux recevaient des ordres par radio avec des messages chiffrés et tout parce qu’il y avait des gens qui arrivaient de Londres qui étaient débarqués dans des Lysander (le Westland Lysander, un petit appareil de liaison britannique), des petits avions, avec des radios et puis des codes et puis c’est comme ça qu’on faisait passer les messages à Londres au général de Gaulle (Charles de Gaulle, le dirigeant de la France libre, par opposition au Régime de Vichy qui collaborait avec l’occupant allemand en France) et puis aux Anglais et eux nous envoyaient les messages.

C’est comme ça qu’au moment du fameux message c’était Les carottes sont cuites (un exemple de vers poétique utilisé par les Alliés et la Résistance française afin de diffuser des messages particuliers), ça voulait dire que vous deviez faire ceci ou cela au moment du débarquement en Normandie (le 6 juin 1944). C’est comme ça que la Résistance a été alertée pour pouvoir préparer le terrain, saboter les ponts, les chemins de fer, les lignes de chemin de fer, etc. Donc, c’est comme ça qu’on communiquait avec la Résistance, avec le général de Gaulle. Mais les chefs de la résistance, c’était d’anciens officiers de l’armée française (ayant pris le maquis suite à la défaite de juin 1940) ou autres qui eux organisaient des gens comme nous, vous voyez. Donc, vous aviez tout un échelon, mais c’était l’armée secrète si on peut dire. L’essentiel, c’était qu’on n’en sache pas trop pour que dans le cas où on était pris, avant de se faire tuer par les Allemands, on se faisait torturer pour révéler ce qu’on faisait et qui était qui et qui faisait quoi et tout ça.

Donc, ce n’était pas facile de savoir ce qui se passait. On écoutait la radio de Londres (Radio Londres, une chaîne-radio destinée aux Français en France occupée et ayant diffusé à partir des studios de la British Broadcasting Corporation). Il y avait un programme, je me souviens, Les Français parlent aux Français (une émission radiophonique diffusée quotidiennement en français du 14 juillet 1940 au 31 août 1944), et là il fallait faire très attention aussi parce que si on mettait la radio anglaise ou ce programme sur la radio et qu’on se fasse prendre ou dénoncer par un voisin, parce qu’on ne pouvait jamais savoir si le voisin n’était pas collaborateur avec les Allemands parce qu’il y avait la Milice et tout (la Milice française, une organisation paramilitaire et politique créée par le gouvernement de Vichy pour lutter contre la Résistance).

Je me souviens, en classe, il y avait les pétainistes (partisans du Régime de Vichy du maréchal Philippe Pétain) et puis les gaullistes (partisans de la France Libre du général Charles de Gaulle) on était toujours en train de se battre et tout, on aurait pu se faire dénoncer aussi et puis être arrêtés. Quand vous vivez dans un système où vous êtes constamment soupçonné d’appartenir à un groupe ou à un autre, c’est très dangereux.

Il fallait faire attention à ce qu’on disait, parce que parfois même, on était dénoncé par nos parents ou les parents par les enfants, ou par nos voisins, ou par nos meilleurs amis. Il fallait faire très attention de ne pas dire quoi que ce soit contre les Allemands de peur que... il fallait vraiment avoir confiance dans les autres. C’est pour ça que dans le recrutement de la Résistance, il y avait des traitres aussi qui prétendaient être contre les Allemands pour faire partie de la Résistance pour infiltrer et puis essayer de dénoncer les gens. C’est pour ça que je ne connaissais que la personne avec qui je devais fournir les renseignements, les armes et les choses comme ça. Des fois, quand on faisait sauter des ponts ou des choses comme ça, ou les voies de chemin de fer, on était juste deux ou trois personnes, c’est tout. Donc, on recevait les ordres et puis on les exécutait, mais on ne savait pas qui étaient les chefs, et même les supérieurs.

Il y avait beaucoup de pétainistes sincères qui pensaient que l’Allemagne allait gagner et qu’il fallait collaborer avec eux parce que sinon les Allemands se seraient vengés sur la France et auraient annexé une partie de la France. Je ne dis pas que tous les collaborateurs étaient des traitres, mais il fallait se méfier, car il y en a certains qui l’étaient. Mais il y avait surtout la Milice qui était un groupe de paramilitaires qui soutenaient les Allemands et qui étaient pro-Laval et pro-Pétain. Laval, c’était le premier ministre (« chef de gouvernement ») pendant le régime pétainiste (d’avril 1942 à août 1944).

La difficulté en France c’est que le maréchal Pétain avait été normalement élu chef de l’État au moment de la défaite (de 1940) et tout. Quand le parlement français s’était replié à Bordeaux, on lui avait donné les pleins pouvoirs. Donc, il était le pouvoir légitime en France. En France, c’était un pays où les gens à cette époque-là étaient très à cheval sur les questions d’ordre et de légitimité et de choses comme ça. Donc, l’armée avait prêté serment au maréchal Pétain, etc. Et quand de Gaulle a fait l’appel du 18 juin (l’appel du 18 juin 1940, un discours du général de Gaulle prononcé de Londres enjoignant les Français à poursuivre la lutte contre l’Allemagne nazie), cela présentait pas mal de problèmes pour l’administration française, pour l’armée française, pour ceux qui avaient prêté serment à Pétain. Avant que les Allemands (ne s’installent en France occupée), parce qu’il était le chef de l’État légitime. Ç’a été le gros problème, de désobéir au chef de l’État, de faire un parjure puisque vous aviez juré allégeance au chef de l’État. Après vous étiez un traitre aux yeux des autorités françaises, vous voyez.

Donc, la France était divisée un peu en deux au point de vue (du comportement à adopter face à l’occupant allemand). C’est ça qui a posé problème. Ce qu’il aurait dû faire Pétain*, c’est quand les Allemands ont franchi la zone de démarcation, il aurait dû donner sa démission à cette époque-là. Mais il avait fait comme il avait dit : je fais à la France le don de ma personne (citation attribuée au maréchal Pétain lors d’un discours prononcé le 17 juin 1940), etc. Il avait quand même empêché que les Allemands occupent la zone sud jusqu’en 1943 (en référence à la zone libre du sud de la France, libre de toute occupation militaire allemande jusqu’en novembre 1942). * (M. Castel fait plutôt référence au maréchal Pétain, et non au général de Gaulle.)