J’avais eu un job d’assistant auprès de l’attaché de presse du consulat général de Grande Bretagne à Barcelone. Assistant de l’attaché de presse était un nom un peu pompeux pour désigner un garçon de courses. J’aimais bien faire ce travail, apporter les messages, et une des choses importantes que je faisais c’était de distribuer les bulletins d’informations qui nous arrivaient de l’ambassade à Madrid. Ils étaient ronéotés et nous étaient envoyés par coursier et je devais les distribuer à nos amis de la cause des alliés. Franco lui (le général) était bien évidemment un fervent supporter de la cause allemande, alors il nous fallait être très prudents et nous assurer que ces bulletins ne tombaient pas entre de mauvaises mains.
J’ai été intercepté une fois par – en fait c’était un phalangiste (la Phalange était le parti nationaliste d’extrême droite dont Franco était à la tête) qui avait appelé la police et m’avait fait arrêter. Curieusement, ils n’ont jamais trouvé, je ne sais pas quel était l’objet de mon arrestation parce qu’ils n’ont jamais trouvé les bulletins sur moi. Et j’avais réussi à m’en débarrasser à un endroit ou à un autre pour qu’on ne puisse pas remonter jusqu’à moi par leur intermédiaire. Mais j’avais des exemplaires du London Illustrated News, qui je crois, je ne sais pas si c’est une publication hebdomadaire ou mensuelle. Et c’est surtout des illustrations – il y a quelques articles dedans, mais ce sont surtout des illustrations, en particulier pendant la guerre, ça montrait les efforts des alliés dans la guerre et aussi les avions allemands bombardés et détruits qu’on devait montrer. Évidemment, le parti pris était du côté des alliés.
Alors le sergent qui m’a enregistré, quand il a eu fini, il a demandé s’il pouvait regarder le magazine alors j’ai dit, oui, bien sûr, (il a dit), je vous le rendrai. J’ai dit, d’accord, pas de problème. Alors je l’ai laissé la prendre, donc il avait beaucoup de propagande anti allemands. Et puis environ deux heures plus tard, quelqu’un, un autre policier est descendu avec le magazine et il a dit, le sergent m’a demandé de vous rapporter ça. Et j’ai dit, ah, très bien, merci. Il dit, avant que je fasse ça, est-ce que je peux le lire ? Bon, ils ne pouvaient pas le lire mais ils pouvaient regarder les images. Et j’ai répondu, oui, bien sûr, allez-y. Alors il s’est assis sur une chaise à l’extérieur de ma cellule et a jeté un coup d’œil aux illustrations. Il m’a posé un paquet de questions, et puis il me l’a tendu et a dit, merci beaucoup et il est parti.
Dès qu’il est parti, le policier qui surveillait les détenus de la cellule est venu me voir et dit, qu’est-ce que ce gars vous a donné ? J’ai répondu, oh, seulement un magazine. Laissez-moi voir. Alors je lui ai montré. Oh, dit-il, est-ce que je peux le regarder ? Donc ils étaient tous intéressés par le magazine parce qu’on m’avait arrêté à cause de lui.
Et puis finalement, on m’a fait sortir de ma cellule et ramené en haut et on m’a dit, bon, vous pouvez rentrer chez vous. Et je dis, bon d’accord, merci, alors je suis parti. Mais je ne suis pas rentré chez moi, je suis retourné au consulat général pour découvrir ce qui s’était passé. Et ils m’ont dit, oh votre affaire est passée en jugement. Il dit, vous avez été condamné, avez eu une amende et avez été relâché sans même sortir de votre cellule. Justice éclair.
Et en même temps, pendant que j’étais dans ma cellule, j’avais reçu l’approbation de, quelque soit l’endroit d’où elle venait, j’avais la permission de faire le voyage en Grande Bretagne et de me porter candidat dans l’armée de l’air. J’avais accompli moins deux heures de vol ou de tentatives de vol, et on m’a retiré de la formation pour raison de santé, parce que ça me rendait malade. Évidemment c’est le jour le plus malheureux de ma vie. Me voici là avec tous mes copains qui vont devenir des héros et moi je suis coincé au sol maintenant. Alors le moins qu’on puisse dire c’est que je n’étais pas très heureux.
