Project Mémoire

Joseph Armand Chiasson

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Corvette NCSM Hepatica.
Joseph Chiasson
Joseph Chiasson
Carte d'identité délivrée au nom de Joseph Armand Chiasson à l'époque où il servit dans la Marine Royale du Canada.
Joseph Chiasson
Contre-torpilleur de la classe Tribal NCSM Haida.
J’en ai lâché six (grenades sous-marines), tout seul. C’est un coup de cochon ! (Rires.) Pour moi, on a réussi, parce que le capitaine m’a avoué qu’on ne repérait plus le sonar. « He went down », ça voulait dire qu’il était allé au fond. On l’avait affecté.

Je m’appelle Joseph Armand Chiasson, né le 31 aout 1920 à Lamèque au Nouveau-Brunswick, près de (l’île de) Miscou, c’est là que j’ai été élevé. Je suis parti de là j’avais 17 ans. J’ai joint la marine en 1939 à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) et puis après ça ils m’ont dit d’attendre, qu’ils m’appelleraient quand ils auraient besoin de moi. Ce n’était pas comme dans l’armée. Dans l’armée, ils pognaient les gars et puis ils les envoyaient en dedans. Nous autres, ils nous gardaient et quand il y avait un espace, ils nous appelaient.

On était cinq, il y en avait deux dans l’aviation, un garçon et une fille chez nous, et deux dans l’armée. Moi je ne voulais pas être comme les autres. C’est rien que ça (rires). Il y avait aussi que j’aimais naviguer. Dans le temps de mes vacances, je naviguais, ça m’intéressait beaucoup.

Quand il est sorti de l’eau (le sous-marin allemand) pour lancer les torpilles, il y avait toute sa superstructure sortie de l’eau. Là, quand je l'ai vu la première fois que je l’ai rapporté, il y avait seulement le périscope que je voyais. Il brisait la mer. Il s’en allait. Il était à peu près à 400 pieds de nous autres. J’ai rapporté ça au capitaine et il m’a dit : « Keep your sharp eyes on it. » Il voulait de l’aide le capitaine. Je ne le lâchais pas de l'œil. Quand il a sorti la torpille de l’eau, je pensais que c’était un poteau de téléphone. Qu’il faisait ça pour nous faire peur. C’est la première idée que j’ai eue. Ils ont levé à 45 degrés. Puis quand ils nous disent qu'il lançait un sous-marin. En plus de ça, il y avait un secret là-dedans. Il y avait un jet à tous les quatre à cinq pouces sur la torpille. Il sortait des jets d’air par bouffée comme ça et c’est ça qui propulsait la torpille puis ça n’allait pas vite. La torpille qui a passé en arrière, à côté de moi, à peu près à cinq ou six pieds. Elle allait à peu près à 35 ou 40 miles à l’heure. Si j’avais eu un balai dans les mains, j’aurais pu la flatter quand elle a passé. Après ça, c’est là que j’ai jeté mes depth charges (grenades sous-marines). On passé au-dessus d'où il était le sous-marin. On fait trois tours. J’ai jeté mes depth charges, ça pompait de l’eau ça. À chaque fois que ça partait ça, jusqu'à deux à la fois là. Ça montait de l’eau jusqu'à cent pieds en l’air et plus peut-être.

Puis là j’étais tout seul en arrière (du contre-torpilleur). J’étais tout seul. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment ça se fait que j’étais tout seul. Je vais vous dire pourquoi. Moi j’étais homme de roue. Comment ça se fait que j'étais rendu là ? Je me rappelle que j’étais remplaçant pour un marin qui manquait. Je l’avais remplacé. Je faisais mon heure au volant et une heure sur le pont pour le remplacer. C’est là que j’étais tout seul en arrière. Puis comment ça se fait que j'étais tout seul ? Le capitaine, il paraît qu'il se prenait la tête à deux mains après ça. Étais-tu tout seul ? J'ai dit : « Oui ! ». (Le capitaine :) « Tu as été bon. » Il y avait deux gars qui voulaient me jeter à l’eau. Eux autres, ils avaient deux petits canons sur leurs chemises (badges militaires). Ils avaient le droit de jeter des depth charges et moi je n’avais pas le droit. Ils étaient sur les nerfs ces gars-là. Ils étaient stressés au boute. Ils voulaient me jeter à l’eau. Ils m’ont dit : « Fais ta dernière prière. »

Moi, j’avais jeté six depth charges là-dessus, sur les rails en arrière. On avait des throwers (lance-grenades) qu'on appelait de chaque côté; c’était des depth charges sur un plateau ça. Puis quand il tirait sur la corde ça s’allumait et la depth charge partait avec le pied, le support et tout avec. Tout s’en allait à l’eau. Selon la charge qu’on mettait de cordite en dessous là. Ça nous faisait la distance à laquelle on lançait la torpille. C’est comme ça qu’on mesurait ça. C’était marqué en centimètres.

D’habitude, ils étaient onze. Moi j’étais tout seul. Le capitaine, il branlait la tête pendant une secousse. « Tu étais tout seul ? » Je lui ai dit oui (rires). Puis quand il a entendu les gras là crier qu’ils voulaient me jeter à l’eau. Il est parti à la course il est venu me voir. Il a dit : « Si vous touchez à ce gars-là, il a bien fait ça, il dit, il nous a tous sauvé la vie. Si vous touchez à ce gars-là, c’est à moi que vous allez avoir à faire. Ils se sont fermés la boîte, les gars, puis ils ont disparu. Ils sont repartis le dos rond. (Rires.)

J’en ai lâché six (grenades sous-marines), tout seul. C’est un coup de cochon ! (Rires.) Pour moi, on a réussi, parce que le capitaine m’a avoué qu’on ne repérait plus le sonar. « He went down », ça voulait dire qu’il était allé au fond. On l’avait affecté.