Project Mémoire

Kenneth Cavendish

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Le NSM <i>Tuna</i> retourne à Holy Loch en Écosse, exhibant le pavillon à tête de mort après avoir coulé le U-644 (le deuxième des quatre U-boote) le 26 août 1943. M. Cavendish est sur la tourelle dans le rang du haut à l’extrême gauche.
NSM <i>Tuna</i>, M. Cavendish est le 4<sup>ème</sup> sur la gauche du sous-marin, le plus proche de la tourelle de commandement
M. Cavendish en compagnie de Jill Salter, sœur du Vice Amiral Richard Leir, qui remercie au nom de la famille Leir la <i>Naval Veterans Association</i> à Penticton d’avoir installé une plaque commémorative dédiée à Richard Leir et son service dans l’armée. 100<sup>ème</sup> anniversaire de la marine canadienne en 2010.
Le navire d’entreposage NSM <i>Forth</i>, 3<sup>ème</sup> flotille de sous-marins, Holy Loch, Argyll et Bute en Écosse. Sous-marins visibles sur la ligne de flottaison : NSM <i>Una</i>, <i>Votary</i> et <i>Satyr</i>
L’équipage du NSM <i>Torbay</i> rentre chez lui dans la (base de sous-marins) NSM <i>Dolphin</i> à Gosport au Royaume-Uni.
Mais après coup, vous réalisez subitement, parce que votre commandant vient tout juste de vous le dire, qu’à peine quelques secondes après qu’on l’ait été éperonné, ses torpilles étaient, deux d’entre elles, se sont propulsées dans notre direction ou passées sur le côté.

Quand j’avais13 ans et que j’étais encore à l’école, je rendais visite à un oncle qui avait auberge de campagne vraiment chouette à Gloucestershire et j’avais l’habitude de passer mes vacances d’été chez lui parce qu’il avait toujours, comme vous pouvez vous en douter, quelques chevaux superbes. Pour un enfant c’était un endroit merveilleux où passer les vacances. Pendant que j’étais là, un de ses amis d’école a débarqué et il rentrait tout juste de la China Station, le Lieutenant Tubby Linton, qui est devenu après le Commandant Linton, sous-marinier récipiendaire de la Croix de Victoria. Et moi je suis là assis à ses pieds dans les brumes de la nuit rêvant ou bavant en entendant toutes ces histoires de contrées lointaines, un voyage ici, un voyage là. Mais évidemment, c’était bien là la motivation ; je n’avais nullement l’intention d’aller n’importe où ailleurs quand mon tour viendrait.

Et une chose quand je me suis enrôlé, j’attendais dans la queue, avec en poche une lettre prétendument signée de mon père, me donnant la permission de m’engager à l’âge de 17 ans. Et je suais à grosses gouttes, pour être tout à fait honnête avec vous, pensant qu’ils allaient réaliser ceci, comment se peut-il, et patati et patata. Mais c’était inutile de s’inquiéter parce qu’aussi longtemps que je pouvais me tenir debout, marcher et respirer, ils avaient tellement désespérément besoin de nouvelles recrues à cette époque, je crois qu’ils auraient même recruter Mickey.

Mon tout premier bateau opérationnel qui se trouvait être le (NSM) Tuna, un sous-marin, et au cours du tout premier voyage opérationnel, le Tuna a coulé un U-boote, le U-644 du côté du cap Nord. Et à nouveau ce fut une terrible leçon parce que je crois qu’il était aussi surpris de se retrouver nez à nez avec le Tuna que le Tuna l’était de le trouver là dans ces circonstances. Ça n’a pas tellement d’importance, mais après coup, vous réalisez subitement, parce que votre commandant vient tout juste de vous le dire, qu’à peine quelques secondes après qu’on l’ait été éperonné, ses torpilles étaient, deux d’entre elles, se sont propulsées dans notre direction ou passées sur le côté. Ça vous rappelle instantanément que vous avez intérêt à être sacrément bon dans ce que vous faites parce que si ce n’est pas vous, si ce n’est pas eux, c’est vous, disons.

