Kenneth Harvey Curry a servi dans la Seconde Guerre mondiale. Vous pouvez lire et écouter le témoignage de Kenneth Harvey Curry ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Tout le monde connaît le raid sur le port français de Dieppe, ça n’a pas été de tout repos. Nous devions arriver en pleine nuit, mais le soleil brillait encore à notre arrivée. C’était une chaude journée d’août (19 août 1942) et lorsqu’on a déployé la passerelle, c’était très calme : aucun coup de feu, pas de bruit assourdissant. Et puis, bien sûr, nous étions dans la première vague qui a frappé White Beach (nom de code), qui se trouve en plein centre de la ville de Dieppe, et dès qu’on a déployé la passerelle, nous nous sommes enfuis, car les Allemands ont ouvert le feu. Ils nous abattaient à gauche et à droite. Nous sommes arrivés derrière une chenillette porte-Bren et le véhicule a été directement attaqué; aucun membre de l’équipage n’a survécu. Nous nous sommes donc arrêtés juste avant et avons trouvé refuge à cet endroit. Nous avions un mortier de 3 pouces et les 30 bombes que transportait le véhicule; c’était un bon abri contre la folie meurtrière en cours.
Notre attache était la compagnie C (Royal Hamilton Light Infantry), qui se trouvait sur le bateau d’assaut à notre gauche. Ils sont arrivés juste un peu derrière nous et ont détruit le quartier général de la compagnie C. Certains des hommes du quartier général devaient nous aider à franchir le mur avec notre petit chariot qui transportait nos bombes de mortier et le mortier. Notre mission consistait à retourner dans les casernes allemandes, les chars allaient les piétiner alors que déclenchions un barrage de mortier pour les anéantir. Comme je disais, nous n’avons pas pu franchir le mur, nous avons perdu, je crois, trois de nos porteurs de munitions qui devaient aussi nous aider : il ne restait que nous trois. Alors on a lancé les 30 bombes. J’avais une idée de l’endroit où se trouvaient les casernes, donc au lieu de nous mettre un peu plus à l’abri, nous nous sommes levés et débarrassés de ces bombes parce que si nous avions pris un coup, nous ne nous en serions pas sortis.
Nous avons donc tiré les 30 bombes vers l’endroit où se trouvaient les casernes allemandes; je ne connais pas l’ampleur des dégâts causés parce que nous ne pouvions pas voir ce qui se trouvait derrière les bâtiments. Après avoir épuisé toutes nos munitions, nous sommes restés allongés et n’avons pas osé bouger jusqu’à ce que les choses se calment un peu. Je veux dire, la plage était jonchée de morts et les tirs venaient de partout, l’artillerie était là et tout et nous étions tous accroupis.
Nous n’étions plus que trois et un des deux autres, situé entre moi et la troisième personne, a pris une balle dans la jambe. Je ne sais pas comment la balle a pu me manquer ou manquer l’autre gars et frapper celui du milieu. Mais quoi qu’il en soit, ils ont dressé un écran de fumée après que nous eûmes passé environ quatre heures là, et nous avons dû nous retirer. Il y avait tout un tas de blessés et de morts à côté de moi, dont un major blessé. Mon ami était blessé à la jambe, et un gars est arrivé avec quatre prisonniers de guerre allemands et j’ai dit : « Écoutez, donnez-moi ces gars et nous garderons ce major avec nous. » Bien sûr, nous étions dans la fumée.
J’ai pris un brancardier à proximité pour le major. J’ai attrapé mon ami blessé et je l’ai aidé, il pouvait boiter et n’avait pas eu d’os cassés, même si sa jambe était en assez mauvais état. Je l’ai accompagné jusqu’au bateau, je l’ai placé à bord avec le major et j’avais encore les prisonniers allemands; le barreur du bateau m’a alors dit qu’il ne prenait que des blessés. Il y avait un gros navire-mère à côté de nous, j’ai fait signe aux Allemands de monter à bord. Je suis monté à bord de cette grosse péniche de débarquement avec les quatre prisonniers de guerre allemands dont je m’étais servi pour transporter le major. J’y étais depuis 15 minutes à peine qu’elle a été assailli de coups et qu’elle s’est mise à couler. J’ai alors dit aux Allemands de sauter, qu’ils devaient se débrouiller par eux-mêmes.
Alors j’ai sauté dans l’eau et j’avais ce qu’on appelle un Mae West (gilet de sauvetage gonflable) et je l’ai gonflé et j’ai commencé à nager pour m’éloigner de toute cette pagaille. Pendant que je nageais, je voyais de petites éclaboussures et je pensais que c’était des poissons, mais je me suis rendu compte que c’était des balles. On me voyait bouger depuis la plage et je suppose qu’on me tirait dessus depuis les bâtiments. Alors j’ai cessé de nager et j’ai commencé à aller sous l’eau pour m’éloigner jusqu’à ce que j’aie parcouru une bonne distance.
Je n’étais qu’en sous-vêtements, j’avais jeté tous mes vêtements, mes bottes, mon revolver et tout le reste. La seule chose que j’avais gardée, c’est une ration de chocolat. Quand je suis arrivé sur le rivage, je me suis allongé et j’ai mangé le chocolat. Il y avait des corps et des gilets de sauvetage qui flottaient partout et j’en ai regardé quelques-uns, à la recherche de mon frère, un peu stupidement, je le conçois.
J’ai aperçu un ravin assez loin, peut-être à environ un kilomètre dans les falaises et je me suis dit que j’allais marcher jusque-là et me relever une fois parvenu parce que les falaises étaient abruptes. J’ai atteint le ravin : il y avait de gros rochers qui sortaient de l’eau et un Allemand a surgi derrière, pointant une arme sur moi, et a dit de mettre les mains en l’air, du moins c’est ce que j’ai compris. J’ai mis les mains en l’air, mais étonnamment il ne m’a pas tiré dessus, mais là encore, je n’étais qu’en sous-vêtements et je suppose que je n’avais pas l’air menaçant. On m’a donc emmené au sommet des falaises où il y avait environ cinq autres Canadiens, dont certains étaient blessés. Nous sommes restés assis là un moment, puis on nous a mis dans un camion et emmenés dans une usine vide. C’est là qu’ils entassaient les blessés et tous ceux qu’ils pouvaient ramasser.
Quand je suis entré, il y avait un gars que je connaissais, et je lui ai demandé s’il avait vu mon frère. Il m’a dit que oui, il était là. Je suis descendu, j’ai vu ce type et je lui ai demandé s’il avait vu mon frère, Norm. Il a répondu qu’il était là, allongé et profondément endormi. Je suis allé le voir, je l’ai secoué, je l’ai réveillé pour lui montrer que j’étais là. Il s’est mis à pleurer. Moi aussi. C’est ainsi que je suis entré en captivité.