J’ai fait l’entraînement à Ottawa, à l’hôpital municipal d’Ottawa. J’avais toujours voulu être infirmière, aujourd’hui je ne sais pas trop pourquoi. Je ne pouvais pas entrer dans le service immédiatement, il fallait attendre, alors je travaillais dans les soins généraux ou dans les soins aux particuliers, dans les deux, jusqu’à ce que je sois prise en février 1944. Et aux alentours de Colchester [Angleterre], on était sur le chemin des bombes V1 en route pour Londres. Et on avait très peur. Et puis je me souviens très clairement d’une nuit en particulier, on était logées dans une petite maison de campagne en contrebas du camp parce qu’il n’y avait pas de place dans le camp. Et nous étions six filles dans notre maison. Cette nuit-là, il y a eu du tapage à l’extérieur, on est sorties et un des ballons de protection s’était échappé de Londres, il était en l’air, personne ne savait ce que c’était et les toutes les lumières étaient dirigées sur lui. Et on était terrifiées. On était sûres à 100% que c’était l’arme secrète de Hitler, alors bien qu’en vêtements de nuit et en bigoudis, on a filé à toute vitesse dans le camp pour aller chercher aide et protection. C’était tout à fait palpitant.
Les soins quotidiens à nos soldats, tout dépendait si on avait de nouvelles admissions ou pas, mais on travaillait en étroite collaboration avec l’équipe soignante, où les garçons de salle, les patients externes, quand ils mettent leurs « blouses » comme ils les appelaient. Et les docteurs et les infirmières faisaient tous partie de la même équipe. Et quand on avait de nouveaux patients qui étaient admis, il y avait beaucoup de travail.
Ils avaient – ça dépendait s’ils étaient très malades ou valides et ainsi de suite. Alors on les mettaient dans le lits ou les salles qui correspondaient à leurs besoins. S’ils pouvaient marcher, on leur donnait des vrais vêtements et bien-sûr, les pansements étaient très importants. Au début on n’avait pas tout les trucs nouveaux qu’on a maintenant, comme la pénicilline et, et puis les sulfamides sont arrivés, alors on mettait des sulfamides sur tous leurs pansements. Et pour les grands brûlés le plus souvent ils étaient redirigés sur un autre hôpital parce qu’ils nécessitaient des soins particuliers.
S’il y avait une alerte, je faisais une ronde et beaucoup de malades étaient sous leurs lits. C’était l’endroit le plus sûr pour eux. Vous savez, ça faisait mal au cœur aussi, de les voir tous allongés sous leurs lits. Bon évidemment, il y avait un nombre impressionnant de gens amputés. C’était dur pour les malades. Ils devaient apprendre à s’y habituer avant de pouvoir rentrer chez eux. J’ai même eu un patient qui n’avait que 17 ans et il est sur une des photos.
Certains d’entre eux qui s’étaient mariés et puis étaient venus et qui devaient maintenant repartir chez eux, je me rappelle d’eux tôt le matin, ils venaient au bureau et ils papotaient avec moi et disaient qu’ils étaient terrifiés à l’idée de rentrer parce qu’ils étaient mariés mais ils n’arrivaient même pas à se souvenir à quoi elle ressemblait. Ils s’étaient mariés à la hâte et étaient partis outre-mer pendant quatre ans et ils ne se ressentaient plus rien sur le plan tant physique qu’affectif. Mais ils avaient peur de rentrer chez eux.
Quoiqu’il en soit, ils étaient toujours heureux de rentrer au pays mais ils avaient peur avec leurs membres amputés et toutes ces choses qui leur étaient arrivées. Vous finissiez par les connaître personnellement. Vous finissiez par être très bons amis. Je ne me souviens pas d’avoir eu de la rancune envers un patient. Ils aimaient tous bien vous voir venir vous asseoir côté d’eux pour vous parler de leurs maisons, de leurs femmes et des leurs enfants. J’ai l’impression qu’ils nous regardaient comme si on était leur cousine préférée. Et il nous racontaient toutes leurs histoires. Et je ne sais pas, mais c’était vraiment très personnel.