Bon, on a débarqué en Angleterre et je suis allé à Aldershot, qui est l’endroit habituel où vous allez pour tout ce qui est des chars et tout ça, le corps blindé. Pendant que j’étais à Aldershot, j’ai finalement reçu l’ordre de rejoindre le régiment dans lequel j’étais, le 29ème RECCE [Régiment de reconnaissance], qui était à ce moment-là en mission, ils faisaient des exercices d’entraînement quelque part dans la campagne. Alors quand on les a rejoints, il y avait seulement les huttes préfabriquées, la cuisine et tout ça. Et on était huit, plus un sergent, je crois.
Et on a fait notre entraînement là-bas sur des chars Ram, qui étaient fabriqués à Montréal. Et c’était un char très difficile à conduire parce qu’ils étaient, bon, plutôt archaïques, je pense. En tout cas, on faisait cet entraînement-là ; et pendant que j’étais là-bas, j’ai eu une crise d’appendicite. Alors je suis allé à l’hôpital militaire de Bovington. C’est une longue histoire mais je ne vais pas rentrer dans les détails. Je suis allé à l’hôpital militaire à Bovington et j’ai regardé l’invasion se passer depuis ma fenêtre. En regardant dans le ciel, et il était complètement recouvert d’avions, des milliers d’avions, qui tiraient des planeurs et tout le reste.
Alors j’ai raté mon régiment je n’ai pas pu aller avec eux à Falaise Gap au spot d’appontage, à Sword Beach, je crois qu’ils l’appelaient comme ça à cette époque. Et ils m’ont envoyé en convalescence pendant une ou deux semaines, et ensuite j’ai été rappelé dans le régiment qui était au nord de la France à l’entrée de la Belgique. On est allés là ; et on nous envoyait là-bas pour nous occuper des chars, les chars tout neufs, pour les préparer pour le front. On devait nettoyer tous les canons, vous savez, dans de l’eau bouillante et les mettre sur les chars et les charger et tout ça.
A l’époque j’avais un très bon char. J’avais un Sherman avec un 105 dessus. J’avais un chauffeur là-haut pour garder l’œil ouvert, c’est tout. Juste nous deux. Et il y avait une file de 15 à 20 chars environ, on est partis de là sur les chars et on s’est dirigés vers le nord pour aller sur le front, qui n’était pas, bon, à plus d’une trentaine de kilomètres environ.
C’était un voyage tout à fait unique en son genre, je vous le dis. Parce qu’on conduisait aussi la nuit et on n’avait pas de lumières, on suivait juste les deux petites lueurs rouges à l’arrière du char qui était devant nous. Et l’un d’entre eux je crois s’est retrouvé sur, ils appelaient ça, je pense que c’était des rails de chemin de fer, mais ça ressemblait plus à des rails de tramway. Et tout ce que je pouvais voir c’était ce serpentin qui est monté en l’air et c’était des rails. Il avait arraché six mètres de rails à peu près. J’espérais bien qu’ils ne s’en servaient pas.
Quoiqu’il en soit, quand on est arrivé près des régiments, c’était là qu’on rendait nos chars et qu’on nous affectait à une mission quelle qu’elle soit. Mais parce que j’avais eu l’appendicite et tout ça, ils avaient pris une autre conducteur pour le char que j’utilisais et ils ont dit, on va te mettre sur les véhicules de reconnaissance. Alors je suis allé dans un véhicule de reconnaissance.
Parce que j’étais au quartier général et quand ils sont venus, leur chauffeur n’était pas disponible, parce qu’on avait six ou sept véhicules de reconnaissance, et chacun d’entre eux était en service dans un escadron. Et ils en avaient trois au quartier général et j’étais l’un d’entre eux. Alors chaque fois qu’on devait monter jusqu’au front ou prendre des cartes ou prendre des officiers ou faire quelque chose, on faisait le taxi. On allait partout.
