Project Mémoire

Marc Joncas

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Guy Labranche
Guy Labranche
Messieurs Joncas et LaBranche. Source: Guy LaBranche
Guy Labranche
Guy Labranche
Guy Labranche
Messieurs Joncas et Labranche. Source: Guy Labranche
Guy Labranche
Fantassins du Régiment de la Chaudière prenant un moment de repos à l'abri d'un véhicule de type Bren Carrier sur la plage de Normandie, France, vers le 8-9 juin 1944. M. Joncas fit partie de la compagnie C du régiment le Jour J. Crédit: Lieut. Ken Bell / Canada. Ministère de la Défense nationale / Bibliothèque et Archives Canada / PA-140849 Restrictions d'utilisation: aucune Droits d'auteur: expirés
Là, ils ont pris mes hommes prisonniers pis ils ont reculé avec. Ils ont reculé avec et la minute qu’ils ont été à couvert, ils les ont fauchés. Des gars de Gaspé, (…) des gars de Caraquet.

Pis l’aumônier est passé me donner la communion. L’aumônier c’était un gars de chez nous, de Rimouski (Québec). Il connaissait ma famille. Il passait souvent nous donner la communion. Des fois je lui disais : « Vous m’avez donné la communion tout à l’heure. » Il me disait : « Communie encore, tu vas en avoir de besoin. » Cette nuit-là, de toute façon je n’avais pas dormi beaucoup. Je n’avais pas d’expérience de débarquement. On savait beaucoup de ce qui était arrivé en (19)42 (lors du raid de Dieppe du 19 août), ça c’était... Mais peut-être qu’ils ne nous avaient pas tout dit. Par après, quand on a pris Dieppe par en arrière (le 1er septembre 1944), on les a vus les croix. Alors, il y avait beaucoup de Canadiens français qui avaient été frappés là (essentiellement des soldats du régiment des Fusiliers Mont-Royal). Alors on avait ça un petit peu dans la tête. Le monde était nerveux aussi.

Quand on a embarqué dans les Landing Crafts (péniches de débarquement), on descend les Landing Crafts à l’eau, pis on reste le long du gros bateau. On est resté là longtemps, longtemps, longtemps, longtemps. On ne savait pas pourquoi dans ce temps-là. On se disait « comment ça se fait qu’on ? »… Parce que ça bouge beaucoup le long d’un gros bateau de même; la vague, le bateau balançait sur un sens et sur l’autre. Ça devient fatigant. Une chance qu’on a été punis. Mais cette punition-là nous a donné une chance pour le débarquement. Parce que les autres qui n’avaient pas pratiqué les débarquements, pis pratiqué les pilules là (pour contrer le mal de mer), ils devaient être malades au centuple. Parce qu’on a été au moins trois quarts d'heure avant de partir, parce qu’ils devaient attendre que les vagues baissent un peu. Probablement que si on avait débarqué tout de suite à l’aube comme qu’ils voulaient (le haut commandement allié), on l’aurait eu probablement à la ceinture (l’eau), ça aurait été trop. Tu ne peux pas courir beaucoup à la ceinture.

Personne ne parle, personne ne parle. L’enfer commence là. En débarquant, tu n’as pas le temps de regarder ton confrère pour voir si lui tombe à l’eau ou s’il s’est fait tirer. Toi tu vises pour le mur. Notre objectif premier était de foncer au mur pour avoir le moins de blessés possible. Sauf que le mur, on n’est pas capable de le sauter là. C’est haut ça, pis il y a de la broche (barbelés). C’est d’autres qui vont débarquer avec des gros tanks (chars d’assaut) avec de la dynamite qui vont faire un trou. Ils faisaient un trou à peu près dans le milieu, un petit peu plus loin que nous autres. Nous autres, la compagnie C (du Régiment de la Chaudière), (nous étions) les premiers à prendre le trou. C’était amanché (disposé) comme ça. Pis quand ils ont cassé le mur un peu, fait un trou, c’est là qu’il faut que tu enfiles. Là, l’officier il donne les ordres. On savait tout, parce qu’on avait été « briefés » (informés), pis c’est comme ça qu’il faut que ça fonctionne.

