Project Mémoire

Jean Paquet (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Les médailles de M. Jean Paquet, de gauche à droite: Médaille de Corée (avec citation à l'ordre du jour), Médaille canadienne du service volontaire en Corée, Médaille des Nations-Unies pour le service en Corée, Médaille du jubilé d'or de la reine Elizabeth II.
M. Jean Paquet (juillet 2011).
J’ai eu la chance aussi de retourner en Corée en l’an 2000. Puis ça, ça m’a bouclé la boucle. Là, j’ai compris pourquoi j’ai été là, en 1953. Parce qu’eux autres, ils ont la liberté et ils nous le disent en maudit.

Transcription

Le sergent me fait demander au bureau d’administration. Il me regarde et me dit : « Paquet! Es-tu au courant que tu t’en vas en Corée? » J’ai dit : « Non monsieur, je ne pense pas. Je ne sais pas s’il y a une erreur. Moi je ne pense pas que je m’en aille en Corée ». Il dit : « Non? » Je lui dis : « Non, je fais partie du premier bataillon et le premier bataillon ne vas pas en Corée (1er Bataillon, Royal 22e Régiment) ». Ils ont dit : « Non, mais nous autres, ce qu’on a fait, on t’a transféré dans la brigade (25e Brigade d’infanterie canadienne, la principale formation de combat du Canada pendant la Guerre de Corée) ». Tu as une semaine pour te préparer. Je te donne une passe pour une semaine avec ta famille. Lundi prochain, tu prends le train et tu t’en vas. » C’est de même qu’il m’a annoncé ça.

La Corée, la bataille, c’était tous des montagnes plus ou moins, des hauteurs. Il y avait un no man’s land (zone séparant les positions des belligérants) qui était une vallée. L’autre bord c’était des montagnes et c’était des Chinois qui étaient là. C’était l’ennemi qui était là. Moi j’étais dans une des montagnes. Je m’en rappellerais toujours, c’était tout par numéro. La 210, moi j’étais sur la 210. Il y avait la 227 et la 355. Elle, la 355, c’était la montagne la plus haute dans le secteur où les Canadiens étaient pour défendre le territoire. Celui qui avait la 355 contrôlait tout le secteur parce que c’était plus haut. De temps en temps, c’était les Américains et de temps en temps c’était les Chinois. Les Chinois faisaient un bombardement, ils prenaient la montagne. Nous autres on était impliqués dans ça. Finalement, c’est nous autres qui l’avions la plupart du temps.

Dans mon travail, on faisait beaucoup de patrouilles de reconnaissance le soir, la nuit. Toujours la nuit. En Corée, on a fait 500 quelques (patrouilles), moi je n’ai pas fait ça là. Mais le temps que j’ai été là, à chaque fois qu’un de nos groupes, de notre gang sortait, moi je sortais parce que j’étais le gars en communication avec soit le lieutenant ou le capitaine. Le capitaine ne sortait pas souvent parce que lui il était responsable. Il envoyait soit un lieutenant, ça c’est des grades-là, qui était en en charge ou un sergent ou un caporal qui était en charge de huit ou dix hommes dépendant de la sorte de patrouille qu’on faisait, soit reconnaissance, soit pour contact. Parce qu’on avait beaucoup d’informations par l’intelligence (les sections du renseignement attachées aux niveaux régimentaire, de brigade ou de division). Quand ils pensaient qu’il pouvait arriver une attaque ou n’importe quoi, alors on sortait souvent, pis ça c’était énervant ça. Vous savez, parce que là il fallait tous se barbouiller, même les carabines, tout. Mais moi je n’avais pas de carabine, j’avais juste un fusil comme un officier à cause de mon travail. Alors j’avais juste un fusil. Tout camouflé, même dans la nuit on avait de la misère à se reconnaitre l’un et l’autre.

Il fallait marcher, il fallait descendre en avant. Puis en avant on avait des champs de mines, mais on avait des passages qu’on savait. Il ne fallait pas aller là puis il ne fallait pas aller là. On descendait dans la vallée. Puis là, on pouvait observer pendant deux ou trois heures dans un endroit spécifique. S’il y avait du bruit, il fallait identifier le bruit. Ça dépend de la sorte de patrouille qu’on avait, le commandement, les ordres qu’on avait, soit de les laisser passer ou soient de leur répondre. Alors c’était touchy (délicat). Je revenais de là, il fallait revenir avant la clarté. Ça, c’était dur, j’avais trouvé ça dur. Puis j’en avais fait beaucoup. Puis la communication il ne fallait pas parler. Il fallait marcher par signaux. C’était un coup, deux coups, trois coups, juste ça. S’il fallait parler, on parlait tout bas. Mais si on avait quelque chose, un coup ça voulait dire ça, deux coups c’était ça. On était rendu à notre position. Mettons un coup, on était rendu en bas de la vallée, on avait dépassé les mines, deux coups, on était rendu à notre position et trois coups, on s’en revenait.

Quand on revenait, il fallait s’assurer d’avoir le mot de passe. À toutes les 24 heures où 48 heures il y avait un mot de passe qui se disait dans le régiment. Parce que si on sortait du champ de mines, on devenait et on pouvait être des ennemis, parce que les gars ne le savent pas, les RCR (soldats du Royal Canadian Regiment opérant dans le même secteur que ceux du Royal 22e Régiment en Corée), les voisins. Alors on avait un mot de passe. Mettons, une journée, on avait un mot de passe, on disait thé, il fallait répondre café. Ça, ça veut dire que c’est un gars de notre gang qui s’en vient. Pis on avait des fois des drôles de… (situations). Je vais vous conter quelque chose. Nos mots de passe, les gars riaient de ça. De temps en temps, quand on n’était pas sûr : « Hey! Tabernacle! C’est nous autres! » « Ah! C’est les gars du 22 (Royal 22e Régiment), c’est correct! »

Je suis plus proche d’eux autres que de mes frères, parce que mes frères je les aime bien, mais ça là, c’est bien important pour moi. La Légion (Légion Royale canadienne, une association de vétérans du Canada), les cérémonies, je dépose des couronnes. Je suis bien impliqué là-dedans parce que ça me rappelle… J’ai eu la chance aussi de retourner en Corée en l’an 2000. Puis ça, ça m’a bouclé la boucle. Là, j’ai compris pourquoi j’ai été là, en 1953. Parce qu’eux autres, ils ont la liberté et ils nous le disent en maudit. Eux autres ils le savent qu’on a été là pour leur liberté. Pis c’est pour ça que chaque fois que... même quand les gens sont partis pour aller à Kandahar (dans le contexte de l’intervention des Forces canadiennes en Afghanistan depuis 2001) j’étais là, avec mes médailles pis tout ça. Je disais aux jeunes : « Regarde-moi, il y a 50 ans, j’étais exactement à ta place ».