On avait installé les communications dans cette cour de ferme, qui avait la forme d’un U. Les étables étaient au nord et l’habitation principale à l’est ; et au sud il y avait tout le foin et la nourriture pour tout le bétail qu’ils avaient. J’avais installé les communications dans une des stalles qui avait un peu de place.
Et cette nuit-là, à 7 heures environ, ça s’est mis à barder. Les allemands, ils essayaient de sortir de la poche de Falaise et on les avait encerclés. Ils essayaient de repartir en passant par notre secteur ; 17 pelotons (North Nova Scotia Highlanders) étaient déjà presqu’entièrement décimés. Puis ils arrivent et ils ont tirés sur les endroits où ils croyaient que les chevaux étaient en train de se faire tuer. Et bien sûr ils tiraient sur n’importe quoi. Et vous pouviez entendre les chevaux hurler à cause du mitraillage.
Et les chars ont fait leur entrée juste dans notre secteur ; et là où on se trouvait, on était cinq, les garçons sont partis vers le haut, il y avait une montagne de foin derrière nous, et ils sont montés dessus tout en haut, et je me tenais à la porte avec mon pistolet. Et j’ai tiré deux fois et l’instant d’après, j’avais deux grenades dans ma poche arrière. Alors ils ont lancé deux grenades à l’intérieur, et j’ai réussi à rejoindre les autres gars. Ils m’ont tiré jusqu’au sommet du tas de foin ; et les allemands sont entrés et ils ont tiré tout autour du périmètre à la mitrailleuse. Et bien sûr, on était à peu près à 3 mètres au dessus du sol à ce moment-là et ils pouvaient entendre les balles en dessous, qui traversaient le foin. Et des garçons, un gars s’est levé et a dit, camarades, camarades et bien sûr, ça a été cuit à ce moment-là.
J’ai été le dernier à descendre du tas de foin parce que j’avais du mal avec mes jambes, j’ai eu les deux jambes blessées quand les grenades ont explosées. Et je pensais, bon, peut-être que je devrais rester ici, peut-être qu’ils ne savent pas que je suis là-haut. Et puis j’ai pensé, bon, qu’est-ce qui va se passer s’ils lancent une allumette dans ce tas de foin ? Et que je suis là dedans, je suis fichu. Alors c’est à ce moment précis que je me suis rendu. Et on a été pris. Comme j’étais blessé, ils m’ont mis derrière le char Tigre et m’ont attaché. Et on a voyagé toute la nuit jusqu’à l’endroit où se trouvait le quartier général allemand, et le lendemain matin, ils nous ont interrogés. Et puis ils ont emprunté la route nationale du coin celle qui, pensaient-ils, allait leur permettre de s’en aller, avec toutes les forces.
Et on n’était pas allés bien loin quand cet officier est venu et il a dit au gars qui m’aidait, parce que ma jambe droite était complètement bousillée et il m’aidait, et je suivais en boitant et l’officier a dit, mettez-le ici. Et il nous avait fait mettre sur le bas-côté de la route ; et ils m’ont mis là et je me suis dit, bon, c’est cuit. Il s’est mis debout derrière moi et je me suis dit, bon, il va me mettre une balle dans la tête pour se débarrasser de moi. Et je lui dis, vous parlez bien anglais, parce que quand il a dit, mettez-le ici, c’était du très bon anglais pour un allemand. Et il a dit, oui, j’ai passé quatre ans à l’université d’Oxford en Angleterre.
Alors, et je dis, qu’est-ce que vous allez faire de moi ? Il dit, il y a quatre ambulances qui arrivent derrière les troupes, il dit, je vais vous mettre dans l’une d’elles. Alors il m’a mis dans la dernière, parce que je ne sais pas s’il y avait des gens dans les quatre premières, mais il me met dans la dernière. Et puis ils ont avancé progressivement à travers, en essayant de passer par la brèche, la seule porte de sortie pour eux. Et bien sûr les américains étaient en train de remonter par le sud-est et les anglais étaient au sud-ouest et nous on était, pratiquement au sud aussi. Et ils resserraient leur étau sur eux et ils essayaient de s’échapper par la seule brèche. Et l’artillerie couvre tout ça, la sortie, et, bien sûr, ils en sont arrivés à tous s’arrêter complètement. Et je me demandais ce qui pouvait bien se passer parce que tout ce que j’entendais c’était les obus qui retombaient à l’avant de nous ; et j’ai ouvert la porte de l’ambulance e tous les soldats allemands étaient dans les fossés à main droite pour se protéger. Et ils ne faisaient pas attention à moi. Alors je me suis glissé jusque par terre et j’ai rampé vers l’ouest comme je savais que nos troupes étaient là-bas, au moins les troupes anglaises étaient là, ou peut-être les canadiennes.
Et j’ai rampé pendant à peu près trois heures, à travers des haies et ainsi de suite, et je suis ressorti sur une route secondaire et il y avait un très grand véhicule de reconnaissance noir devant moi. Et j’ai pensé, oh mon Dieu j’ai tourné en rond, je suis de retour dans la colonne allemande. Mais alors ce gars qui était dans la voiture de reconnaissance, il avait des écouteurs sur la tête et il parlait ; et moi comme je venais des transmissions, j’étais dans les communications, le mot « à vous » signifie la fin de votre conversation, c’est au tour de l’autre de parler s’il veut. Et j’ai entendu, il s’est tourné de mon côté et il dit « à vous », et j’ai regardé alentour, et j’ai enlevé mon casque et je lui ai fait un signe de la main, comme ça. Alors il s’est retourné et il dit, mais bon sang qui êtes-vous ? Je réponds, je suis le Caporal Fitzgerald du North Nova Scotia Highlanders. Et il dit, et qu’est-ce que vous fichez ici ? Je dis, je pense que c’est comme, je vais avoir pas mal d’explications à vous donner pour raconter comment je suis arrivé jusqu’ici, mais je dis, j’aimerai qu’on m’aide un peu, mes jambes sont bousillées.
Date de l'entrevue: 19 octobre 2010