« Je pensais que c'était la fin, mais j'ai abandonné mon attaque. Mais disons que, cette fois-là, ça a passé proche! »
Pour le témoignage complet de M. MacConnell, veuillez consulter en bas.
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Transcription
Je m'appelle Malcolm Stott MacConnell et je suis né le 10 octobre 1923, dans un petit village situé à environ trois milles au nord de Plaster Rock, au Nouveau-Brunswick. D’aussi loin que je peux me souvenir, depuis que j’ai su qu’on peut voler, j’ai toujours voulu piloter un avion. Mon père et son frère, mon oncle, avaient participé à la Première Guerre mondiale, et mon oncle y avait été tué.
En septembre 1939, la Deuxième Guerre mondiale a éclaté; mon père s'est enrôlé de nouveau et il est parti outre-mer en décembre, en nous quittant, mon frère et mon demi-frère, et un autre de mes frères et moi. Mon frère aîné s'est enrôlé en janvier l940 et il est parti outre-mer en avril. Mon jeune frère s'est joint à l’armée lui aussi à l'âge de 16 ans; il est allé outre-mer à l'âge de 17 ans, mais, malheureusement, il a été tué pas loin de Caen en juillet 1944, alors qu'il n'avait que 18 ans. Mais moi, je n’avais pas changé d'idée, et je me suis joint à la Force aérienne. Je me suis enrôlé tout juste après mes 18 ans, au début de mars 1942. J'ai reçu un entraînement de pilote et je suis allé outre-mer en juin 1943.
Mon entraînement de pilote s’était fait avec un aéronef multimoteur, mais je me suis retrouvé en train de commander un bombardier. J'ai commencé mon entraînement initial avec le link trainer, qui était le précurseur des simulateurs de vol synthétiques que l'on a de nos jours, qui sont beaucoup plus complexes. On y apprend les notions de base en pilotage d'avion. En classe, on a étudié beaucoup de mathématiques, la représentation graphique des trajectoires de vol, ce genre de choses. On apprenait aussi l'anglais, la reconnaissance des types d’avion, la météo, et d’autres choses du genre, avec des exercices.
C'était très bien. C'était intensif. On se levait vers 6 h le matin et on se couchait à 10 h du soir. Je pense qu'on a eu deux ou trois fins de semaine de libres, du samedi matin au dimanche soir, où on pouvait aller visiter les lieux ou faire ce qu'on voulait. Mais c'était une période très intensive et très très occupée.
J'ai été affecté en Angleterre en 1943, et le 14 juin 1944, ça, c’est huit jours après le jour J, on m'a affecté au 50 Royal Air Force Squadron (50e escadron de la Royal Air Force) et j'ai piloté avec cet escadron pendant deux mois et demi. À cette époque, j'avais déjà participé à 21 opérations de bombardement du Bomber Command en pilotant des Lancasters, autant au-dessus de la France que de l’Allemagne. Le dernier jour d'août, on m'a transféré au 97 Pathfinder Squadron (97e escadron des Pathfinders), où j'ai participé à 17 autres opérations avant la fin de la guerre.
Dans toutes mes opérations, j'avais une très bonne équipe. Je dois dire que, oui, avec tous les adversaires et les chasseurs qui m'entouraient, j'avais peur, je ressentais une peur profonde, de la terreur, même. Plus d'une fois. Je dirais même dans la majorité de mes opérations. Mais après avoir acquis un peu d'expérience, je me suis rendu compte que j'étais capable de gérer ça, de reconnaître ma peur, de reconnaître tout ce qui se passait autour de moi, et de m'en tirer et de réagir, et de faire ce que j’avais à faire. Je continuais à pouvoir penser et réfléchir, malgré ma peur. Je pense que c'est de cette façon que bien des gens s'en tiraient.
Une fois que nous étions hors de danger, ma peur disparaissait presque instantanément. Oui, je savais que je bombardais des gens et des choses. Je ne m'attardais pas au fait que je tuais des gens. Je pensais aux dommages que je faisais en contribution à l'effort de guerre. C'est à peu près tout ce que je ressentais au sujet de ce que j'infligeais à l'ennemi.
On nous disait ce qui allait être notre cible. Parfois, on nous disait simplement d’aller bombarder une ville. Souvent, on bombardait des emplacements de bombes volantes V-1; on bombardait leurs entrepôts et les plateformes de lancement. C'était des cibles précises. On bombardait une cible, comme des raffineries et des installations pétrolifères. On bombardait des gares de triage, des systèmes de communication, ce genre de choses. On pouvait bombarder des usines précises dans une région. À quelques reprises, deux fois en particulier, on a bombardé la marine marchande.
Avec le Bomber Command, on ne rompait jamais le silence radio. On nous donnait un briefing et on partait seuls ensuite. La majorité de nos vols avaient lieu la nuit. Je pense que j'ai fait quelque chose comme 11 ou 12 voyages en plein jour, mais la nuit, on était seuls. De temps en temps, un autre avion s'approchait assez de nous pour qu’on puisse voir que c'était un avion ami et, normalement, on essayait de s'éloigner un peu.
