Project Mémoire

Leonard Bookie Bookbinder

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Leonard Bookbinder
Leonard Bookbinder
Fanion du HMCS St Pierre appartenant à Leonard Bookbinder, novembre-décembre 1944.
Leonard Bookbinder
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Leonard Bookbinder
Photo prise au HMCS Cornwallis N.S., mai 1945, et photo de Leonard Bookbinder et sa femme.
Leonard Bookbinder
Tous les matins, un gars traversait nos quartiers en courant avec sa trompette pour nous réveiller. Je dis « en courant » parce que nous lui lancions nos bottes dès qu’il sonnait de la trompette.
Durant mon entraînement, j’ai appris comment laver des chaudrons et des casseroles dans la cuisine. Je ne sortais pas beaucoup, parce que je ne parlais pas français et qu’en fait, il n’y avait pas grand chose à faire. On nous présentait des films et, de temps en temps, il y avait des danses dans la salle d’exercices. Les membres du personnel des cuisines étaient toutes des femmes de la place; elles servaient les repas et détestaient le ragoût de mouton. Tous les matins, un gars traversait nos quartiers en courant avec sa trompette pour nous réveiller. C’était Alan Rouse, un gars de Winnipeg. Je dis « en courant » parce que nous lui lancions nos bottes dès qu’il sonnait de la trompette. Nos quartiers étaient à côté de la salle à manger, et des filles paradaient sous nos fenêtres trois fois par jour. Pauvres petites. Elles se faisaient siffler trois fois par jour. Nous apprenions le code Morse chaque jour et nous entendions les codes même en dormant. Nous avions très souvent des examens. Quand nous finissions le cours, nous devenions de télégraphistes de 3e classe. Je suis sorti de Saint-Hyacinthe [Québec] comme télégraphiste (« opérateur spécial »). Nous étions entraînés à écouter les communications dans les deux sens entre les U boot et leurs bases en Europe. Nous devions aussi calculer les distances et les relèvements, et il nous fallait les données de deux navires de surveillance pour obtenir la position exacte d’un U boot. C’est juste avant la fin de la guerre seulement que j’ai entendu les communications d’un U boot. À ce moment, il y avait une foule de signaux de U boot. Pour un jeune de 18 ans, Montréal, c’était comme Sodome et Gomorrhe : des cigarettes, de l’alcool et des filles. Certaines organisations présentaient des danses les fins de semaine. Par bonheur, j’avais 18 ans et je possédais l’énergie pour tenir deux jours. En réalité, ce n’était pas si mal, et il y avait beaucoup d’autres choses à faire. En mer, après une période de vie facile, on m’a envoyé à Halifax. Beaucoup de gars se plaignaient qu’il n’y avait rien à faire parce que les mères enfermaient leurs filles sous clef les fins de semaine. Je suis parti en mer en décembre 1944, à bord d’un dragueur de mines de la classe Algerine qui portait le numéro J397 [NCSM New Liskeard]. J’ai eu le mal de mer mais, heureusement, au bout d’un jour ou deux, je me suis habitué. D’autres avaient constamment le mal de mer et étaient habituellement affectés à terre. À bord, nous vivions ensemble, les signaleurs, les codeurs et les télégraphistes, dans la salle des communications, un espace confiné, à la proue. Nous étions environ dix-huit. En mer, nous avions deux quarts de vigie : quatre heures de garde et huit heures de repos. Dans notre espace, des deux côtés, se trouvaient des bancs coussinés. Les bancs étaient aussi des casiers où nous rangions tous nos effets personnels. Il y avait une table où nous prenions tous nos repas. Toute la nourriture était préparée dans la cuisine et apportée dans les différents mess. Chacun devait effectuer cette tâche à son tour. Nous dormions dans des hamacs très confortables : le roulis et le tangage nous berçaient comme des bébés dans les bras de leur mère. Le hamac nous enveloppait. Nous ne pouvions tomber que lorsque nous y montions ou nous en descendions. Cela demandait d’être en forme, parce qu’il fallait alors s’agripper à des barres au plafond. Quand nous ne nous servions pas des hamacs, il fallait les décrocher et les ranger. Tout devait être propre et à l’ordre parce qu’il y avait des inspections régulièrement. Nous devions nous assurer que nos hamacs étaient propres. Pour cela, chaque homme apportait son hamac avec lui sous la douche, après s’être complètement déshabillé, puis le transportait sur le pont et le brossait avec de l’eau et du savon. Comme vous pouvez voir, nous étions très intimes. Qu’est-ce que je peux vous dire d’autre… d’avoir passé ce temps à bord d’un navire avec mes camarades restera l’un des moments les plus forts de ma vie. La guerre, c’est horrible. J’ai eu la chance d’éviter l’horreur. Nous n’avons tué que des poissons quand nous larguions les grenades sous marines.