Project Mémoire

Max Yas

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Max Yas et son femme, Jacqueline, en Montrèal, 1945.
Max Yas en 1943.
Max et Jacqueline Yas en 1945.
Il m’a demandé qui saurait quoi faire si j’était tué le jour même. Eh bien, monsieur, lui ai-je répondu, je fais de mon mieux avec je ce que j’ai sous la main. »

Transcription

Il n’y avait pas de discrimination ouverte [envers les Juifs]. Un soir, on nous a envoyé, quelques-uns d’entre nous dans chaque camion et un chauffeur, pour ramasser des rebuts. La population avait été informée de ce que nous cherchions, et nous nous sommes arrêtés devant chaque maison où des matériaux avaient été déposés pour charger le camion. Et quand nous sommes revenus, ils nous ont donné des rafraîchissements et nous nous sommes assis, presque 12, autour de la table. Il y avait deux francophones qui discutaient. Mon français est très rouillé maintenant, mais l’un dit à l’autre : « Tout pour enrichir les Juifs ». Ils disaient que c’était pour enrichir les juifs.

Et nous portions des combinaisons, donc mes galons [insignes de grade] ne paraissaient pas, non pas que cela signifiait quoi que ce soit, mais je l’ai regardé et je lui ai dit : « Je suis juif. Penses-tu que je me suis enrichi beaucoup aujourd’hui? » Vous savez, ils ont été très embarrassés, et c’est ainsi que s’est terminée l’histoire.

Tous les sous-officiers supérieurs et les officiers ont été envoyés pour une semaine de formation. Je suis donc devenu le plus haut gradé. J’étais caporal suppléant et les autres étaient tous de simples soldats. Notre bureau à cet endroit – savez vous comment les barques de l’armée sont construites? Un bâtiment long, puis un autre bâtiment long, les deux reliés à l’installation où se trouvent les locaux sanitaires et autres espaces communs. Notre bureau était donc situé dans cet espace. Et sans avertissement, je ne sais pas, cinq, six, peut-être sept officiers sont arrivés. Je pense que le plus haut gradé était un major, et il a dit : « attention! » Et je n’étais même pas caporal suppléant, j’étais simplement le plus ancien en raison de mon temps de service. Et [il a demandé] : « Qui est responsable de tout ce gâchis? » C’était un gâchis; ça ressemblait à un gâchis. Il y avait une tablette placée au-dessus de l’espace, qui en faisait le tour, et c’est là que nous déposions nos documents. Et il y avait des toilettes, peut-être huit. Et certaines des recrues avaient été amenées par la GRC [Gendarmerie royale du Canada] et elles me les remettaient et chaque cubicule était devenu une prison avec un gardien.

Donc, lorsqu’il a demandé qui était responsable, j’ai répondu : « Moi, monsieur ». « Qu’est-ce que cette pile de papier là-bas? » Comme je le savais, je le lui ai dit. « Et ça? » Puis il a dit : « Si tu étais mort aujourd’hui, qui saurait quoi faire de tout cela? » J’ai dit : « Monsieur, je faisais de mon mieux avec ce que j’ai. » Il n’a rien dit, mais j’ai reçu mon premier galon.

Et l’autre incident, encore une fois, c’est juste une anecdote, comme je vous ai dit. Je faisais l’appel nominal dans la salle d’exercice et au début, cela se passait toujours quand j’avais fini de nommer tous les noms, deux, trois, peut-être quatre personnes venaient me voir et demandaient : « Que suis-je censé faire, caporal? ». Je devais alors passer en revue tous les documents pour trouver leur nom. Par après, avant de commencer, je disais : « Vous allez être appelés par votre nom. Quand je vous appelle, je veux que vous leviez la main et que vous me disiez « ici ». Et bien sûr, je devais le répéter en français. On s’est mis à appeler cela le cirque de Max.

Un autre jour, j’ai remarqué du coin de l’œil que tous les « brass » [les officiers], y compris le colonel Echenberg, je pense bien, étaient derrière moi, à observer. C’est à ce moment-là que j’ai obtenu un deuxième galon, mais c’est là que ça s’est arrêté, j’étais dans la catégorie A et c’était temporaire.