Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Et ensuite, il y a eu la guerre de Corée et il ne s’est rien passé. On est resté à Petawawa (Ontario) pendant des mois en attendant que le gouvernement se fasse une petite idée sur ce qu’il voulait faire. Et finalement, ils ont décidé d’envoyer une brigade là-bas, mais ils allaient la recruter, c’est ce qu’ils ont fait. Alors on a passé une grande partie de l’été 1950 à former ces recrues pour partir en Corée.
Puis, un jour à la parade, ils ont dit : « On veut renforcer un petit peu cette brigade (25e brigade d’infanterie canadienne) avec des soldats de métier, qui veut y aller? » Et j’ai vu là ma chance de participer à une guerre comme je le voulais. On est partis à Fort Lewis (État de Washington, États-Unis), nous avons passé tout l’hiver là-bas, suivi un très bon entraînement. Par chance, notre commandant d’escadre était un ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale maintes fois décoré. C’est à ces gens, avec notre entraînement là-bas c’est à eux que j’attribue tout le mérite du peu de victimes qu’on a eu pendant cette guerre parce qu’ils nous ont entraînés comme pour la guerre qu’ils venaient de vivre et leur entraînement était de qualité. Il y avait beaucoup de gens très bien. On a passé l’hiver à Fort Lewis et puis on a embarqué sur un navire en partance pour la Corée.
On est allés à un endroit appelé Chail-li* et ça a été le baptême du feu pour la brigade. Notre 2e troupe (Lord Strathcona’s Horse) est entrée dans Chai-Li avec l’infanterie, tout le truc dépendait de la prise d’une colline à l’extérieur de la ville** qui était l’élément majeur. Et le bataillon du RCR (le Royal Canadian Régiment) avec lequel on travaillait, ils ne sont pas arrivés à prendre cette colline, alors on s’est faits chassés de la ville. Je me souviens qu’on s’est retirés avec des soldats blessés sur la plage arrière.
Alors, ce qu’on avait l’habitude de faire, on faisait de longues patrouilles de campagne, en remontant d’un côté du réservoir de Chosin ou Ch’orwan et les patrouilles américaines s’occupaient de l’autre côté. C’était des patrouilles en force, à savoir deux troupes de chars, une compagnie d’infanterie, une section du Génie, une troupe d’artillerie et nous voilà partis. À l’occasion, vous tombiez sur quelque chose, quelques tirs avec des petits calibres. Le pire c’était les mines. C’est là-haut qu’on a roulé sur une mine. On ne savait pas ce qui s’était passé, l’épouvantable explosion, on s’est tous retrouvés dehors, sans avoir la moindre idée de ce qui était arrivé à cette chose. La plupart d’entre nous avaient les oreilles qui saignaient. La suspension centrale de notre char avait atterri 200 mètres plus loin parti d’un côté. Le VDB (véhicule de dépannage blindé) est venu, a retiré une section des chenilles et a dit : « Réparez ça. » On a réparé la chenille, mais l’explosion avait déformé la caisse et on ne pouvait plus orienter la tourelle, alors c’en était fait.
On a commencé à faire partie de, ou ne pas faire partie, mais on appuyait le King’s Shropshire Light Infantry, une unité d’infanterie anglaise. Et on a pris la colline 222. Et après qu’on l’ait prise, on a essuyé un sacré retour de bâton. On a été touchés à l’avant du char, notre chauffeur a été blessé, grièvement blessé. On s’est retirés de la colline et on lui a fait un pansement et il était allongé sur le plancher de la tourelle. Et il y avait toujours ces tirs qui arrivaient, en hurlant. Et c’était notre première expérience de tirs de mortiers. Et notre mitrailleur faisait lui aussi partie des (Royal Canadian) Dragoons, il était à Petawawa avec moi. C’était un gars plutôt tendu. Et moi je lisais mon livre et la trappe du commandant de char était ouverte et il était assis dans le siège du mitrailleur. Et alors il a dit : « Bon sang, si un obus frappe notre calibre 50 (mitrailleuse Browning), notre tourelle, c’en sera fini de nous. » Alors il a fermé sa trappe et j’ai ouvert la mienne pour pouvoir continuer à lire et il m’a attaqué. Alors il a fallu l’évacuer lui aussi cette nuit-là, en même temps que le blessé. Je ne l’ai jamais revu. Mais on ne pouvait pas se débarrasser d’eux avant la tombée de la nuit, le VDB est venu et les a emmenés. Alors il nous a fallu endurer ses plaintes et ses grognements et aussi les plaintes et grognements du blessé, ça n’a pas été une soirée très plaisante.
Le retour à la maison ça a été un drôle de voyage. Partout où on s’arrêtait, tout le long du chemin on s’est arrêtés pour déposer des gens, et il n’y avait pour ainsi dire personne pour venir les accueillir à part leurs familles. Même à Calgary personne n’est venu à la rencontre du train et il y avait deux anciens Strathcona qui sont descendus là-bas. Je crois que c’était au Manitoba, sûrement à Douglas ou, en tout cas, la petite ville dans laquelle on s’est arrêtés là-bas et il y avait un gars qui est descendu, il n’y avait pas âme qui vive pour venir à sa rencontre là-bas. Il a juste mis son sac sur l’épaule et il a marché tout seul le long du quai. Et j’ai pensé : « Quel accueil! » Heureusement, à mon retour, ma famille était là pour m’accueillir, mais personne d’autre. Et c’était une telle, on appelle souvent cette guerre la guerre oubliée. Et je me souviens être allé en ville avec mon père après mon retour et ils disent : « Bon sang, où étais-tu passé, ça fait un bout de temps qu’on ne t’a pas vu. » Les gens ne savaient même pas qu’il y avait une guerre. Et cependant, on a laissé derrière nous 500 personnes qui sont enterrées là-bas à Pusan (Cimetière commémoratif des Nations Unies à Pusan en Corée du Sud).
*30 mai 1951 – une offensive du 2e bataillon du Royal Canadian Régiment pour prendre la ville de Chail-li et la colline 467 afin d’évaluer la force de l’ennemi en prévision de l’opération Piledriver le 3 juin 1951
**la colline 467 ou Kakhul-bong