« Il y avait de nombreuses cibles mais des deux côtés on a fait des choses cruelles. Il n’y a rien de gentil ou de facile quand il s’agit de la guerre et il n’y a plus personne pour faire une guerre propre. »
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Transcription
Je m’appelle Joseph Friedman. Je suis né le 5 juillet 1925 à Montréal. Je viens d’une famille nombreuse. On était neuf enfants mais les trois plus âgés ont servi dans l’armée. Je crois qu’un de mes frères était mécanicien radio dans l’aviation. Il était dans les Forces aériennes. Un autre était mécanicien de structure d’avion et ma sœur était dans les communications sans fil. Elle a été en poste sur l’île du Prince Edouard pendant une partie de la guerre. Moi j’étais à la maison. J’étais un enfant rebelle, malheureux. Je pensais que ce serait l’aventure. Qui sait, j’aurais pu finir par être un héros un jour. Alors je me suis engagé.
Et j’ai imité la signature de mes parents. Je n’avais pas l’âge. Quand ils s’en sont aperçu, ils voulaient me dénoncer mais je les ai menacés de m’engager dans la marine marchande parce que la marine marchande prenait les jeunes à partie de l’âge de 17 ans sans poser de questions. Alors ils ont cédé et moi, j’ai continué.
J’ai grandi dans un foyer, un foyer juif. Mes parents étaient originaires de Roumanie. Ils étaient très traditionnels. Mon père était propriétaire d’un magasin de tissus qui avait fini par fermer car ses clients ne pouvaient pas payer leurs factures pendant la Grande dépression. Alors il avait dû aller travailler ailleurs et avait fait toutes sortes de métiers.
Je ne dirais pas qu’on… qu’on était comme des orthodoxes et pas orthodoxes. On allait à la synagogue mais si on avait du travail alors on travaillait. Et c’était comme ça. Mais j’étais dans un escadron de la RAF. J’avais été affecté à la RAF. Une partie de l’équipage était canadien, l’autre partie était anglaise. La station d’où on s’est envolé étaient en Angleterre. Cet endroit s’appelait Wratting Common, c’est dans le Cambridgeshire, à 17 kilomètres environ de Cambridge.
En fait j’ai été abattu au cours de mon quatrième vol. L’endroit où on était… ça va vous paraître un peu choquant. C’était un endroit… Whitten c’était la cible, une ville de cinquante mille habitants. On était maintenant en décembre 1944. Je me souviens très nettement du briefing qu’on avait eu où on nous avait dit que cette ville avait échappé à toutes les conséquences de la guerre, que la raison pour laquelle on devait la bombarder c’était parce qu’ils fabriquaient des armes légères. A savoir des pistolets, des fusils, des mitraillettes, c’était ça les armes légères.
On était 400 avions qui sont partis pour aller bombarder une ville de 50 000 habitants. A ce moment-là on pensait que c’était notre devoir et on l’a fait sans se poser de questions. Rétrospectivement, c’était une vraiment une attaque massive sur une cible minuscule, mais c’était comme ça qu’on faisait la guerre, c’était…Vous savez, il y a eu une série il y a un moment de ça, que [Brian et Terence] McKenna avait faite sur les Forces aériennes et qui posait la question des bombardements à outrance. C’est drôle comme les aviateurs avaient été vraiment dérangés par ses propos. Mais il avait raison sur cette question. Il y avait de nombreuses cibles mais des deux côtés on a fait des choses cruelles. Il n’y a rien de gentil ou de facile quand il s’agit de la guerre et il n’y a plus personne pour faire une guerre propre.
On a été attaqués par des FW190. C’était l’un des meilleurs avions allemands, des avions de chasse. On s’est fait descendre. J’ai été blessé. J’étais mitrailleur de queue. Alors vous devez redresser la tourelle et repartir vers l’arrière en rampant et prendre votre parachute et le clipper sur vous. Alors que je traversais la partie arrière de l’avion en rampant pour attraper mon parachute, j’ai été blessé. Apparemment, quand l’avion avait été touché, il avait dû tomber de son crochet ou du siège, mais je ne m’en étais pas aperçu et je courais vers la porte pour sortir. Je n’avais pas mon parachute sur moi pendant que je faisais ça, je devais être en état de choc en quelque sorte. Je n’arrivais pas à ouvrir la porte pour passer à travers. Mais si j’avais eu la porte ouverte, j’aurais sauté. Il y avait des flammes et j’avais peur et je, je ne savais pas. Mais ça s’était coincé. Et apparemment, il y a une espèce de feuille sur le sol des Lancaster, comme de la tôle et tous les Lancaster avaient ça, et ça, pendant que j’ouvrais la porte, ça s’est froissé. Et la porte ne s’ouvrait pas, et je ne pouvais pas me glisser par là. Et à ce moment-là, j’ai réalisé, qu’est-ce que je suis en train de faire, je suis en train de sauter sans parachute. Je me suis retourné et j’ai cherché sur le sol de l’avion et là il y avait mon parachute. Je l’ai enfilé et puis j’ai fermé la porte, écrasé du pied la, la tôle ondulée, ouvert la porte et sauté.
Quand j’ai atterri, ils m’attendaient. Vous vous souvenez, j’ai dit que c’était un raid de raid qui avait lieu en plein jour et ils m’ont vu arriver. J’ai atterri au bout ce qui ressemblait à un champ cultivé, vous savez, des cultures. Ils m’attendaient. Il y avait des civils et il y avait deux soldats de la Wehrmacht je crois. Les soldats sont arrivés près de moi à un ou deux pas devant les civils. Les civils étaient très en colère contre moi. Ils me voulaient et ils ont dit, laissez le tranquille. Regardez, il est blessé, vous savez, je peux comprendre. Je connaissais un tout petit peu de Yiddish mais j’ai réussi à comprendre ce qui se passait.
Ils m’ont protégé et ils étaient très contrariés. Vous devez vous rappeler qu’on bombardait leurs maisons, leurs femmes et leurs enfants. Ce n’était pas une période heureuse pour eux et ils étaient très en colère après les aviateurs. Et puis ils m’ont envoyé dans un centre d’interrogation à Dulag Luft. Ils m’ont mis dans un train et on a traversé l’Allemagne en diagonale jusqu’à la Baltique. Ca avait pris plusieurs jours dans le wagon marchandises pour faire la traversée. C’était un camp de prisonniers avec plus 10 000 prisonniers de guerre. Peut-être même plus. Il y avait quatre quartiers dans ce camp. Trois quartiers américains, c’était pour les aviateurs, trois quartiers étaient américains et un était pour les Forces aériennes britanniques, c’est à dire la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Afrique du Sud, mais principalement les Forces anglaises et canadiennes.
C’était un camp pour officiers, alors j’ai eu la chance, en tant que sergent, d’être envoyé dans un camp pour officiers parce que c’était la pire période de la guerre, et on était déjà en janvier, on s’était fait descendre en décembre mais c’était au mois de janvier, quand je suis arrivé là-bas, les choses allaient plutôt mal vous savez. Mais on était beaucoup mieux que ceux qui n’étaient pas dans des camps pour officiers. Et je suis resté là jusqu’à la fin de la guerre, jusqu’à ce qu’on me renvoie par avion.
Quand je me suis fait descendre, si j’avais été attrapé par la gestapo, je n’aurais jamais revu la lumière du jour.