Les Halifax [bombardiers] étaient très bons en basse altitude. Quand on grimpait au dessus de 10 000 pieds, les Lancasters [bombardiers] nous laissaient loin derrière. Eux pouvaient bombarder du haut de 23 à 24 000 pieds. Nous, on était chanceux si on pouvait seulement larguer des bombes par plus de 20 000 pieds. En fait, je suis rarement allé aussi haut que 21 000 pieds. Mais en bas de 10 000 pieds, on pouvait faire beaucoup de choses. Je vais vous dire. Un jour, un Américain est descendu avec sa Forteresse volante [le B-17, surnommé Flying Fortress]. Il s’en venait derrière moi et, comme il allait très vite, il s’est retrouvé à bâbord. Et bien sûr, il voulait courser. Nous, on était en vol juste pour une mission d’entraînement. Il est venu se placer juste à côté de moi en se rapprochant, alors je me suis dit, attends un peu, toi, je vais te montrer quelque chose. J’ai stoppé mon moteur gauche… Ouais. En tout cas, c’est ce que j’ai fait, et donc les pales se sont immobilisées. Et alors j’ai mis la gomme sur les trois autres moteurs et je lui ai fait mordre la poussière. Ça a été un moment de fierté dans ma vie parce que, jusque là, tout ce dont on entendait parler, c’était des Forteresses volantes, qu’elles nous feraient gagner la guerre et tout, vous savez. Alors, j’ai pu leur montrer qu’elles ne valaient pas mieux que ce qu’on avait. C’était pas mal.
C’était à notre troisième ou quatrième mission, une mission de jour, et on avait été atteints au côté gauche par un projectile. Des flammes sont sorties sur le coup. Et, comme vous le savez sans doute, on doit faire beaucoup d’entraînement au poste de pilotage avant de pouvoir piloter un avion. D’ailleurs, notre entraînement se faisait les yeux bandés quand on voulait mettre nos compétences à l’épreuve. Ça nous a sûrement servi à cette occasion, parce que, je m’en souviens, nous avions quatre boutons juste au-dessus de nos têtes. Je n’ai même pas regardé. J’ai juste fait comme ça et j’ai touché au bon bouton pour modifier le régime [ajuster l’hélice pour corriger une défectuosité d’un moteur] du moteur gauche. Le moteur s’est arrêté. Je n’étais pas sûr que ça marcherait, mais le moteur s’est arrêté. Et ça a activé un extincteur dans le moteur. Alors, c’était merveilleux, sauf qu’il y avait de la fumée qui en sortait. On était en plein jour. On ne faisait pas souvent de vols de jour, mais là, on venait de traverser le Rhin, il y avait des nuages épars et, heureusement, le bombardier principal, parce que la cible était dans le Ruhr et qu’elle était cachée par les nuages, il crie : « Feu à volonté! » Eh bien, ça voulait dire qu’on n’avait qu’à se choisir une cible, n’importe où, si on voyait un pont ou une gare ou quelque chose du genre. C’était incroyable d’être là, avec la fumée qui sortait du moteur. J’avais déjà perdu pas mal d’altitude. Et donc les autres 500 avions, ou je ne sais trop, étaient en haut, au-dessus de moi, et je prenais de l’arrière maintenant, avec plus que trois moteurs. Au moins, j’ai été capable de me débarrasser de mes bombes, sauf que je suis devenu une vraie cible, parce que tout le monde au sol pouvait voir la fumée. Mais heureusement, il y avait assez de nuages. Nous foncions vers la Hollande et là, le ciel était suffisamment couvert, donc en 10 minutes j’ai pu remonter au dessus des nuages. Ils pouvaient encore me détecter par radar, mais ils ne pouvaient pas vraiment me voir avec toute cette fumée qui sortait. Alors ils n’ont pas pu m’achever.
