J’ai été appelé sur le NCSM Eyebright. À l’époque, il était au carénage à Pictou. Elles [les corvettes] étaient relativement petites comparées aux destroyers et aux bateaux de ce genre, et très rudes. Juste une hélice au lieu de deux, donc on allait d’un côté. Elles étaient connues comme les bateaux les plus inconfortables de la marine. Pas mal de gens avaient le mal de mer sur les corvettes, ils devaient les transférer sur de plus grands navires ou à des postes à terre.
Notre premier, je crois, après la remise en état à Pictou, on est allés à Halifax et de là, on est partis directement aux Bermudes. Après un carénage, il faut faire des essais pour vérifier que le bateau est apte à reprendre la mer avant qu’ils ne vous envoient dans les convois. On fait des essais sur tous les moteurs, l’armement, etc. Donc, on a passé environ une semaine et demi aux Bermudes et ensuite on a été affectés au service des convois.
Les convois se formaient en ce temps dans les ports et on ne savait jamais quand on partait. C’était d’habitude aux aurores qu’on s’esquivait du port avec le convoi et ensuite d’autres bateaux arrivaient, disons de Terre-Neuve, St. John’s, certains venaient de Sydney, et on les ramassait sur notre passage. Quand le convoi était au complet, on se dirigeait vers l’Angleterre.
Je pense que le souvenir, bien qu’il y en ait plusieurs, le souvenir le plus marquant, est celui de la veille de Noël 1944. On avançait bien et tout à coup, on a détecté un signal radar sur l’ASDIC [Anti-submarine Detection Investigation Committee : Commission commune franco-britannique de lutte anti-sous-marine] : il y avait un sous-marin sous notre bateau. Lorsque on s’en est aperçus, il était près du convoi, donc le sous-marin continuait à avancer directement sous le convoi. À partir de ce moment, on a été après lui, on l’a pourchassé. Mais on ne pouvait larguer aucune grenade [sous-marine] [armes anti-sous-marine] parce qu’on aurait fait sauter certains bateaux du convoi. Donc on a envoyé des signaux aux navires du convoi pour qu’ils s’espacent, pour qu’on puisse larguer quelques grenades mais certains bougeaient avec lenteur, vous voyez. Mais ils ont fini par s’espacer et cela nous a permis de larguer des grenades sur le sous-marin. On les a fait se déplacer et on a continué à les pourchasser et à les éloigner du convoi. Je dirais qu’il était à peu près minuit quand on a réussi à débarrasser le convoi du sous-marin et qu’on a pu se concentrer sur l’attaque. On est resté à ses trousses, on vérifiait le signal avec l’ASDIC et chaque fois qu’on était dans une position avantageuse, on larguait des grenades. C’était une nuit de clair de lune très calme, le genre de nuit qui plaisent aux sous-marins. Je pensais à Noël chez moi, à ce que feraient tous les enfants et j’étais ici, collé au Oerlikon [canon anti-aérien]. J’étais capitaine de l’Oerlikon à bâbord, le capitaine de l’Oerlikon est celui qui tire les coups de feu.
J’ai pensé à bien des choses à ce moment-là, est-ce que je devrais être ici ou est-ce que je devrais être avec ma famille à la veille de Noël? Mais je n’oublierai jamais cette nuit. On a surveillé le sous-marin avec notre ASDIC jusqu’à l’aube. Ensuite, on l’a perdu. À l’aube, on était tout seul sur l’Atlantique. Le convoi était derrière nous et il nous a fallu entre trois et quatre heures pour le rejoindre, mais on a fait notre devoir, on l’a chassé du convoi, ce qui était notre objectif, pour protéger le convoi. Je pense que je me rappelle de cette nuit parce que c’était Noël et tout ça.
Le jour suivant, c’était Noël. Il est de tradition dans la marine que le plus jeune gars à bord soit le capitaine du bateau le jour de Noël. Donc, j’ai été le capitaine d’un jour, sauf à deux reprises où on a eu des appel aux postes de combat [commandement pour se préparer au combat] et où on a dû reprendre nos rôles habituels. Un autre moment que je n’oublierai jamais, on avait des baleinières de 8 m de long en guise de canots de sauvetage, deux d’entre elles hissées sur le côté. Un jour, on a eu un appel au poste de combat et on a dû larguer des grenades qui ont endommagé notre ASDIC et nos systèmes radar. On n’avait pas de technicien à bord. Le seul technicien se trouvait à bord du navire de tête qui était un destroyer. On a dû descendre un canot de sauvetage et ramer jusqu’au navire de tête, chercher le technicien et le ramener et ça lui a pris un moment pour remettre notre ASDIC en état de marche.
Entre temps la mer est devenue très houleuse. Un orage se préparait et on l’a raccompagné à son bateau. C’était pas facile de le faire remonter sur son bateau à cause du mouvement des vagues et tout, mais il y est arrivé. Quand on était prêt à retourner, l’orage avait éclaté. On était en mer dans le canot de sauvetage. La mer était tellement agitée que quand les vagues se retiraient de sous la corvette on voyait les hélices dans les airs, complètement hors de l’eau. On tanguait là-en bas. Pour accrocher le canot, vous avez une corde à l’avant et à l’arrière et un palan et il fallait les accrocher et les gars sur le navire se précipitaient tous sur le gaillard et tiraient la corde pour nous remonter. La première fois, on n’a réussi à accrocher qu’un bout du canot et une vague nous a frappé alors il n’y avait qu’un bout qui émergeait. Quand le bateau a chaviré, on a enfin réussi à le décrocher et on a retrouvé un équilibre; la fois suivante on a réussi à accrocher les deux bouts. Ils arrivaient à nous monter jusqu’à une certaine distance puis le navire allait de ce côté et on se heurtait directement contre la coque avec le canot de sauvetage.
Quand ils réussissaient à nous remonter assez, on s’écartait beaucoup. Quand le navire chavirait, on revenait et on se heurtait contre la coque et quelques gars sautaient sur le pont à ce moment-là C’est comme ça qu’on a fait remonter tous les gars. J’étais le troisième des derniers à sortir du canot, je me rappelle. Il y a eu des blessures et des bleus à cause des cordes qui volaient partout et tout ça. Mais c’était tout, on s’en est tous tiré. Le canot de sauvetage était tellement abîmé qu’ils s’en sont débarrassés et l’ont laissé partir. On y est tous allés et on a fait ce qu’on pensait qu’on devait faire.