Je m’appelle Ken Maslen, M-A-S-L-E-N. Je suis né à Londres en mars 1924. Et bien, la RAF était à la recherche d’hommes avec l’expérience de la mer pour leur tout nouveau service de sauvetage en mer et aérien. Et j’ai pensé, ça me paraît vraiment bien. A l’écart des gros bateaux, sur des petits bateaux. Les gens me demandent, je dis toujours que j’ai participé à 73 sauvetages, mais je crois que c’est plutôt de l’ordre de 53. Vous savez, chaque année qui passait, je grossissais le nombre de un ou deux. Mais c’était environ, dans les 50 de toute façon, les sauvetages auxquels j’ai participé.
Maintenant, en 1943, il y avait d’importants raids aériens avec des grands bombardiers quadrimoteurs qui faisaient la traversée. Bon, dans les premières années, c’était tous des chasseurs, des avions de chasse. Et on allait, on était stationné sur la côte sud de l’Angleterre, on nous donnait un horaire pour nous rendre à ce qu’on appelait un rendez-vous dans la Manche. C’était avant l’aube. On était disons à 20, 25 milles au large dans la Manche, on éteignait nos moteurs et on attendait tout simplement. Et puis à une certaine heure, ces chasseurs sillonnaient le ciel juste au dessus de nous en direction des côtes françaises ou hollandaises ou belges. Et on était de garde là à attendre jusqu’à ce qu’ils reviennent. Or, régulièrement, on éteignait nos moteurs et on retournait à notre position initiale. Mais on était là à ce qu’on appelait le rendez-vous.
Bon, un sweep (une offensive qui consiste à rechercher et à détruire les avions ennemis) durait environ une heure et quart, une heure et demi. Alors on attendait au large jusqu’à ce que ces avions reviennent. Et s’il en manquait un, si c’était dans notre secteur, on recevait un appel de détresse et on partait à sa recherche. Et en général c’était des chasseurs, seulement un pilote dans l’avion. Et c’est là que ça commençait à être amusant, la recherche.
Bon, on recevait une position où le pilote avait dû être descendu en principe. Or, la Manche avait de fortes marées à un moment donné. Ça montait et ça descendait. Alors on vous donnait une position, on mettait le cap à trois ou quatre milles nautiques au large de cette position et ensuite on avançait comme pour aller à la rencontre du pilote. Et puis on y allait pour le trouver. Si on n’arrivait pas à le retrouver, on entreprenait ce qu’on appelait un ratissage en carré. On se mettait en place, on partait à l’est, on allait au sud, au nord, à l’ouest, comme dans un carré. Et le temps passant si on ne le trouvait pas, on agrandissait le carré et puis encore et encore. Et si on ne le trouvait pas, on était vraiment très malheureux. Et c’est arrivé évidemment bien des fois parce qu’un pilote peut envoyer un signal pour dire qu’on l’a descendu mais il peut ne pas survivre à l’accident. On le sortait de là, on le mettait sur le pont arrière, on lui mettait une petite bâche ou une couverture dessus et on le ramenait à la maison. On ne le laissait pas en mer.
Quelquefois, il faisait tellement mauvais, on était secoués, chahutés, et vous ne pouviez pas attraper les gens. Même s’ils se trouvaient dans un canot de sauvetage, vous ne pouviez pas les attraper. Alors vous restiez avec eux, jusqu’à ce que ce soit possible. Le gros problème c’était que parfois vous trouviez des gens de la marine marchande qu’un bateau avait fait exploser et ils en étaient descendus et ils étaient sur un radeau en bois assez grand. Et la mer était démontée ; c’était très difficile de se mettre le long pour les prendre parce que le radeau se jetait contre votre bateau et pouvait même y faire un trou. Alors on avait l’habitude d’attendre jusqu’à ce que ce soit plus calme ou attendre qu’un plus gros bateau se présente et les prenne en charge, un navire de la marine par exemple. Mais on restait avec eux, on ne les laissait pas.