On n’avait pas les vêtements chauds et tous les trucs merveilleux qu’ils ont aujourd’hui. C’est intéressant de repenser à ça, ce qu’on portait là-bas quand la température était si épouvantablement basse et le vent si mauvais ? Et je me souviens, je suis sûr qu’il y a des gens que je connais, des camarades de bord qui rigoleraient bien s’ils savaient que je portais tout le temps un pyjama sous ma tenue de la marine et aussi que j’avais chipé une paire de, n’oubliez pas à l’époque c’était des bas en soie parce qu’il n’y avait pas de collants en ce temps-là, que j’avais piqués à ma mère. Oh je sais que je m’assurais bien que les chauffeurs à l’arrière ne regardaient pas quand j’enfilais ces bas de soie parce qu’il y aurait eu du grabuge sur le bateau, j’en suis sûr.

Je me voyais en train de nager dans des eaux tropicales et de passer deux semaines allongé sur la plage, ho ho ho, à rattraper mon manque de soleil. On est arrivés à 23 heures à la base de sous-marins et à 6h30 le lendemain matin j’étais à bord du bateau patrouilleur pour aller rejoindre le (NSM) Torbay, dont le viseur d’armes venait juste de partir à l’hôpital. À ce moment-là j’étais moi-même viseur d’armes. Et je me souviens très nettement sur le bateau patrouilleur, or c’était plutôt audacieux de ma part, mais rappelez-vous que j’avais 19 ans, le Commandant Ant (Anthony) Miers, un homme fantastique qui avait déjà gagné une DSM (médaille du service distingué) et une barrette, et de fait, bien qu’on ne le sache pas encore, il avait reçu la Croix de Victoria mais ça n’avait pas encore été annoncé à ce moment-là et je n’étais pas au courant et heureusement (rire) je n’ose imaginer ce que j’aurais dit si j’avais su ça, sans doute demandé mon retour.

Mais en tout cas, alors que le bateau patrouilleur se rangeait le long du sous-marin, ce grand homme est là sur la tourelle de commandement et j’ai eu l’audace incroyable de lui dire, et voilà un homme qui peu après est devenu amiral dans les sous-marins, un homme extraordinaire, extraordinaire. Quoi qu’il en soit, j’ai eu l’audace, je suis un garçon de 19 ans et tout à coup je me vois prendre la mer à bord de ce monstre, remplaçant le viseur d’armes, et je dis : « Vous savez mon commandant, ce n’est pas de moi dont vous avez besoin, je suis matelot de deuxième classe et ce que vous voulez vraiment c’est un matelot de première classe. » Et à ma grande surprise, ça m’a vraiment interloqué, il m’a appelé par mon nom et il a dit : « Cavendish » et il me parle de là-haut, de la tourelle de commandement et moi je me trouve dans le patrouilleur qui se tient sur le côté, « Si je vous comprends bien, on va faire une bonne paire tous les deux. » Ouah ! Et cette chaleur humaine qui émanait de lui, sa chaleur m’a enveloppé tout entier, et j’ai pensé, ouah, quel sacré bonhomme. Et puis il a tout gâché en disant : « De toute façon, ils n’ont personne d’autre que toi. » (rire)

Le viseur d’armes est le gars qui s’occupe du canon. Vous ouvrez la trappe du canon, ça dépend du bateau, vous ouvrez la trappe du canon quand vous êtes encore à cinq mètres sous l’eau alors vous êtes trempé avant même de commencer. L’eau rentre, vous êtes debout sur la plateforme du canon, vous avez ce sacré truc, le viseur d’armes positionne les canons, ce que je veux dire par là c’est que vous trouvez l’angle du canon pour expliquer ça un peu mieux et le viseur le braque à gauche ou à droite ou bâbord et tribord. Le viseur d’armes s’occupe de l’élévation, en haut ou en bas, ça dépend de ce dont vous avez besoin.

