Project Mémoire

John Stokes

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Des survivants du NCSM <em>Esquilmat </em>sont sur un radeau de sauvetage juste avant d.être secouru par l'équipage du NCSM <em>Sarnia.</em>
Matelots de l'équipage du NCSM <em>Esquimalt </em>décédés sont déposés sur la poupe du NMCS <em>Sarnia, </em>avril 1945. l'<em>Esquimalt </em>a été torpillé par le sous-marin Allemand U-190 le 16 avril 1945. Seulement 27 des 71 dragueurs de mines ont survécus à l'attaque.
John Stokes (à gauche) avec son ami d'enfance Fred Mimee, qui a survécu au naufrage du NCSM Esquilmat en 1945. John était un chauffeur (moteurs) à bord du NCSM Sarnia, et a sauvé Fred lors du naufrage.
Un survivant blessé du NCSM <em>Esquilmat </em>descend du NCSM <em>Sarnia </em>à Halifax, 1945.
C’est alors qu’on a reçu le signal d’aller récupérer les survivants du Esquimalt, qui avait été torpillé ce matin-là.

J’étais second maître chauffeur [entretien des machines du navire] sur le dragueur de mines [NCSM] Sarnia qui balayait l’océan à l’extérieur d’Halifax et de Terre-Neuve. On devait retrouver le [NCSM] Esquimalt qui venait juste d’être réparé et reconverti en dragueur de mines. Le Esquimalt avait été en service de convoi et ils en faisaient à nouveau un dragueur de mines. On devait les rencontrer à un certain endroit dans l’océan à l’extérieur d’Halifax, Nouvelle-Écosse, à un certain moment de la matinée. Quand on est arrivé là-bas, on était à l’endroit. Ils n’étaient pas là et on a patrouillé un peu dans le coin pendant un moment puis le capitaine a décidé qu’il allait faire un tour pour voir s’il les trouvait. C’est là qu’on a eu le signal d’aller repêcher les survivants de l’Esquimalt qui avait été torpillé ce matin-là.

On s’est dirigé vers eux et ils n’étaient pas très loin du Halifax [East] Light Vessel [phare flottant], qui est ancré là-bas, stationnaire. On a trouvé des radeaux Carley [embarcations de sauvetage] là-bas avec des survivants dedans. Notre équipe de sauvetage est partie. On les a déposés et ils sont partis pour voir s’ils pouvaient trouver d’autres survivants. Ils sont allés jusqu’au Halifax Light Vessel et ils ont ramené les survivants qui étaient arrivés jusqu’à là-bas. Ensuite, on a pris notre radeau de sauvetage et on a ramenés tous les survivants qu’on pouvait trouver. Et aussi tous les morts qu’on a pu trouver, on les a ramené.

On s’est approchés et il y avait deux radeaux Carley attachés ensemble, et un groupe, je ne sais pas combien ils étaient, parce qu’à ce moment-là tout était assez chaotique. On s’est mis de côté. On avait un filet de sauvetage attaché à côté du bateau et je suis descendu et j’ai saisi le radeau Carley et un autre marin est descendu et il a attaché le radeau au filet de sauvetage. Et ensuite, j’ai vu mon ami assis sur le rebord du radeau Carley et bien sûr, c’est le premier que j’ai attrapé et que j’ai aidé à monter sur le pont. On l’a remonté et ensuite on a remonté tous les autres qui étaient sur le radeau. Il y avait des morts étendus au fond du radeau et d’autres étaient vivants. Je ne sais pas combien il y en avait parce qu’à ces moments-là on ne compte ceux qui sont là et ceux qui ne sont pas là. Mais quand j’ai reconnu mon ami, je savais qu’il était sur ce navire, je l’ai tout de suite reconnu et c’est bien sûr le premier que j’ai fait monter sur le pont.

Il était assis sur le bord du Carley avec ses pieds qui pendaient dans le radeau. Ses jambes étaient enflées parce qu’elles avaient été dans l’eau pendant un bon moment et en avril cette eau, elle était froide. Il m’a regardé et j’ai dit : « est-ce que tu crois que c’est un temps pour aller nager, tu pourrais pas choisir un meilleur jour? » et il a commencé à rire. À ce moment-là, j’ai su qu’il n’avait pas été blessé ou quelque chose de ce genre, à part le pied d’immersion [ou pied des tranchées, exposition prolongée au froid et à l’humidité] qu’il avait. Il était terriblement content de nous voir. On s’est dirigé vers le port d’Halifax où la marine nous attendait et une section du quai avait été dégagée. On s’est arrêté là-bas et les ambulances attendaient les survivants; ils les ont fait descendre du navire et les ont emmené à l’hôpital.

À l’hôpital, ils ont été confinés à une grande salle commune de l’hôpital d’Halifax. Ils ont été gardés au secret sans contact avec l’extérieur. Ils ne voulaient pas qu’ils puissent communiquer avec qui que ce soit. Mais j’y suis allé le jour suivant. J’ai pris du papier à lettre, des friandises et des choses de notre cantine. Ils avaient tout perdu. Donc, j’y suis allé et bien sûr, l’infirmière-chef m’a dit que je ne pouvais pas entrer. Quand je lui ai raconté que le gars qui était là-bas, un des gars, je lui ai dit, que lui et moi on avait été à l’école ensemble, grandis ensemble et engagés dans la marine ensemble, je lui ai dit que c’était moi qui avais repêché ce bâtard du radeau Carley et qui l’avais remonté sur le pont du navire, alors elle m’a laissé entrer. J’étais assis en train de lui parler quand les photographes de la marine sont arrivés. Ils se demandaient comment j’avais eu la permission d’entrer. Quand ils ont appris l’histoire, bien sûr, ils ont dû prendre une photo de moi assis sur le lit à côté de lui et cette photo a été publiée dans le journal.

Ensuite, j’ai eu une permission pour rentrer. J’ai dit à ses parents que tout allait bien, qu’il n’y avait rien de grave, qu’il allait s’en remettre et que dès qu’il sortirait de l’hôpital, il aurait une permission pour rentrer. Voilà. C’était une expérience mémorable. Heureusement que ce jour-là l’océan était très calme parce que par moments la mer pouvait être très agitée. C’est la raison pour laquelle nous avons eu autant de survivants, parce qu’autrement, si la mer avait été agitée, ils n’auraient pas survécu longtemps.