En général ils n’étaient pas très bavards mais on les déshabillait, on leur mettait des vêtements chauds, on les enroulait dans des couvertures et on leur donnait quelque chose de chaud à boire, ça pouvait être du rhum qu’on leur donnait. On les frictionnait on leur faisait un bon massage, on réactivait leur circulation et là ils parlaient. En général les premiers mots qu’ils prononçaient c’était – on rentrait à la base et ils disaient – Où allez-vous ? Et on répondait, on va à Newhaven. Oh ne pouvez-vous pas aller à Littlehampton, c’est là où se trouve ma base aérienne. Ils voulaient retourner à leur base immédiatement.
On a été attaqués à huit milles environ au large de Littlehampton une fois. On a été mitraillés par un Focke-Wulf allemand. On était sur le chemin du retour et à l’ombre, il y avait en fait deux chasseurs qui nous sont tombés dessus, l’un d’eux nous a envoyé une bonne rafale, nous a fait prendre feu et il a fait demi-tour et est reparti chez lui, l’allemand. Et on a eu des victimes.
En fait, je vais vous raconter quelque chose là tout de suite, à cette minute même, parce que j’ai eu ce truc. Je suis en train de regarder un très vieux stylo encre Waverley. Il était noir – de couleur noire. Il est maintenant d’une couleur verdâtre. Je l’ai depuis le milieu de l’année 42 et il appartenait à notre opérateur radio qui s’appelait Johnny Thomason et qui a été tué ce jour-là. Et aussi deux autres personnes ont été tuées ce jour-là.
Mais il, c’était quelqu’un de spécial pour moi. On avait l’habitude de sortir ensemble tous les deux, on dormait dans la même cabine et vous savez, vous avez toujours quelqu’un sur qui vous appuyer et il était l’opérateur radio, il avait un canon de 20 mm rien que pour lui. Et les deux autres gars, bon, ils faisaient partie de l’équipage mais vous êtes tout chamboulé quand vous perdez quelqu’un, et notre bateau a été coulé de toute façon et vous êtes tout chamboulé mais très vite vous vous reprenez parce vous rentrez et on vous met sur un autre bateau et on vous renvoie en mer immédiatement. Vous ne passez pas un instant au port à pleurer et sangloter. Vous partez au large.
Bon, on est allés à Singapour. On a fait beaucoup de recherches. Notre boulot à cette époque c’était, il n’y avait pas beaucoup de sauvetage air/mer mais on était au cœur de ce qu’ils appelaient le détroit de Malacca qui est là en bas entre la Malaisie et l’Indonésie, des quantités d’îles. Et on est passé par toutes ces îles pour savoir s’il y avait des prisonniers de guerre alliés là-bas. On allait les chercher et on les ramenait à Singapour. On a fait ça pendant, oh trois ou quatre mois juste après la guerre. On a trouvé quelques australiens, anglais et deux américains.
Ils n’étaient pas en aussi mauvais état que certains qu’on a vus… en prison mais ils étaient, ils n’étaient pas en très bonne santé du tout. Ils étaient heureux qu’on soit venus là ; ils étaient très maigres évidemment. Ils n’avaient pas été nourris correctement. Mais on leur a dit que leur régime se serait du poisson, on pêchait beaucoup de poisson. Alors ce n’était pas si mal, n’est-ce pas ? Quelquefois deux ou trois heures, on était de retour à Singapour et on envoyait un message par radio et il y avait des ambulances qui les attendaient, pour les emmener à l’hôpital.
Personne n’est mort sur nos bateaux avant, ils étaient tous en vie. Et ils étaient, ils étaient heureux d’être avec nous. Vous voyez, ça les faisait se sentir bien quand on les prenait. En fait ils nous attendaient parce que les japonais leur avaient dit, que la guerre était terminée. Chaque fois que vous regardiez un japonais, il se tenait debout et vous saluait et vous appelait Maître, oui Maître, non Maître, vous avez des cigarettes pour moi Maître ? Tous ces vieux trucs. Mais on ne leur donnait pas de cigarettes, on ne leur donnait rien du tout.