Project Mémoire

Norman Bowen

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Credit: Lieut. Alex M. Stirton / Canada. Dept. of National Defence / Library and Archives Canada / PA-188922 Restrictions on use: Nil Copyright: Expired
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Les Stuka volaient au dessus de nos têtes comme des nuées d’insectes.

Le premier raid qu’on a effectué c’était celui de Dieppe,* bien sûr, et on nous avait répartis entre la première et la deuxième flottilles de péniches de débarquement canadiennes. La deuxième est partie dans les LCA [Landing Craft, Assault] et la première était éparpillée à travers les îles britanniques. J’étais barreur** sur un Eureka, ils les appelaient des « R boat »*** et l’équipage était entièrement composé d’Anglais.

On s’occupait du transport des Winnipeg Highlanders,^ Cameron’s OwnThe Queen’s Own. Quand on faisait partie de la deuxième vague… Alors vous pouvez être… Voyez, lors d’une invasion, il y a trois éléments à considérer, vous avez un dispositif de soutien important côté mer, vous avez des bombardements fournis, ou encore l’élément de surprise. M. Churchill avait dit : « Nous ne voulons pas bombarder la population française. Ce sont nos alliés. » La marine avait dit : « Nous n’allons pas risquer nos bâtiments essentiels dans cet étroit chenal. » Donc voilà l’élément de surprise. En y allant, on s’est retrouvés nez à nez avec un convoi allemand qui naviguait le long des côtes françaises et les tirs ont commencé. Bon les Allemands avaient compris qu’il allait se passer quelque chose. On faisait partie de la deuxième vague et quand on est arrivés sur place, oh bon sang, c’était chaud. Les Cameron ont commencé avec leurs cornemuses et, naturellement, les gars étaient debout sur le côté de la barge, prêts à démarrer et je crois que très peu d’entre eux sont arrivés vivants sur la plage. Après les avoir déposés, on est repartis dans l’autre sens et on est allés dans ce qu’ils appelaient le pool de bateaux et ils vous entouraient de fumée, mais il fallait faire attention parce que les destroyers passaient par là et tout.

En tout cas, on a emmené un groupe des transmissions juste après, parce qu’ils se servaient des ces postes radio [sans fil] n° 18 et les communications étaient épouvantables. Le pauvre Général Roberts^^ s’est fait épinglé avec ça. Mais le fautif c’est Hughes-Hallett,^^^ c’était l’homme de [du Vice-amiral] Mountbatten.^^^^ Quand les échanges de tirs avec le convoi ont commencé, bien évidemment Roberts a demandé : « Ne devrait-on pas abandonner ? » Hugues-Hallett a répondu : « Non, tous les hommes sont déjà dans les bateaux. » Comme si on était arrivé tout droit de Newhaven [Angleterre] dans les chalands de débarquement d’infanterie. Alors ils n’ont pas abandonné et il aurait été plutôt facile d’envoyer, vous savez, des fumigènes bleus ou une flopée de fusées de signalisation bleues. C’est tout. En tout cas on a y allés une deuxième fois, avec une unité des transmissions parce qu’ils utilisaient les radios n° 18 de l’armée et elles ne valent pas un clou. On les a débarqués et on est sortis de là et ensuite on a reçu un autre appel pour y retourner un peu plus tard. Et une LCF [Landing Craft, Flak], ce sont les barges de soutien, ils m’ont barré la route [pour dire] « Fiche le camp ». Alors on a fait demi-tour et on est partis.