Bon, quand on est remontés en Hollande, on est partis en Hollande, et je m’occupais de livrer des affaires. Et cette fois-là, on nous avait dit de prendre deux véhicules de reconnaissance et de monter pour voir jusqu’où on pouvait aller avant que les allemands commencent à nous tirer dessus. Et, vous savez, pour qu’on puisse faire avancer le régiment. Parce que notre régiment était un régiment de reconnaissance, les autres étaient tous derrière nous.
On est arrivés à un endroit appelé, bon, juste au sud de Rijssen, en Hollande. R-I-J-S-S-E-N. Et on avançait et un Typhoon [Chasseur bombardier anglais] est arrivé, un de ces avions, et il nous a repérés sur la route. Bon, on était en territoire ennemi à ce moment-là. Alors il a fait un tour complet et le gars qui conduisait la voiture blindée derrière moi, son nom c’était Eugène, il a dit, est-ce que tu as la bâche avec l’étoile blanche dessus ? Et il dit, tu ferais mieux de la dérouler parce que ce gars-là il est sur le point de revenir. Alors le Typhoon est revenu et je pouvais le voir revenir par ici et j’étais en train de dérouler cette bâche et je crois qu’à la dernière seconde, il a vu l’étoile, il a fait partir une fusée mais il a tiré un peu sur le manche et la fusée est passée au dessus de nos têtes, est tombée sur la route et a explosée. Alors il aurait bien pu nous descendre juste là.
Alors ce qu’il a fait, je pense, pour compenser, comme il savait ce qu’on faisait alors il est allé voir en avant les routes qu’on allait emprunter et il était revenu et il a agité ses ailes pour nous faire savoir qu’il n’y avait rien par là, et qu’on pouvait avancer. Alors on est arrivés à un endroit, évidemment, le pont devant nous là où ce Typhoon nous avait tiré dessus, le pont devant nous avait explosé et c’était un canal. Mais ce n’était pas un canal très large, à peu près deux cents mètres. Mais c’était quand-même un canal et vous deviez le traverser. Et il y avait un hollandais et il avait une barge là, une barge à main qu’il pouvait tirer. Alors on est monté sur la barge, un par un évidemment parce que c’était très instable, il fallait faire attention. Et on a traversé le canal sur une barge.
Puis on est montés plus loin et on est arrivés à un autre endroit où les allemands avaient jeté des arbres en travers de la route. Mais c’était juste le sommet des arbres et c’était des arbres à feuillage persistant. Et vous pouviez rouler dessus si vous vouliez. Mais on s’est arrêtés pour les regarder de plus près et juste entre les pointes des arbres il y avait des mines. Ils avaient posé des mines sur la route et si on était passés, on serait passé sur une et boom, boom.
En tout cas, on a fait demi-tour et il a dit, bon, on va prendre un autre chemin, on va contourner cette route et prendre le chemin de terre à travers une partie de la forêt et retourner sur la route après. Et on a fait ça et juste quand on arrivait à cet endroit-là, là où on allait retourner, un char est sorti des bois, prêt à tirer sur nous et évidemment, on avait un sergent qui commandait cette espèce d’expédition, et il a fait des signes aux chars un petit peu et il est allé vers eux et il leur a parlé. C’était des polonais. Et ils avaient six chars qui sortaient de là.
Alors on a tourné en haut de la route et on les a quittés et on a remonté la route pendant un kilomètre et demi, je pense, au sud de Rijssen, et un hollandais sur son vélo nous a vus, il savait qu’on était canadiens parce qu’il y avait des insignes sur nos véhicules. Et il était tellement heureux de nous voir, et il a sauté sur le garde-boue d’une des voitures et on l’a remonté jusqu’à Rijssen. Et j’ai des photos de moi dans le char et des milliers de gens autour. Alors on était les premiers à arriver à Rijssen et on a aussi été les premiers alliés qu’ils voyaient depuis cinq ans.