Mon frère aîné et moi on habitait avec ma famille dans un grand logement résidentiel de l’armée au bord de la mer à Esquimalt [Colombie-Britannique], tout près du port militaire [base des Forces canadiennes, BFC Esquimalt]. De la fenêtre de ma chambre, je voyais les bateaux aller et venir. Je pense que c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la marine. On était un groupe de 60 et on est allés au HMCS Cornwallis, le nouvel établissement d’entraînement de base en construction en Nouvelle-Écosse et on a commencé notre entraînement de base.
On a très vite appris le fonctionnement de la marine là-bas. Cornwallis avait un navire-école, le NCSM Hamilton, c’était un destroyer de type four stacker de la marine américaine datant de la Première guerre mondiale. C’était un des 50 destroyers qui avaient été donnés aux Alliés ou à l’Angleterre en échange des bases, si vous vous souvenez d’Argentia [station navale en Terre-Neuve et Labrador] et des Bermudes et ainsi de suite. En tout cas, c’était un vieux navire fatigué, certainement pas fait pour traverser l’Atlantique. Sortir sur ce navire dans la baie de Fundy, c’était pas facile.
Toujours est-il qu’on a eu une semaine d’entraînement sur le Hamilton. J’étais au poste d’équipage des matelots sur le pont inférieur avant. Le navire était tellement étroit qu’à partir de ma couchette j’arrivais à toucher tous les côtés du bateau. Pour mon premier quart sur le navire j’ai dû aller dans le nid de pie. On s’était passé le mot que Turner n’aimait pas les hauteurs. Il y avait plein de farceurs et certains de mes compagnons de classe ont mis l’officier marinier au courant et c’est comme ça que je me suis retrouvé à grimper dans le nid de pie pour mon premier quart sur ce bateau qui tanguait après le mauvais temps qu’il y avait eu dans la baie de Fundy. Inutile de dire que je suis arrivé dans le nid de pie et j’ai pris la relève du gars qui avait déjà eu le mal de mer. Avant d’aller en mer on nous avait conseillé de manger beaucoup de raisins secs, que ça empêchait d’avoir le mal de mer. Donc j’avais mangé beaucoup de raisins secs avant de monter sur le bateau. En tout cas, j’ai grimpé dans le nid de pie, j’ai pris mon tour de garde, j’ai regardé autour de moi et j’ai commencé à avoir le mal de mer. Le nid de pie avait déjà été arrosé par le mal de mer de mon prédécesseur donc j’ai décidé de me pencher au-dessus du nid de pie et d’être malade. Il y avait un large pont ouvert en-dessous, grand ouvert, comme je l’ai dit, et ils ont décrit ça comme de la chevrotine sur le pont. Inutile de dire qu’on m’a relevé [de ma garde] assez rapidement.
À cette époque, les chantiers navals canadiens produisaient des navires en série à un rythme soutenu. Il y avait un vrai manque de personnel. Comme je le disais, on formait beaucoup de matelots mais on avait aussi besoin d’officiers. On était sur le point de terminer nos huit semaines de formation; ceux qui avaient leur immatriculation de l’école secondaire ou un niveau supérieur avaient une entrevue et devenaient candidats au grade d’officier. Donc avec une certaine réticence, parce que j’aimais beaucoup être un matelot ordinaire, j’ai pris un cours pour les aspirants officiers de trois semaines et ensuite j’ai fait partie du NCSM Renard (S13), qui était un yacht reconverti. Le bateau le plus rapide de la marine, 46 noeuds, basé à Halifax. C’était un endroit où on apprenait à devenir un marin. À cette époque, je surmontais progressivement mon mal de mer, ce dont j’étais très content. La formation était très bonne. Il n’y avait pas de destroyers ou de choses sophistiquées de ce genre.
