J’étais dans la Marine (canadienne), je me suis engagé en 1944, complètement de mon propre gré. La Marine, comme vous le savez n’est pas un service d’appelés, vous vous portez volontaire pour aller dans la Marine. Au total, il y avait de l’ordre de 95 000 marins qui se sont portés volontaires pendant la guerre je crois. J’étais dans les 90 000èmes, donc j’étais dans les derniers. Alors naturellement, je n’ai pas eu la moindre expérience de ce dont vous avez sans doute entendu parler, à propos des gars qui ont participé aux batailles, celle de l’Atlantique ou la route de Mourmansk qui allait en Russie ou n’importe laquelle d’entre elles. L’expérience que je voudrais relater s’est passée à terre plus ou moins mais elle est unique car il ne reste qu’une poignée de marins qui ont participé à ça et c’était aussi une expérience unique dans l’histoire du Canada, à fortiori l’histoire militaire. Et il y a du négatif aussi côté militaire.
Et c’est en 1944 que quelqu’un a décidé de prendre tous les athlètes de haut niveau de deux bases, l’une étant le navire de Montréal, le NCSM Donnacona, l’autre à Saint Hyacinthe (Québec), était une école de signaleurs, où ils enseignaient les techniques radar et sonar et différentes choses de ce genre. Et avec nous tous, ils ont formé une équipe de football, qui est entrée dans une ligue et pourrait, et qui a finalement réussi à disputer la Grey Cup. Et ce qui s’est passé, l’équipe, à la surprise générale on a participé et on a gagné la coupe en plus, la Grey Cup (en 1944, la 32ème compétition, 7 à 6 contre les Wildcats de Hamilton), contre toute attente. Et contrairement à ce que souhaitait le haut commandement également.
Mais la chose intéressante dans tout ça c’est que nous étions tous tellement différents dans la composition de l’équipe. L’équipe ça consistait à me prendre moi d’un côté la nouvelle recrue sans expérience qui passait ses journées sur le terrain des manœuvres à faire des exercices et marcher au pas et aussi des anciens combattants qui revenaient après avoir bien servi à en juger par le nombre des invasions. C’était les gens qui dirigeaient ces barges qui transportaient les soldats et les débarquaient sur les plages. Ils étaient sous le feu constant de l’ennemi. Et je connais au moins deux d’entre eux qui étaient dans les débarquements de Normandie, de Dieppe, débarquement pour la campagne d’Italie, qui ont amené l’armée américaine en Afrique du Nord… Et peut-être qu’il y en avait un autre, je pense qu’il se peut que Dunkerque en fasse partie aussi.
Il y avait une autre personne qui était revenue, avec un grade élevé, qui était un expert dans son domaine particulier et il avait été prêté à la Marine britannique à l’époque, et il était à bord d’un des principaux navires (NSM Sheffield) impliqués dans le naufrage du Bismarck, ce qui en ce qui concerne la guerre, à mon avis c’était le plus grand exploit naval dans le monde en ce qui concerne les alliés. Les anglais ont coulé le Bismarck quelque part dans l’Atlantique, il en était l’un des membres.
Et aussi dans la composition de l’équipe, remarquez, à cause de leur taille imposante et de leur force, il y avait les hommes des patrouilles à terre. Certains d’entre eux venaient de Saint Hyacinthe, un grand nombre était de Montréal. Il arrivait qu’on croise ces gars à l’extérieur du terrain de foot quand vous étiez dans les salles de bal ou autre part le vendredi soir et qu’une bagarre se déclenchait, ils investissaient les lieux au pas de charge brandissant leurs massues au dessus de votre tête. Le lendemain, vous étiez sur le terrain avec eux.
On se respectait les uns les autres, on avait tous des tâches différentes à accomplir et on les accomplissaient toutes, mais on n’était pas le genre d’équipe qui va prendre un verre ensemble. On était tous différents sur le plan des grades, il y avait de grandes différences d’âge, et on n’avait pas du tout les mêmes centres d’intérêts non plus. Donc c’était ça l’équipe.
Oh, et le classement de l’équipe ça voulait tout dire, quand vous sortiez des vestiaires et que vous portiez votre uniforme, après être douché et rhabillé. Vous sortiez, vous faisiez un salut au gars qui jouait à côté de vous. Dix minutes avant, vous lui aviez peut-être donné un grand coup dans le nez à cause de ce qu’il faisait. Et il ne pouvait pas vous en vouloir pour ça et vous respectiez ça.
Il n’y avait aucun trait commun à l’exception du fait qu’on portait tous un uniforme canadien, un uniforme de la Marine. En dehors de ça, on ne faisait rien les uns avec les autres, ni pendant les weekends ni pour les permissions… seulement quand on jouait sur le terrain, là on était ensemble et quand on s’entrainait, ce qui se passait en soirée. Mais, je peux dire, en tant que joueur qui a continué et a joué avec la CFL (Ligue de football du Canada) – et a même tenté le coup dans une université américaine (a été invité là-bas). De toutes les équipes pour lesquelles j’ai joué, je dirais que cette équipe en terme de capacités individuelles elle ne pouvait pas se comparer aux autres équipes. Les autres étaient bien meilleures mais pas dans les vestiaires. On était une équipe. Une fois qu’on avait revêtu notre uniforme de footballer, et j’en donne tout le crédit à l’entrainement dans la Marine. On ne se posait même pas la question au sujet du gars qui jouait à côté de nous, si vous aviez fait votre boulot et que vous étiez libre pour l’aider, vous y alliez et vous l’aidiez. Et ça c’était d’un bout à l’autre du match, et pendant l’entrainement et tout le monde le savait. On était soudés au sein de l’équipe.
