Project Mémoire

Lorne Verdun Phillips

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Lorne Phillips
Lorne Phillips
Médailles de service de Lorne Phillips (de gauche à droite): Étoile 1939-45; Étoile France-Allemagne; Médaille de la Défense; Médaille du Service des Volontaires Canadiens; Médaille de guerre (1939-45); Médaille commémorative de la ligne de front britannique 1994.
Lorne Phillips
« Je me suis adapté assez facilement. Mais je sais que certains ont trouvé cela difficile. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi ils ne sont pas plus nombreux. Vous leur apprenez une centaine de façons de tuer un homme, silencieusement et sans bruit, vous les envoyez ensuite au combat, puis ils rentrent à la maison et doivent tout oublier. »

J’ai embarqué sur le [SS] Empress of Canada en mars 1942, je suis arrivé en Angleterre pour mon 17 e anniversaire, le 22mars 1942. Notre unité était toute nouvelle et personne ne semblait savoir ce qui se passait. On est montés, bon sang, j’ai oublié le nom de la ville maintenant, sur la côte nord-est. De là, on est descendus à Yeovil, Somerset, pour faire encore plus d’entraînement anti-aérien. Ensuite, on a été dispersés, habituellement six à la fois, sur des sites anti-aériens de l’armée britannique, sur la côte sud de l’Angleterre, pour faire fonctionner des radars pour les Britanniques.

Il y avait différents types de radars. Il y avait un radar fabriqué au Canada, qui était en fait excellent et qui a été disponible avant la date prévue au grand contentement des Américains et des Britanniques. Le radar consistait en deux appareils. L’un faisait un balayage en cercle du ciel de la côte sud à la recherche d’aéronefs ennemis. Quand une cible était détectée, l’information était envoyée à un autre appareil. Ce sont de grandes remorques avec quatre, cinq hommes à l’intérieur. Il y avait un homme aux commandes pour l’azimut ou si vous voulez, l’élévation et la portée et pour garder sa cible complètement au centre de notre tube cathodique. Cette information était envoyée au parc à fusils qui passait par un prédicteur. Et de là, ça allait aux fusils individuels.

Un autre appareil qu’on faisait fonctionner, fabriqué par les Britanniques, c’était un radar [manié par?] deux hommes et c’était strictement un radar d’alerte avancée qui se trouvait en bas à Canterbury. On balayait le ciel sur beaucoup, beaucoup de km au dessus de la Manche etc. pour capter – c’est ce qu’on espérait – des avions allemands qui survolaient la Manche. La Luftwaffe [force aérienne allemande] était très occupée sur le front russe, alors ils ne nous embêtaient pas trop et notre unité a été démantelée.

J’ai demandé qu’on me forme pour devenir opérateur, Wireless and Line (communication avec et sans fil), ce qui représentait le grade supérieur d’opérateur radio. J’ai servi le reste de mon temps pendant la guerre à ce nouveau poste. Là aussi, c’était une unité très particulière. Ça s’appelait Unité canadienne de transmissions d’appui aérien. On assurait plus ou moins la liaison entre l’Armée et la Force aérienne. Par exemple, si l’infanterie tombait sur quelque chose comme un emplacement de tir abrité, qui aurait été très difficile à capturer, il y aurait eu trop de pertes d’hommes, alors ce qu’ils faisaient c’est qu’ils nous prévenaient, on obtenait les cordonnées sur la carte, on les envoyait à la Force aérienne et ils envoyaient probablement un lance-missiles Typhoon, c’était un genre d’avion chasseur. Et, si le temps le permettait, il faisait sauter l’emplacement de tir abrité. En fait, on était tout le temps avec l’infanterie pendant qu’on était dans notre petit camion radio.

Parmi les choses dont je me souviendrais toujours, il y a la Hollande et de voir les gens littéralement mourir de faim et manger des bulbes de tulipes. Et la traversée du Rhin, j’ai trouvé fantastique que nos ingénieurs puissent poser un pont Bailey sur le Rhin. Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé de traverser le Rhin mais il me semble qu’il fait un mile de large, bien qu’il ne soit pas si large mais il est extrêmement rapide.

Le plus grand choc c’est quand le traité [la reddition allemande] a été signée en mai [7], 1945, et quelqu’un disait « cessez-le-feu, cessez-le-feu, la guerre est terminée » - je n’arrivais pas à y croire. J’avais passé la plupart de mes années d’adolescent dans l’Armée et maintenant on me disait soudain, et bien c’est fini, et moi maintenant qu’est-ce que je vais faire?

J’ai été démobilisé et je suis rentré chez moi. J’ai revu certains de mes anciens camarades, on est allés prendre une bière et je me suis fait éjecté parce que je n’avais pas 21 ans. J’ai trouvé ça étrange. L’Armée vous acceptait à 18 ans et la plupart des régiments avaient des bars avec de l’alcool, une cantine avec ou sans alcool. Vous étiez autorisé à boire à 18 ans. En Amérique, l’âge légal pour boire était 18 ans, en Angleterre, c’était 18 ans. Je rentre chez moi et je ne suis pas assez âgé pour boire une bière.

Je me suis réadapté sans difficulté. Je sais que pour certains gars ça n’a pas été le cas. Même aujourd’hui, je me demande pourquoi ce taux n’était pas plus élevé. Vous prenez une bande de gars et vous leur enseignez cent façons de tuer un homme, bruyamment et silencieusement. Ensuite ils mettent parfois ça en pratique et ensuite ils rentrent chez eux et on leur demande d’oublier tout ça. Et même quand ils s’énervent, ils doivent se rappeler que désormais ils sont des civils et qu’ils ne vont pas s’en tirer comme ça.