Une de mes expéditions les plus périlleuses, c’était au sud-ouest de Berlin. On avait été atteints à l’arrière, juste là où on avait un maître compas, qu’on mettait loin des vibrations des moteurs. Ce compas avait des répétiteurs [transmetteurs], un pour moi, un pour le navigateur et un pour le viseur de lance bombes. Eh bien, quand il a été touché, tous nos compas sont tombés en panne. Mais, heureusement, j’avais un P4 [compas magnétique portatif]. Quand on a eu largué nos bombes – on les a larguées à, disons, 18 000 pieds, on a eu des instructions sur l’endroit où descendre, à environ 3 000 pieds, et sur la direction à prendre pour rentrer en maintenant cette altitude. C’était la nuit, et on n’avait jamais fait ça. Les chasseurs de nuit nous ont repérés en un rien de temps. Ils ont rusé. Ce qu’ils faisaient, c’est qu’ils envoyaient un avion d’un côté pour lancer des fusées éclairantes. Moi j’étais au milieu. Les autres suivaient de haut mon trajet, de l’autre côté, à tribord. Et, bien sûr, les fusées éclairantes révélaient la silhouette de mon appareil. Alors on a eu un vol infernal. Ce n’était pas plaisant du tout!
Ensuite, on a franchi la frontière entre la Hollande et l’Allemagne. On comptait regrimper à 18 000 pieds. Jusque-là, mon P4 fonctionnait, tout allait bien. On commençait à monter et, bien sûr, on s’est retrouvés dans un gigantesque nuage cumuliforme. Mon P4 a commencé à s’affoler. Vous avez déjà entendu parler des feux de Saint-Elme? Eh bien, il y avait le pare-brise, et tout autour du pare-brise, des petites étincelles. C’était magique. Je n’en avais jamais vu avant. Nous voilà donc avec le feu de Saint-Elme et le P4 qui pointe dans toutes les directions. On se sentait perdus. Tout ce qu’on savait, c’était qu’on était proches de la frontière entre l’Allemagne et la Hollande. Le viseur de lance-bombes interrogeait le radar, il n’arrivait pas à déterminer notre position. Ça a l’air facile, mais ce ne l’est pas (rires). De toute façon, il ne pouvait rien détecter. On continuait toujours de monter, et on était très près d’être à 18 000 pieds. On était toujours dans le nuage et il y a eu une lumière, une lumière brillante. Il m’avait semblé que c’était plus bas à bâbord. Je pilotais assis sur le siège de gauche. Alors, je regardais cette lumière et, d’après moi, elle est au sol. Bien sûr, j’ai commencé à tourner. J’étais assis à une bonne place, parce que je la voyais bien, cette lumière. Mais, ce qui était vraiment en train de se passer, c’était qu’elle s’en venait dans notre direction. Je la regardais monter. Je me trouvais au-dessus, comme ça. Parce que la lumière était rendue là, maintenant. Je pensais encore qu’elle était au sol. J’ai consulté mes instruments, et je n’arrivais pas à y croire. Déjà que notre P4 indiquait n’importe quoi, je me suis dit que, peut-être, tous mes instruments étaient détraqués. Je m’en venais à près de 2 000 heures de vol à ce moment-là, alors j’avais beaucoup d’expérience. Malgré ça, il m’a fallu un gros effort pour me convaincre de me fier de nouveau à mes instruments.
Eh bien, j’ai fini par y arriver, et ce qui nous a vraiment sauvés, c’est que mon artilleur à l’arrière a crié que c’était une V2 [missile de longue portée Vergeltungswaffe 2]. Oui, une fusée V2 avait été lancée de la surface, et elle pointait en direction de Londres. Elle montait en décrivant un arc, comme ça. Alors, j’ai modifié ma position, j’ai suivi la montée de la V2 et, bien sûr, je me suis retrouvé au-dessus, comme ceci. Eh bien, ça a vraiment sauvé la situation, si je puis dire, et ça nous a plus ou moins situés, parce qu’on était maintenant au courant qu’ils tiraient des fusées V2 des environs de Zuider Zee. Et Zuider Zee était un bon point de repère, qui a permis au viseur de lance-bombes de nous positionner sur le radar. Ça a sauvé la situation. À partir de là, on est sortis du nuage et, après environ encore 10 minutes, on est rentrés sains et saufs, sans aucun autre problème pour le restant du vol.