Project Mémoire

Jeffery Wolf Ostroff

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Jeffery Ostroff
Jeffery Ostroff
Jeffery Ostroff en 1945.
Jeffery Ostroff
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Jeffery Ostroff, 2010.
Jeffery Ostroff
« Je lui ai demandé s’il savait qui j’étais. Il m’a demandé ce que je voulais dire au juste. Alors j’ai dit “Ich bin ein Jude”, je suis Juif. Il était tout étonné et a dit “ça va, ça va”. Mais ça n’allait pas du tout. »

Dessus on avait des jeeps, un chargement en pontée et des chars, et ils nous ont envoyés à Anvers en Belgique. On a tout déchargé là et on a passé deux jours là-bas. Notre équipage est descendu à terre et, bien sûr, vous savez, les allemands étaient partis. C’était toujours la guerre, évidemment, et ce qui s’est passé c’est qu’on a croisé deux dames, des jeunes femmes, qui se trouvaient, qui étaient à l’intérieur d’un café, elles n’avaient rien à manger et quoiqu’il en soit il s’est avéré qu’elles revenaient d’un camp de concentration. Elles s’en étaient échappées précédemment et elles avaient besoin de s’occuper et elles n’avaient pas de nourriture et en tout cas, on a découvert qu’elles étaient juives ; et j’ai réussi à leur parler en hébreu ou dans une langue juive plutôt, je devrais dire. Et elles étaient très, très heureuses et elles pleuraient ; et je suis retourné sur le bateau et un de nos officiers qui était très gentil avec moi m’a donné un carton plein de nourriture qui venait des cuisines. Je leur ai apporté et elles ont été décontenancées; et elles étaient tellement heureuses et elles ne savaient pas quoi faire pour nous. Alors c’est une des choses qui sont arrivées et qui m’a rendu très fier aussi.

Tout ce qu’elles ont dit c’est qu’elles étaient dans un camp de concentration et que beaucoup, beaucoup de gens avaient été assassinés ou tués, qu’elles avaient réussi à s’échapper. Il y avait eu un raid allié ou quelque chose comme ça et elles avaient réussi à sortir du camp ; et elles avaient fait le chemin jusque là depuis le sud de la Belgique ou quelque part, et elles étaient remontées, et c’est là qu’elles s’étaient retrouvées, à Anvers. En fait, la jeune fille qui était avec elles, elle avait dans les, je pense qu’elle avait la vingtaine, elles avait habité à l’extérieur d’Anvers. Et l’autre venait de Tchécoslovaquie, elle a dit, et voilà. Alors on était heureux de les avoir aidées et voilà, et elles nous ont été très reconnaissantes.

Et puis on devait rentrer au quartier et ensuite on est repartis en mer. On est retournés en Angleterre et on s’est retrouvés en Irlande du Nord, je crois. Et puis on est retournés à Southampton et j’ai eu quatre jours de permission. Et quand je suis rentré, ils m’ont dit qu’ils allaient me faire passer sur l’Aquitania qui était un navire de troupes à ce moment-là. Juste après j’étais en route pour, pour le Canada.

On était à deux jours en mer d’Halifax et j’avais fini mon quart. J’avais quelques heures de repos et je suis allé à la poupe du bateau et je fumais à l’époque. Et je me tiens là debout et c’était une belle journée. J’ai commencé à fumer ma cigarette et, tout à coup, une voix derrière moi qui demande, tu as cigaretta ? Et je me suis retourné, c’était un prisonnier de guerre allemand, sur le pont. Et il était en train de nettoyer le pont. Et, bien sûr, ils étaient vêtus d’un genre d’uniforme particulier, si on peut appeler ça comme ça, avec un grand cercle rouge dans le dos. J’en ai vu deux ou trois autres ; ils étaient en train de nettoyer le pont à l’arrière. Mais il y avait des gardes par là, avec des mitraillettes Sten. Et certains d’entre eux étaient du Québec, et il a dit, peux-tu me donner une cigaretta ? J’ai demandé, est-ce que vous avez le droit de fumer ? Oh, oui pas de problème. Alors j’ai dit, bon, pourquoi est-ce qu’on devrait te donner une cigarette ? Et il a dit, et bien, la guerre est terminée et c’est pour ça que je rentre chez moi, en Angleterre et puis je retourne en Allemagne, pour retrouver ma femme et mes enfants. J’ai dit, ah oui.

Et j’ai dit, je vais te dire quelque chose, même si tu risques de ne pas aimer ce que je vais dire. Et il comprenait assez bien l’anglais, parce qu’il avait passé presque deux ans au Canada. Il était dans le nord de l’Ontario, dans une prison ; et il a dit qu’il débitait des troncs d’arbre quand il était là-bas ou quelque chose comme ça, pendant la guerre, dans le camp où il était, le camp de prisonniers. Et il s’est retourné et je lui ai dit, tu sais ce que je suis ? Il a dit, qu’est-ce que tu veux dire ? J’ai dit en allemand, je suis juif. Oh, il était stupéfait. Oh, il a dit, d’accord, d’accord. J’ai dit, mais ça ne va pas. J’ai dit, tu sais ce qu’on est en train de découvrir là maintenant ? Ce que la gestapo et les allemands ont fait aux juifs ? Et pas seulement aux juifs, mais à d’autres gens aussi, et les camps de prisonniers et les camps de concentration. (Il a dit) j’en ai entendu parler mais qu’est-ce que je peux bien y faire, je n’étais rien du tout, et l’armée allemande bla, bla, bla.

Et en tout cas, alors je me suis éloigné de lui et juste là, j’ai entendu des cris et un des gardes du Québec s’est approché et lui a arraché la cigarette de la bouche et lui a donné un coup, et il a dit, retourne travailler. Et il est venu tout droit vers moi et il a dit, ne leur donne plus jamais rien. J’ai dit, d’accord. J’ai dit, mais la guerre est terminée. Il a répondu, ça ne fait rien, ce sont quand même des prisonniers.