On a grandi dans la banlieue de Winnipeg pendant la « décennie de misère » dans les années trente. Comme des petits garçons de notre âge, on s’intéressait aux trains et souvent on faisait les trois kilomètres en vélo jusqu’au passage à niveau pour regarder passer les puissantes locomotives à vapeur qui rugissaient. On faisait signe au mécanicien du train et il nous répondait. Quand on serait grands on serait mécaniciens.
Puis un été, on a entendu le grondement d’un avion. On a sauté sur nos bicyclettes et on a pédalé à toute vitesse jusqu’à la rivière pour le regarder se poser sur l’eau. C’était un hydravion ; le premier avion qu’on voyait. L’Aviation royale canadienne avait installé une petite base au bord de la rivière. Ils avaient amené deux avions qui devaient servir pendant l’été à faire de la cartographie aérienne et à surveiller les incendies de forêt.
On les a observés chaque jour pendant une semaine, à s’exercer à décoller et à atterrir avant de partir plus au nord. On a décidé qu’on allait devenir pilotes. L’été suivant, on a pris nos vélos et on a pédalé avec assurance jusqu’à la base aérienne pour nous engager dans l’armée de l’air. L’officier a souri et nous a demandé ce qu’il en était de nos études. Il nous a dit de retourner à l’école et qu’après notre examen final, on pourrait revenir.
Quand on est retournés à la base aérienne, on nous a dit qu’on pourrait s’enrôler après avoir passé quelques tests dans les deux semaines qui suivaient. Si on était apte, on irait dans l’école élémentaire de pilotage et si on réussissait, on nous enverrait dans la RAF en Angleterre. Un jour ou deux plus tard, j’ai tout à coup changé d’idée. J’avais entendu dire que la Hudson’s Bay Company embauchait des apprentis dans le commerce des peaux. Je suis allé passer un entretien et j’ai été reçu pour aller dans leur école de formation deux semaines plus tard. J’étais arrivé à la croisée des chemins. J’avais appris des choses au sujet des premiers explorateurs et des brigades en canoë mais je voulais aussi apprendre à voler. J’ai laissé passer la nuit dessus.
Quand j’ai dit à Frank (Anderson) et Pat (Close) que j’avais peut-être une chance de partir dans le nord en tant que commerçant en fourrure, ils m’ont regardé comme si j’avais perdu la boule. « Hé, nous les trois mousquetaires », a dit Pat, on va devenir des pilotes, tu te souviens ? Je leur ai souhaité bonne chance pour leurs tests et j’ai compris tout à coup que j’avais pris ma décision. En tout cas, je suis rentré à la maison à pied, tout en continuant à débattre de la question avec moi-même. Frank et Pat ont passé leurs tests et se sont retrouvés pilotes dans la RAF en Angleterre. On m’a fait signé un contrat de trois ans dans le Yukon et j’en ai apprécié chaque instant.
La Deuxième Guerre mondiale avait commencé et à la fin de mon contrat, j’ai rejoint les rangs de l’armée de l’air canadienne en tant que pilote d’état-major. Par l’intermédiaire de nos familles, nous avons réussi à rester en contact les uns avec les autres. Frank et Pat ont été enchanté d’apprendre que j’étais maintenant l’un d’entre eux et demandèrent, quand est-ce que tu viens ici ? Ce qui s’est passé, c’est que je suis resté au Canada, à former des élèves dans les techniques de bombardement nocturne. Un jour j’ai appris que Frank avait été porté disparu au combat aux alentours de la Méditerranée. À peine un mois plus tard, la même chose est arrivée à Pat, dans le même secteur. J’ai poursuivi mon service aérien mais dans le fond, j’avais cette pensée qui me poursuivait, si j’étais resté avec eux, est-ce que j’aurais moi aussi été porté disparu ?
Après la guerre, j’ai rendu visite à la mère de Frank et à la mère de Pat brièvement. Quand on était adolescents, ils avaient tous les deux perdu leur père. Tout ce qu’ils avaient reçu c’était : « Nous avons le regret de vous faire savoir… » Moi, mon unique regret c’est qu’on n’ait jamais été réunis Frank, Pat et moi-même. Nous nous souviendrons d’eux.