Transcription
Puis en 1942, plus ou moins au début, on m’appelle soudain à l’école. Un policier s’est présenté à la maison pour me dire que j’allais m’enrôler dans l’Armée rouge. Je l’ai simplement regardé tandis qu’un autre homme me parlait en polonais. « Non, disait-il, nous mettons sur pied l’armée polonaise, mais les Russes veulent que tous les Polonais se joignent à leur armée. Vous avez le choix. » Naturellement, tout le monde s’est joint à l’armée polonaise.
On nous a fait monter à bord d’un navire pour nous mener directement en Irak, en Iran et en Palestine. Dès notre arrivée, nous avons eu beaucoup à manger. Puis nous sommes allés en Écosse, et là encore, on a fait du recrutement. J’ai fait deux ans d’entraînement pour faire partie du peloton des éclaireurs. Puis quelques jours plus tard ou à peu près, ce fut le Jour J et notre peloton s’est retrouvé sur une plage de Normandie. Il y avait environ 16 000 hommes dans notre division, qui faisait partie du Premier Corps canadien du lieutenant-général Simonds. Avec l’armée canadienne, j’ai donc participé à la Bataille de Normandie et à la bataille de la poche de Falaise.
Deux mois plus tard, notre division a reçu l’ordre du général canadien Simmons d’aller chercher des munitions et des vivres. Deux principales routes menaient à la ligne de défense allemande. Mais les Allemands se préparaient et ils défendaient âprement cette route de ravitaillement, avec beaucoup de chars Tiger [de lourds chars allemands], des mitrailleuses et tout le reste. Bref, il n’était pas facile d’accomplir notre mission. Puis soudain, des bombardiers furtifs, des avions américains et britanniques ont largué pendant deux jours des tonnes de bombes. Et je me suis demandé ce qui allait arriver, ignorant tout de ce qui se préparait à la poche de Falaise.
Quand notre division s’est finalement mise en branle, environ deux heures plus tard, deux avions américains sont apparus et ont commencé à nous bombarder. Puis ils se sont arrêtés et, de toute façon, nous avions rejoint la route principale, deux en fait. Il y avait le champ Mont Ormel [colline 262, « the Mace »], où il y a eu de terribles combats. Nous avions alors franchi les deux routes pour atteindre la poche de Falaise et « boucher la bouteille », comme je le disais. Or les Allemands n’avaient plus rien à manger et se sont rendus trois jours plus tard. Mais notre division allait encore mener une autre rude bataille, dans la ville de Chambois il me semble.
Les Allemands arrivaient vers nous et, naturellement, nous avons ouvert le feu avec nos mitrailleuses et toutes les armes que nous avions. Ils ont alors pris la fuite dans l’autre direction. Puis nous avons repéré d’autres combattants en plein champ, mais il y avait autour de nous des buissons aux trois quarts et, de l’autre côté, entre l’armée canadienne et nous, s’étendaient un champ et un autre buisson sur un kilomètre ou un kilomètre et demi. Soudain, on s’est mis à tirer de ce buisson où se trouvaient des Allemands qui tentaient de fuir. Au bout d’une heure, nous étions à court de munitions. Le sergent d’État-major s’est alors écrié « Prenez tout ! », et nous avons capturé plein de prisonniers, de même que leurs mitraillettes et leurs munition. « Prenez les mitraillettes allemandes ! », c’est ce qu’il avait dit, et nous les avons utilisées jusqu’au lendemain soir. C’est ainsi que nous avons empêché les Allemands de nous attaquer, avec leurs propres armes et leurs propres munitions.
Plus en avant, l’un des hommes qui amenait des prisonniers allemands s’est soudain adressé à moi : « À un demi-kilomètre environ dans les buissons, me dit-il en m’indiquant l’endroit, il y a deux soldats polonais et quatre allemands blessés aux jambes. Un des Polonais a même les deux jambes coupées. Tu peux trouver quelqu’un pour les ramener ici ? » Et le lieutenant a dit : « Si tu te portes volontaire, tu peux y aller. » J’ai alors pris mon sergent, armé bien sûr, réquisitionné trois chars et dit à mes hommes : « Allons voir si nous pouvons les aider. »
Nous avons roulé environ un quart de kilomètre jusqu’au champ de bataille. Et on n’oublie jamais ce qu’on y a vu quand on regarde les photos, ces champs jonchés de cadavres de soldats allemands et polonais, de chevaux, de chars et de camions, le tout dans un immense fouillis. Nous avons dû abandonner nos chars car on ne pouvait passer. Nous avons avancé d’un autre quart de kilomètre et quelqu’un a crié « Ici, ils sont ici ! » Alors j’arrive et ils sont là, assis, dans une chaleur de 80 ºFahrenheit, entourés d’une nuée de mouches. Et ils avaient retiré leurs chemises pour se couvrir les pieds et se protéger des mouches. Nous emmenons ces blessés et je remarque pour la première fois que les deux Polonais parlent l’allemand. Et ils se mettent à parler en se serrant dans leurs bras. « Ces pauvres Allemands, disaient-ils, c’était des fermiers eux aussi et ils attendaient simplement de se rendre. »