Le (NCSM) Darthema a été détaché pour être le vaisseau mère des trois sous-marins de poche, des X-Craft, qui avaient été envoyé pour faire des relevés sur les plages en janvier 1944. Or, les relevés sur les plages ont été demandées parce que l’Amiral (Bertram) Ramsey, qui était l’Officier supérieur de la Marine chargé de la planification du jour J, et son équipe, ont décidé qu’il serait ridicule d’envoyer du matériel lourd, des chars et des véhicules blindés, de l’autre côté de la Manche si leur débarquement… Ils avaient eu des problèmes avec les véhicules à Dieppe il me semble. Je ne sais pas si c’est un fait réel, mais je me souviens en avoir entendu parler. Et l’idée c’était d’envoyer les hommes-grenouilles, ce n’était pas un terme qui était utilisé mais c’était les nageurs qui partaient faire ces relevés ou des tests de densité et prélever des échantillons de sable sur les différentes plages. Et ils sont partis de Dieppe sur toutes les côtes dans le coin. Il me semble me souvenir qu’ils ont fait 33 expéditions sur les plages. Mais elles ont été effectuées par six remarquables commandos de marine et il se trouvait que j’étais à bord du Darthema quand il a été affecté à la tâche de vaisseau mère pour abriter les trois sous-marins de poche qui venaient accoster là, ce qui me ravissait, et les six commandos.

La manière dont ça se passait, les sous-marins de poche les emmenait jusqu’à sept kilomètres du rivage et puis il ramaient jusqu’au rivage, êtes-vous prêt, avec un outil pour les tranchées, creusaient dans le sable pour enterrer leur canot pneumatique, recueillaient des échantillons prélevés sur la plage dans ces tubes de bambou évidés d’une trentaine de centimètres de hauteur et ma contribution à moi c’était, souvenez-vous, c’était d’avoir le grand privilège d’aller à l’hôpital ou l’infirmerie à Portland pour récupérer autant de préservatifs que je pouvais parce que c’était le truc imperméable le moins cher qu’on avait trouvé pour sceller les échantillons à l’intérieur des tubes de bambou. Un truc épatant.

Ils pouvaient ainsi rapporter les échantillons pour les faire tester, afin de savoir si oui ou non c’était assez solide, si la plage était assez solide pour supporter le poids des véhicules blindés, chars, camions et tous ces trucs, qui faisaient un poids considérable, comme vous pouvez facilement l’imaginer. Et certaines plages qui avaient été testées se sont révélées être inadéquates. Ce qu’il y avait de triste dans cette histoire, de mon point de vue, je sais qu’on avait offert à nos amis américains les résultats de nos recherches, qui ont pris ça de haut en disant qu’ils étaient capables de conduire leurs propres recherches, merci beaucoup mais non, ils n’en voulaient pas. Mais franchement, je pense qu’ils auraient pu s’en servir plus tard.

Plonger de notre point de vue dans les sous-marins, ça voulait tout simplement dire pour la plupart d’entre nous porter ce qu’ils appelait un DES escape tank, c’était un équipement qui s’appelaient des Davis Escape Apparatus Tank, et il s’agissait d’un cylindre avec une autonomie d’une vingtaine de minutes à cette époque, que vous portiez autour du cou et placiez un tube dedans, vous savez, un truc dans votre bouche et un pince-nez. Et ça avait été conçu à l’origine pour des situations d’urgence au cas où le bateau rencontre un problème au fond de l’océan ou n’importe où, où si un câble ou un tuyau se coinçait autour d’une hélice, et avec un peu de chance ça vous permettait d’avoir assez de temps pour sortir, inspecter les dégâts, revenir et rendre compte de la situation et le cas échéant avec un autre réservoir, ressortir et dérouler le câble ou autre. C’était toute l’étendue de mon expérience de plongeur à ce moment-là.

J’ai toujours pensé que l’humour qui régnait dans tout le bateau, la Marine avait un sens de l’humour qui lui était propre et c’était l’humour qui sauvait la mise. Je peux dire en toute conscience que j’ai été particulièrement fier d’avoir servi dans la Marine royale.