Je raconte toujours aux gens que je n’ai jamais vu une équipe qui, quand un porteur de ballon adverse venait et quelqu’un le frappait, le faisait tomber… si l’arbitre n’avait pas le sifflet dans la bouche, il y avait 12 hommes sur ce gars. Chacun aidait tous les autres et c’était un effort commun. Et personne ne s’en attribuait le mérite, il n’y avait pas d’idoles.
On nous a envoyés en train à, le match (Grey Cup 1944) se jouait à Hamilton (Ontario) contre quelques uns des meilleurs joueurs dans la ligue qui étaient exemptés de guerre parce qu’ils travaillaient dans les aciéries comme Stelco, Dofasco et c’était des usines de munitions et ça, mais c’était quand même un excellent groupe de joueurs. Ils avaient gagné contre l’équipe de Winnipeg ou les avaient dépassés cette année-là, donc ils représentaient l’ouest et nous on représentait l’est. On est arrivés là-bas un vendredi soir… Et je connais bien Hamilton mais je ne sais pas où se trouvait cette caserne. C’était une caserne isolée, perdue qui avait été abandonnée. On nous avait mis là pour la nuit. Et on est entrés là et on a fait savoir à l’intendant que c’était bruineux et pluvieux. L’intendant nous a tendu à chacun un vieux matelas sale et nous a dit, allez là-bas, bâtiment numéro trois. On y est allés et on a trouvé des vieux lits rouillés qui n’avaient pas servi… Et ça c’était la nuit avant le match.
Notre tactique de jeu avait quelque chose d’unique. On surprenait l’équipe adverse avant même qu’elle soit prête sur ses positions. Et alors on a pu gagner. L’équipe, comme je l’ai dit, ils étaient tous très volontaires, travailleurs et prêts à sacrifier leur vie pour vous venir en aide en quelque sorte. Et j’étais un de ceux qui avaient besoin d’aide parce que j’étais trop petit pour la position que j’occupais (Snap était le nom donné à l’avant centre à l’époque). Mais je devais jouer, question de formalité. Parfois je me relevais et trouvais un des joueurs de l’équipe qui donnait un coup à un adversaire parce qu’il s’était servi de ses poings contre moi et m’avait balancé un uppercut que je n’avais pas vu venir, parce que j’étais sur le dos.
Après avoir gagné le match, et pendant toute la saison à Montréal, on a eu un journaliste du Montreal Star qui nous a fait une énorme publicité. Ma photo était là dedans tous les deux jours on aurait dit… Je ne sais pas ce que je faisais mais il y avait ma photo. Peu après qu’on ait gagné la coupe, on m’a envoyé sur la côte est pour suivre un entrainement avancé et être affecté à un navire. Et j’étais content de ça mais je n’ai pas su le fin mot de l’histoire que très longtemps après, des années plus tard.
Un des officiers dans une de nos unités m’a dit que les amiraux hauts gradés d’Ottawa décidèrent que nous n’aurions pas dû gagner la coupe, et qu’on devait la rendre. Pourquoi ? Parce qu’on était un équipe de civils quand on l’a gagnée. Et on n’était pas censés. Ça allait donné au public l’impression qu’ils avaient choisi des gars comme moi pour jouer et gagner la coupe pour eux en quelque sorte, ce qui était vraiment très loin de la vérité. Parce qu’il n’y avait pas de privilège d’aucune sorte. Et d’ailleurs ils ont renvoyé la coupe. Il faut accorder à la NFL, la CRU à l’époque (Canadian Rugby Union), les responsables de l’administration l’ont renvoyée immédiatement, et ont dit : « Non, ils l’ont gagné équitablement, vous la gardez. » Et ils ont eu cet échange deux ou trois fois comme ça et finalement on a pu la garder. Le journal, ils ont supprimé toute sorte de publicité parce qu’ils ne voulaient pas que nos compagnons de la marine s’imaginent qu’on avait des avantages particuliers.
Aujourd’hui il y a ces journées rétro et les fans viennent et disent : « ouah, c’était comme ça il y a 20 ans. » Je regarde et je dis, mais bon sang de quoi parlez-vous ? Ils ont changé les couleurs de leur pull, c’est tout ce qu’ils ont fait. Faites tomber les masques si vous voulez du rétro et portez ces pulls en laine qu’on portait sous la pluie. Et vous savez, si vous avez déjà fait la lessive, vous prenez un pull mouillé qui fait une douzaine de kilos et un pantalon de toile couvert de boue, parce que le nylon a été inventé au moment de la guerre, alors ils ne l’utilisaient pas encore. J’ai joué dans l’équipe de l’université McGill quand on a commencé à porter ceux-là. Et la première fois que j’ai couru sur le terrain, quand on nous a donné ces nouvelles tenues (on nous les avait données le jour du match). La première chose que j’ai faite ça a été de regarder mes jambes et je croyais que je ne portais rien du tout… C’était tellement léger.
On a été la dernière équipe amateur à gagner la Grey Cup et je ne pense pas que ça puisse se reproduire un jour.