Ils ont décidé de m’envoyer chez un officier de la Marine royale du Canada qui venait juste de prendre le commandement d’une corvette du nom de NCSM Guelph. Un type qui s’appelait Godfrey H. Hayes, « Skinny » Hayes c’était son nom, lieutenant. En fait, c’était un gars du [navire de sa Majesté] Conway [cuirassé en bois britannique servant à l’entraînement naval], un gars de la [Royal] Merchant Training School du Royaume Uni. Au début de la guerre, grâce à sa formation [dans la marine] marchande, excellente formation, il est devenu [officier?] de réserve de la marine, qui était marchande, je suppose; c’était la Réserve de la marine royale du Canada par opposition à la Réserve de volontaires de la Marine royale du Canada qui était pour ceux d’entre nous qui n’y connaissait rien au départ. En tout cas, il était le commandant du Guelph. Le navire a été mis en service pendant l’été 1944 et j’en ai fait partie en décembre.
On a vécu une expérience intéressante avec un convoi en dehors de l’Islande, en mars 1945. Il y avait eu une grosse tempête, le navire tanguait beaucoup et on a reçu un message d’un des autres navires nous disant qu’il y avait une lumière, c’était le crépuscule, et il y avait une lumière à l’arrière du bateau. L’officier de quart a appelé la vigie à l’arrière pour voir s’il pouvait voir une lumière. On nous a ordonné d’aller à l’arrière pour voir ce qui se passait. La vigie arrière ne répondait pas, donc j’y suis allé. Je pense que j’étais encore deuxième officier de quart à ce moment-là.
Toujours est-il qu’on y est allés et on a découvert que la vigie arrière n’était pas là. On y est allé et on voit notre matelot de 2e classe Robert Stewart, notre vigie arrière, dans l’eau à côté d’une lumière. Ce qui s’était passé c’est que la mer était très houleuse, il a été jeté par-dessus bord sur le côté. Il s’est levé pour une raison ou une autre et il a été jeté par-dessus bord du côté du navire. Au passage, il a arraché en l’agrippant la lanterne d’un radeau Carley [un type de radeau de sauvetage], qui se balançait de côté juste en-dessous de son poste de vigie arrière. À cause de la suie de la cheminée, la conduite était abîmée, elle s’est cassée et l’a accompagné dans sa chute. C’était le genre de lanterne alimentée par des éléments de pile C, et quand elle est tombée dans l’eau, elle est tombée toute droite, la lumière s’est allumée, il est resté près de la lumière et c’est cette lumière qu’on a vu, que le bateau du convoi a vu.
On est allés vers lui, le capitaine nous a rapproché jusqu’à 30 pieds [9 m] de lui et on a regardé en bas et à ce moment-là il était en train de couler. Il est revenu à la surface et ensuite il a coulé. Ensuite, je ne sais comment, je me suis retrouvé dans l’eau. Je me suis souvenu de mon entraînement, du matelot de 1er classe qui nous formait quand on faisait le cours pour les aspirants officiers et qui disait : « un officier veille toujours sur ses matelots ». Et je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je me suis souvenu de ce commentaire qu’il avait fait à l’époque et ça m’a inspiré. En tout cas, je me suis retrouvé à l’eau à côté de lui et je l’ai eu, j’ai réussi à le faire remonter à la surface. Il portait un Duffle coat. J’avais enlevé mon manteau et j’avais plus de liberté de mouvement.
En tout cas, ils nous ont lancé une corde et j’ai attrapé la corde et on était suspendus du côté du bateau et on roulait, on se cognait contre la quille de roulis à bâbord du navire mais ça ne faisait pas mal. Il était en mauvais état et j’ai aussi été malmené. Ils ont descendu un radeau Carley et ils ont finalement réussi à nous faire monter à bord. On l’a emmené à l’infirmerie et quand on est arrivés dans un port, il a été emmené à l’hôpital où il a passé plusieurs semaines pour se rétablir. Je m’en suis mieux tiré que lui, encore que apparemment je me suis évanoui quand on est remontés sur le bateau parce que j’ai repris connaissance dans la baignoire des officiers avec mon capitaine, « Skinny »Hayes, qui me versait du rhum au fond de la gorge. Avant cela je ne buvais jamais mais peu après ça, je suis devenu un buveur.