Bon, On est descendus là-bas [l’Afrique du Nord] et on avait cette sacrée LCM [Landing Craft, Mechanized]. On entrait en action et la LCM anglaise n’a pas de puissance de gouverne. Elles ont une petite ancre. Vous jetez cette petite ancre et vous vous écartez, en tout cas on allait entrer dans l’action, et il y avait une déferlante d’un mètre de haut dans un petit endroit qui s’appelait Arzew [Algérie], ça se trouve à 25 kilomètres à l’est d’Oran [Algérie] et l’officier – je n’avais pas d’officier sur ma barge, mais il y avait un officier dans celle d’à côté – et il me crie : « Pas d’ancre ! » J’ai bien failli lui dire : « Ça ne va pas la tête ! », bon en tout cas on n’avait pas d’ancre et on s’y est mis vite fait, et on devait faire partie de la deuxième vague parce que j’avais un bulldozer et deux traineaux de fil, américain, à bord. On était avec la première vague et ils ont finalement réussi à sortir les traineaux de fil. Non, le gars qui conduisait le bulldozer était là debout en train de crier et après le gars qui était censé accrocher les traineaux de fil : « Fiche le camp de là, bougre d’imbécile ! »  En tous les cas pour repartir, on n’y arrivait pas parce qu’on avait commencé à tomber en travers de cette vague. Alors pour finir, avec un des gars on a carrément écarté la petite ancre et on a donné du mou au câble et on l’a amené là, on a commencé à lofer et ça n’a pas marché. On a recommencé, et cette fois ça a pris, et on a commencé à s’écarter de la plage. Mais j’ai sorti l’arbre de mon moteur à bâbord et alors je suis allé à bâbord, commencé le long et je voulais m’éloigner de la plage mais je n’y arrivais pas parce que l’arbre dépassait tellement que l’hélice n’arrivait pas à tourner. Évidemment toutes les mitrailleuses qui étaient sur cette fichue colline se sont déchaînées sur nous. Alors pour finir, un des gars est descendu et a replacé l’hélice correctement. Il a remis l’arbre en place alors j’ai pu tourner et partir de la plage et on balançait des pots fumigènes [pour produire un écran de fumée]. Ils avaient ces petits pots fumigènes et on en balançait à tire-larigot et on est allés jusqu’à l’endroit où a pensé qu’on ne craignait plus rien venant de la plage. À l’arrière de la barge de débarquement il y avait deux grandes portes qui s’ouvraient comme ce que vous voyez et elles étaient ouvertes. Ce gars du Yorkshire, Price, c’était un des membres de mon équipage, il dit : « hé dis donc, qu’est-ce que c’est que ce truc rouge qui nous arrive dessus ? » J’ai répondu : « C’est un traceur espèce d’imbécile. » En tout cas il ne voulait pas alors j’ai dû le faire moi-même. J’ai crié au gars qui était au gouvernail de descendre, il était debout en train de regarder ses pieds. On s’en est sortis et il a fallu qu’on retourne sur le Dremondale pour faire réparer l’hélice et j’ai dit aux gars de piquer un petit roupillon parce qu’ils ne s’étaient pas reposés depuis, oh, pas loin de 36 heures. Alors le matin, un chef chargé de la discipline qu’ils avaient décidé de nous attribuer, me dit : « Pourquoi n’étiez-vous pas debout plus tôt ce matin ? » « Parce que j’ai dit à mes gars de piquer un petit roupillon. » « Et bien, dit-il, Je suis fatigué moi aussi, vous savez. » « Ouais, mais il y a une guerre là-bas vous savez. » Ça n’est pas très bien passé avec lui.

Quand on est arrivés en Sicile, il y avait tout un tas d’Italiens qui posaient des mines et ils leur ont dit de les reprendre et ils ne voulaient pas alors ils ont commencé à les faire marcher tout autour de la plage. Quand ils ont arrêté, ils ont refusé de bouger jusqu’à ce qu’on les enlève nous-mêmes. Mais, non, et puis ça a commencé. Les Stuka+ volaient au-dessus de nos têtes comme des nuées d’insectes. Et ça a continué pendant des jours et des jours. Et comme je l’ai déjà dit, tout le monde savait où se trouvait cette foutue plage et ils plongeaient dessus.