Et puis peu après on m’a envoyé dans un camp de transit et puis retour sur un bateau de troupes et retour en Angleterre. Et, c’est assez flou maintenant, mais oh oui, j’avais été en contact avec un frère qui était aussi dans l’armée de l’air et il m’avait dit de, il avait fait une demande dans le codage chiffré. Et il a dit, pourquoi ne fais-tu pas la même chose ? Alors je l’ai fait. Et ensuite on nous a envoyés dans différents sites de formation. Et celui que j’ai eu, c’était dans le Transvaal, entre Johannesburg et Pretoria. Ça donnait un intéressant point de vue parce qu’en Afrique du Sud, il y avait un élément fort lié aux premiers colons d’origine hollandaise et ils avaient un nom mais je n’arrive pas à m’en souvenir pour le moment, ça m’échappe. Et ils étaient vraiment contre la guerre et beaucoup de ces gens étaient du côté de l’Allemagne. Seulement je crois parce qu’on n’était pas sur le sol européen, on était en dehors.
Mais en tout cas, ils essayaient souvent de se battre avec nous. Et on nous avait prévenus de les éviter le plus possible parce qu’on ne pourrait pas gagner, peu importe ce qui se passait, on ne gagnerait jamais au regard de la loi. Donc il nous fallait faire très attention et je sais qu’un soir, j’ai, moi et un autre gars, on est allés au restaurant et on était en train de payer l’addition pour partir et on a remarqué un gars de la marine royale en uniforme avec deux de ces hollandais. Je n’arrive pas à retrouver leur nom, mais en tout cas, je voulais savoir, voulais m’assurer qu’il était en bonne compagnie parce que c’était le genre de choses, qu’ils faisaient, ils arrivaient, se faisaient copain avec vous et ensuite ils les mettaient dans une fourgonnette noire et vous cassaient la gueule.
Mais malheureusement, ce gars était un petit peu trop ivre pour ça et ils, quand je lui ai demandé s’il avait besoin d’aide, il m’a envoyé un crochet. Mais il m’a raté parce qu’il était tellement saoul et j’ai reculé de toute façon. Alors on l’a laissé et on est partis, on est allés dehors où on a été rattrapé par deux autres. Et en fait, ils étaient quatre, parce que, non, juste les deux. Je me souviens de l’un d’eux qui jurait dans ma direction de manière agressive. Je ne me souviens pas exactement de ce qui s’est passé mais j’ai réussi à l’attraper, mon bras autour de son cou et je maintenais sa tête vers le bas. Alors je me suis figuré que le meilleur moyen d’en finir c’était juste donné un coup de genou dans sa tête en le remontant, ce que j’ai fait, et il s’est écroulé sur le champ. Et mon copain entre temps avait lui aussi réussi à faire quelque chose pour se défendre mais il était dans un état pire que moi. Mais en tout cas, on est partis avant que la police arrive parce qu’on aurait jamais pu, c’était de notre faute, provoquer une bagarre, si la police venait.
Suis arrivé à Durban, son nom à l’époque, c’est Dubaï aujourd’hui je crois, et on m’a envoyé à Agra dans les provinces du centre (de l’Inde). Et j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir voir le Taj Mahal au clair de lune, et c’est comme ça que vous êtes censé le voir, et c’est beau. Mais je n’y ai pas passé très longtemps avant qu’on m’envoie à Kanpur ou Cawnpore comme on le prononce en anglais, qui est une grande unité de maintenance, un endroit pour les réparations d’avions et de moteurs d’avions. Et c’est là que j’ai passé la plus grande partie de mon temps en Inde, là-bas.
Date de l'entrevue: 1 octobre 2010