Project Mémoire

Joseph Alexander Curtis

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Joseph Curtis
Joseph Curtis
M. Joseph Curtis, novembre 2011.
Joseph Curtis
C’était l’enfer sur terre. C’était tout ce que j’arrivais à voir, la terre qui volait tout autour de nous. Les balles qui me passaient devant le visage et entre nous deux, mais je continuais à marcher.

Voyez, l’Italie c’était de maison en maison ou de ville en ville, et il fallait prendre une maison à la fois, c’était comme ça. On est entré dans le combat là-bas. On a posté (Altamura, Italie)… Cet après-midi là on avait un nouvel officier parce qu’ils se faisaient tuer tout le temps. On avait le Lieutenant Doherty. C’était un homme plaisant. On l’appelait Mère Doherty. Il était comme une vieille poule qui veille au grain avec ses poussins. Il était tellement bon avec nous. Quand on partait au combat, il nous disait à quoi nous attendre. Et devant Dieu, il avait toujours raison.

Mais il a été tué, ensuite le sergent l’a remplacé. Alors on a eu un nouveau lieutenant à sa place et il arrivait tout droit du Canada sans avoir eu le moindre entrainement d’aucune sorte là-bas. Et bon sang, il nous a déplacés jusqu’à cet endroit à côté d’un canal et fait mettre les chars tous ensemble les uns à côté des autres contre une maison. Mon copain et moi, qu’on appelait Scotty Bell, en fait son nom c’était Jimmy Bell. Il a grandi à Glasgow en Écosse. Il vient ici pour rendre visite à sa sœur qui était au Canada ; et il a rejoint notre régiment. Il était avec nous. Et c’est avec lui que je suis sorti monter la garde cette nuit-là ; et on était assis sur le bas côté de la route ; et au bout d’un certain temps, on a entendu quelque chose qui venait. Alors on s’est levés et on leur a crié quelque chose - mais qui c’était, un allemand.

Bon en tout cas, on l’a pris et on l’a ramené à notre officier. Je ne sais pas ce qu’il a fait de lui après ça, mais je ne l’ai jamais revu. Mais après ça, je suis parti me coucher, et je suis allé dans la première chambre celle à côté du canal là où se trouvait l’ennemi et il y avait des escaliers, remplis de pierres, et l’escalier était en pierre. Alors j’ai dit, c’est là que je vais dormir, c’est un endroit sûr. Alors je suis entré là et je me suis endormi. Quand il a fait jour, la première chose, je me suis réveillé, l’extrémité du bâtiment vient, une balle traverse, une balle perforante. Elle est entrée à un bout et est ressortie de l’autre. Je me souviens d’avoir couru jusqu’au char de l’autre côté de la route. Je regardais les murs, en me demandant s’il y allait en avoir une autre qui allait venir. Mais en tout cas, je suis sorti et suis allé jusqu’au char. Je suis monté dedans et personne ne s’est montré. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. Mais voyez, ils étaient dans l’autre pièce et tous ces trucs qui volaient, ça a fait pas mal de blessés. Ils ont été blessés.

Alors en tout cas, je suis monté dans le char, mais je ne pouvais pas le conduire, j’ai déplacé le canon à cause du mur de la maison qui était tellement proche et des autres chars placés à côté. Alors je suis sorti, et je suis allé me mettre par terre derrière lui, où j’étais à peu près en sécurité. Et je suis resté là, et au bout d’un certain temps, je vois un gars, Pater McEachern, je crois qu’il s’appelait comme ça. Il conduisait le petit char militaire du lieutenant, qu’il avait pour faire ses déplacements. Il se tenait dans l’encadrement de la porte et je pouvais voir les mitrailleuses, les balles traçantes qui frappaient contre le mur au dessus de sa tête, le faire tourner sur lui-même et le jeter sur le sol. Et je lui ai dit, Peter, pour l’amour de Dieu, sors de là avant de te faire descendre. Alors il a reculé et il a disparu.

Puis après un moment, j’ai vu le petit char, le char du lieutenant, démarrer et partir. C’est comme si, bon sang, mon Dieu, je suis tout seul ici. Alors je suis entré dans le bâtiment, et ce gars était assis là par terre avec une couverture autour des épaules. Il avait les cheveux tout brûlés et les mains brûlées, son visage était brûlé, alors j’ai pensé que c’était le gars qui s’appelait Peter Holloway. Il avait les cheveux bruns. Alors j’ai dit, c’est toi Peter ? Et il a dit non, je suis George, c’est George. George était un copain d’Antigonish (Nouvelle Écosse)… où j’habitais ; et on était très copains tous les deux. Alors j’ai dit, George, mon Dieu, il faut qu’on sorte d’ici, parce qu’on est les seuls ici. Est-ce que tu crois que tu peux marcher ? Il a répondu, je vais essayer.

Alors en tout cas, je l’ai fait lever. On est partis et il y avait un char qui brûlait à côté du bâtiment, mais on est passé à côté de lui. Je le soutenais par le bras et on est partis. Il y avait un champ à découvert, on a commencé à le traverser et quand on est arrivé dans la partie à découvert, ils ont dirigé la mitrailleuse sur nous. Et vous ne pouvez pas imaginer ce qu’on a eu à traverser. C’était l’enfer sur terre. C’était tout ce que j’arrivais à voir, la terre qui volait tout autour de nous. Les balles qui me passaient devant le visage et entre nous deux, mais je continuais à marcher, et je me souviens, elles passaient devant mon visage comme des abeilles. Je penchais la tête en arrière et je continuais à avancer. Alors on est arrivés dans les vignes. On atteint les vignes et on est arrivés à une barrière, il y avait une barrière là. Alors j’ai dit, George, il y a une barrière ici, tu vas devoir t’arranger pour l’enjamber. Alors il s’est relevé et il a ouvert ses yeux. Il a dit, ça va, j’arrive à voir maintenant. Dieu du ciel, je l’ai fait passer par dessus la barrière et on a continué.

Mais on a changé de direction, alors ensuite ils ont commencé à envoyer des petits obus de mortier et essayé de nous avoir avec les mortiers. Mais en tout cas, j’ai été au premier poste de secours et quand on est arrivés là-bas, le lieutenant était là ; et il y avait deux jeeps avec les brancards à l’arrière. Alors j’ai emmené George dans la maison, et le lieutenant avait une bouteille de rhum, et il buvait un coup. Je me souviens avoir empoigné sa bouteille de rhum et en donner une rasade à George. Et ensuite ils ont mis George sur le brancard et la dernière chose qu’il m’a dite, tu leur dis de me rappeler dans le régiment. Et je me disais, je ne crois pas que tu vas pouvoir revenir dans le régiment.

Date de l'entrevue: 26 novmebre 2010