Je pourrais peut-être vous raconter une histoire qui expliquerait. On avait beaucoup de blessés et le commandant a dit : « Amène-les sur le navire hôpital ». Alors j’ai pris ces gars sur la barge de débarquement, une LCM, américaine, et me voilà parti pour le navire hôpital. Bon il y avait un croiseur et un cuirassé monitor qui faisaient des cercles autour du navire hôpital et ils servaient d’artillerie pour protéger le rivage. Mais la portée des canons, il y avait des quinze pouces [37,5 cm] sur le monitor et je crois que le croiseur, lui, avait des six pouces [15 cm]. Ils auraient pu s’éloigner du navire hôpital et remplir quand même leur mission. Mais en tout cas les Stuka étaient là à essayer de les détruire et ce pauvre navire hôpital se trouvait en plein milieu. Bon, j’y suis arrivé et me suis placé le long du navire hôpital et c’était vraiment de la folie pour aller là-bas. Ça nous tombait dessus et l’eau remontait du fond et on a commencé à hisser les blessés à bord. Et comme c’était moi le capitaine j’étais plus haut que la majorité des gens et j’étais à la hauteur du pont inférieur du navire hôpital et j’ai entendu un son de voix très cultivée : « Aimeriez-vous une tasse de thé ? » Je me suis retourné et il y avait là une sœur infirmière. Une femme d’un certain âge. Tirée à quatre épingles, vous savez. Et j’ai dit - j’aurais préféré quelque chose de plus fort – mais j’ai répondu : « Oui ma sœur. » Alors elle m’a apporté une tasse de thé. Et j’ai dit : « Seulement la tasse, pas la soucoupe. » Je tremblais trop. J’ai bu le thé, lui ai rendu la tasse et elle a dit : « Ce n’est pas une partie de plaisir par ici, n’est-ce pas ? » Et j’ai répondu : « Non ma sœur, en effet. » et elle s’est penchée et elle m’a touché la joue en disant : « Que Dieu vous bénisse. » Et là, à ce moment précis un gars a crié : « Bon dieu foutons le camp d’ici. » On a laissé la Croix Rouge et on a sorti les mitrailleuses légères Lewis et on a fait demi-tour et on est repartis vers la plage et on s’en est bien donné sur le chemin du retour. Vous savez à quel point vous pouvez être efficace. Quand vous répondez aux coups de feu, vous vous sentez mieux.

En tout cas, on est retournés sur la plage et on a tiré à peu près trois à quatre milles cartouches et puis on est partis. Bon deux jours plus tard le navire hôpital a été coulé, et on est revenus et on a entendu dire que six membres du personnel et quatre blessés avaient disparus avec lui, avaient sombré. Les cadavres ont commencé à remonter à la surface neuf jours plus tard et ce jour-là j’étais sur la plage et une barge était en train de remorquer la sœur infirmière. Et l’un des officiers a dit : « Bowen, apporte ton couteau. » parce que vous savez la peau enfle. Ça devient tout déformé. La peau avait considérablement enflé au-dessus de quelque chose qui était soit une montre soit un bracelet d’identité et ils voulaient connaître l’identité. Alors l’officier a dit : « Apporte ton couteau Norm, et on va couper pour voir si on peut trouver l’identité. Et j’ai répondu : « D’accord. » Et j’y suis allé et je me suis agenouillé et j’ai juste regardé et elle avait les cheveux gris. Il fallait que je m’éloigne et vous savez c’est bête. C’était il y a cinquante-cinq ans et je m’inquiète encore et je me demande.

 

*le 19 août 1942 en France

**Responsable d’une barge de débarquement

***Barge de débarquement américain

^The Calgary Highlanders

^^Le major-général John Hamilton Roberts, le général commandant la 2e division d’infanterie canadienne

^^^Le capitaine John Hughes-Hallett de la Marine royale, qui assurait le commandement naval pendant le raid de Dieppe

^^^^Louis Mountbatten, 1er comte Mountbatten de Birmanie, chef des Opérations combinées

+Junker JU 87 – bombardiers en piqué allemands

 

Entrevue avec le Maître de 2e classe Norm Bowen Projet d`histoire orale du AMCG

MCG 20020121-008

Collection d’archives George Metcalf

© Musée canadien de la guerre