Transcription
Disons que j’ai décidé de m’engager parce que j’ai vécu mon adolescence en sachant que nous étions en temps de guerre et que la plupart de mes amis un peu plus âgés que moi, beaucoup d’entre eux, avaient déjà rejoint les rangs de l’armée et étaient partis outre-mer. Et moi, après l’école secondaire, j’ai fait une école de commerce, puis j’ai travaillé pour ce qui était à l’époque le Department of Lands and Mines, qui est devenu plus tard le ministère des Ressources naturelles. Je me suis dit que je pouvais faire quelque chose de plus pour l’effort de guerre. Avec l’une de mes amies, j’ai donc décidé d’aller à Moncton et de me renseigner sur la possibilité de m’engager dans l’ARC [dans le Service féminin de l’Aviation royale du Canada].
On nous a fait passer des tests pour voir dans quel domaine nous serions les plus aptes. Et comme j’étais une excellente dactylo qui faisait très peu d’erreurs, on a décidé que je ferais une très bonne télétypiste.
Le télétype est, je pense, le précurseur de l’ordinateur (un précurseur assez lointain, tout de même), parce qu’il envoyait les messages. [Si vous savez ce que] Il y a des années, des messages étaient envoyés par télégraphe, et l’opérateur de télétype en envoyait aussi, nous envoyions des messages dans les deux sens, rien de plus normal, des messages d’annonce et ainsi de suite, jusqu’aux messages concernant les vols. Mais, beaucoup de ces messages étaient codés. Tout le monde ne pouvait pas les lire. Il fallait pour cela qu’ils passent dans un programme spécial que seules une machine et quelques personnes pouvaient les décoder.
Nous avons également dû apprendre un autre code qui nous permettait de taper des messages la nuit et de les envoyer le lendemain très, très rapidement s’ils étaient déjà tapés. Mais, nous devions apprendre le code parce qu’ils étaient enregistrés sur une bande que nous devions lire. Lire cette bande était un peu comme déchiffrer du Braille. C’était intéressant à bien des égards.
Pendant un an, j’ai été postée à Halifax, au quartier général du Commandement de la zone aérienne de l’Est. Et je sais qu’il y en avait beaucoup, nous ne savions pas ce que contenait le message au moment où nous l’envoyions ou le recevions, mais nous le découvrions ensuite quand il s’agissait d’un navire, d’un accident, d’un bombardement ou de quelque chose de très traumatisant qui se produisait. Oui, ces choses-là arrivaient pendant nos quarts de travail.
Quelque chose qui s’est passé, et c’était à la fin de la guerre… je crois que l’un des premiers navires à arriver à Halifax était le [SS] Ile de France. Et nous savions, parce que des messages disaient que ce navire arriverait tôt le lendemain matin. Une autre fille et moi sommes montées jusqu’au point de vigie sur le toit de notre bâtiment. À ce moment-là, j’étais de retour au quartier général du Commandement de la zone aérienne de l’Est, à Halifax. Nous avons regardé le navire arriver et c’était un spectacle magnifique. Nous avions l’impression que la guerre était terminée et que c’était un signe de paix et de nouvelle vie et ainsi de suite, de le voir arriver.
Et puis j’ai eu du temps libre, et quelques jours plus tard, je suis allée prendre un train pour rentrer chez moi pour la fin de semaine. Et quand je suis montée dans le train, je ne savais pas si je devais aller à gauche ou à droite parce que quand vous montez, eh bien il y a une voiture à gauche et une à droite. J’ai pris la porte de gauche et je suis entrée. C’était une voiture pleine d’anciens prisonniers de guerre. Et j’ai eu le choc de ma vie parce que je n’avais jamais vu de gens aussi abattus, aussi maigres et émaciés. Tous ces jeunes hommes, qui avaient été jeunes, avaient l’air si vieux et leur peau était si blanche. Et ça a été pour moi le moment où j’ai vu le visage de la guerre. J’ai vraiment vu et ressenti les horreurs de la guerre à ce moment-là. Je ne pourrai jamais l’oublier.