On devenait une équipe, un avion, une équipe seule jusqu'à ce qu'on arrive dans la zone cible et puis, avec les phares de recherche, les fusées éclairantes qu'on lançait pour identifier la cible, l’attaque éclatait, et encore et encore, on voyait beaucoup d'autres avions; on se rendait compte que d'autres nous entouraient, beaucoup plus d'avions nous entouraient. Une fois que le bombardement était terminé et qu'on s'éloignait de la cible, on avait l'impression d'être à nouveau seuls, dans l'obscurité.
Il pouvait arriver que quelqu'un rompe le silence radio, mais je n'en ai jamais été témoin. Je n'ai jamais entendu personne d’autre rompre le silence radio que le groupe de contrôle des éclaireurs. On pouvait entendre parfois le contrôleur des éclaireurs demander d'autres fusées éclairantes, d'autres marqueurs d'objectifs, ce genre de choses. Mais, normalement, on n'entendait personne d'autre, du moment qu'on décollait jusqu'à ce qu'on revienne à la base; on n'entendait jamais la radio excepté les éclaireurs qui se trouvaient au-dessus de la cible.
Un jour que je revenais d'un raid, j'ai ramassé mon courrier et il y avait un télégramme pour moi. Je suis une personne très positive et optimiste. Je me suis dit : je parie que je devine ce que c’est. Ma sœur venait d'être diplômée de son cours d'infirmière en avril et elle avait fait une demande pour travailler pour le corps infirmier de l'armée. Je me suis dit, je parie qu'elle va me dire qu'elle a été acceptée. J'ai ouvert le télégramme et c'était un télégramme de ma mère me disant que mon frère, Bud Erlin, avait été tué. C'est celui qui avait 18 ans. Il avait été tué le 23 juillet. J'ai de nombreux amis qui ont été tués et, après un bout de temps, dans un certain sens, je me disais : ils sont partis, c'est dommage. Voyez-vous, c'est comme : OK, ils se sont cassé un orteil, c'est dommage. Je n'étais pas triste; mais lorsque mon frère a été tué, j'ai ressenti un profond chagrin.
Une fois, on était allés bombarder une cible en plein jour, et les nuages se déplaçaient vers l'est. On croyait qu’avant d’atteindre la cible, les nuages se seraient dissipés. Mais quand on est arrivés là, la cible était totalement couverte par les nuages. Notre contrôleur nous a dit de garder le cap et on a continué d'avancer pendant une vingtaine de minutes ou plus, et c'était toujours très nuageux, puis il nous a donné un ordre, celui de tourner à tribord à 180 degrés, pour repasser au-dessus de la cible.
Je n'aimais pas piloter dans ces conditions, parce que nous étions très près les uns des autres; ce n'était même pas une formation, je dirais que c'était plutôt un vol désordonné. Et je continuais à descendre très lentement, je descendais et je descendais et, finalement, je me suis dit, je pense que je vais descendre juste au-dessous du nuage, et peut-être que c'est une gare ferroviaire qu’on est censés bombarder. Et comme de fait : je suis sorti des nuages et juste en sortant, mon tireur m'a dit : vous savez, on est censés bombarder une gare ferroviaire et il y en a une juste derrière nous, capitaine. De sorte que je me suis retourné et je l'ai aperçue. J'ai regardé autour de moi et comme je regardais vers le sud, me dirigeant vers la cible, j'ai aperçu un petit bâtiment d'environ 20 par 20, et d'à peu près trois étages de haut. À ce moment précis, il y a quelque chose qui me disait : continue d'avancer, avance, et j'ai avancé rapidement, puis j’ai repris de l’altitude, j'ai tourné à bâbord pour rentrer dans les nuages, mais il était trop tard. J'ai été frappé par des obus qui éclataient, un premier, puis un autre et un troisième; un troisième ou un quatrième a frappé mon avion sous l'aile. Je pensais que c'était la fin, mais il n'y a pas eu plus de dommages, et l'avion a continué de voler. J'ai été capable de retourner dans les nuages, mais j'ai abandonné mon attaque. Mais disons que, cette fois-là, ça a passé proche!
Probablement que c’est mon âge et ma maturité qui me font dire ça, mais ma conclusion, c’est que la guerre est l'interaction inhumaine la plus misérable qui soit entre les gens. Je pense que c'est comme ça que je pourrais la décrire. Quand je me suis joint à la Force aérienne, mon principal but, c’était de piloter dans la Deuxième Guerre mondiale parce que j’étais sûr que ce serait excitant. Je ne pensais pas que c'était pour être un geste très patriotique; c'était plutôt quelque chose d’excitant. Mais... c'était finalement très patriotique, et cette guerre était une guerre pour laquelle il fallait se battre. Il y en a qui n'en valent pas la peine, mais celle-ci en valait la peine. Il fallait barrer le chemin au nazisme, au communisme et au fascisme, en particulier dans le monde occidental où la démocratie occupait une place si importante.