On est pinned down (écrasés à plat ventre sous le feu ennemi), le bruit pis tout ça, c’est juste les officiers qui regardent. Ils ont eu des blessés là. Ils ont des blessés, mais ils ne peuvent pas les ramasser tout de suite là. Ça tire là, ça tire de tout bord, tout côté. On a hâte qu’il y ait un trou dans le mur pour sortir de là, pour aller prendre nos positions. Mais c’est là, après ça, c’est les batailles. La minute qu’on sort du mur, ah ben là, ils tirent sur nous autres là. Nous autres aussi faut se… Comme moi j’étais en charge des guns de la Bren (fusil-mitrailleur léger britannique), on est trois et on s’installe, nous autres là, pour voir nos positions pour pouvoir tirer nous autres aussi.

Le temps passe vite. Nos positions, la compagnie se sépare pas mal. On dit : « Bien on va faire comme ça et on va faire ceci. » Mais devant l’ennemi, il y a des places que ça tire plus et d’autres places que ça tire moins. Il y avait des bunkers (abris souterrains) à débarquer (neutraliser), il y avait des tirs automatiques là-dessus. Des bunkers qu’ils ont faits avec des fentes qui donnent sur la Manche. Ils tirent ça avec des straps (bandes de cartouches). Ils tirent de milliers de balles à la minute.

On a été pris sur le chemin, on était à couvert. Ils tiraient, mais ils ne pouvaient pas nous… On a installé notre Bren. On tirait sur une bâtisse là. Le major a fait demander des tanks, les quatre Sherman sont arrivés (char moyen américain M4 Sherman). Comme ils sont arrivés, ben c’est là qu’on a eu ben des blessés. Peut-être qu’on a fait une erreur. Ils avaient des tanks eux autres (les Allemands) et on ne les voyait pas. Ils étaient au coin de cette bâtisse-là. Pis ils ont tiré des boulets sur nos tanks. Des tanks qui virent le canon, c’était juste ça qu’ils voyaient. Ils tiraient après ça. Ça fait un tapon de blessés ça. J’ai eu ben de mes chums (…), des morceaux d’acier dans les reins. Moi j’en ai eu un dans un œil.

En fin du compte, quand on est rentré là le major Sévigny (Georges Sévigny, le commandant de la compagnie C du Régiment de la Chaudière en juin 1944), il nous l’avait dit d’avance : « Soyez pas effrayés, vous allez voir des morts. » À cause des commandos (britanniques) qui avaient essayé de rentrer là, je ne le sais pas en tout cas. On est rentré et c’était bien vrai, on voyait les morts à côté. Ils étaient tous noirs à côté du chemin. C’était tellement calme puis on était énervé aussi là. J’ai un de mes amis qui est devenu shell shocked là (victime d’un syndrome post-traumatique). Juste avec ce bruit-là. Il faut que ça touche nos nerfs, hein. Ce barrage-là (d’artillerie), on voulait qu’il arrête, il va arrêter, il va arrêter. On était tout un d’un bord et de l’autre à travers des maisons. On devait passer ça nous autres pour prendre une ligne défense. Ça n’a pas été ça. Ça a diminué, ça a diminué. On avait des blessés là. On est venu à bout de se réunir un peu.

Le major Sévigny m’a désigné pour prendre la ligne de défense. Pis là on a placoté pas mal. L’heure avançait là. Il s’en venait l’heure du… vers quatre heures. Il fallait avancer encore, on devait passer vers le côté. On ne savait pas où étaient les positions n’ont plus là. On savait à peu près comment le briefing était (l’état de la situation). On le voit aujourd’hui où il était au centre de Carpiquet (Normandie), le bunker. Alors on est passé à côté de ça nous autres. Et puis les (tirs de) barrages n’arrêtaient pas. Il faut prendre la ligne défense à côté d’une ferme qui nous était désignée. Ça faisait un mur, on était, on a commencé au coin du mur. Les hommes étaient supposés de creuser des tranchés en dessous de ça, les mortiers là. Les autres pelotons de notre compagnie, la compagnie ils ont attaqué le bunker eux autres. Le major en a envoyé des hommes pour nous dire qu’ils avaient détruit le bunker. À l’entour de nous autres, on avait peur de se faire… qu’ils reviennent par en arrière de nous autres. On savait qu’ils avaient des positions, mais on était passé à côté nous autres. On a pris la ligne de défense.

J’arrive dans la maison dans la cave. Je m’écrase dans le coin pis je ne bouge pas. J’entends des tanks, le mouvement des tanks pis tout ça. Là, ils ont pris mes hommes prisonniers pis ils ont reculé avec. Il n’y a pas eu de bataille là. Ils ont reculé avec et la minute qu’ils ont été à couvert, ils les ont fauchés. Des gars de Gaspé, (…) des gars de Caraquet. Des gars qui étaient avec moi depuis trois ans.