Project Mémoire

Paul Farrar Bentley

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Paul Bentley
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Photo des faiseurs de cartes. Paul Bentley est à droite, vers 1945.
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Triangulation (fixation de contrôles), vers 1945.
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Paul Bentley avec une table cartographique (remplissant les détails sur une carte, Moyen-Orient, vers 1944.
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Et je me souviens encore d’un vieux monsieur qui venait sur le trottoir en agitant une de ces cartes par-dessus sa tête: « par ici Johnny, par ici Johnny, elle est là ta carte Top secret.
Je pense que je peux vous raconter trois petites histoires. La première se passe dans une petite ville nommée Shaftesbury dans le Sud de l’Angleterre – je pense que c’était à Dorset – juste avant le jour J. On était trois, trois sapeurs, des hommes qui savaient des choses, trois sapeurs. On a envahi l’hôtel de ville de Shaftesbury. Grande bâtisse, toit élevé. Tous les jours des camions s’arrêtaient devant l’entrée et on sortait des gros paquets de cartes de ces camions, des cartes qui indiquaient des zones d’atterrissage en France. Et on portait des piles de ces paquets dans l’hôtel de ville, avec la porte avant grande ouverte. On les empilait jusque sous le toit, c’était comme une grande forêt de hautes piles de cartes. Et souvent il pleuvait et le vent soufflait. Et aussi, devant la porte principale, il y avait un arrêt de bus. Et les gens étaient très intéressés par ce qu’on faisait. Ils nous regardaient avec beaucoup de curiosité transporter ces cartes d’atterrissage du jour J. Et le vent soufflait et il pleuvait et les cartes s’envolaient. Et je me souviens encore d’un vieux monsieur qui venait sur le trottoir en agitant une de ces cartes par-dessus sa tête: « par ici Johnny, par ici Johnny, elle est là ta carte Top secret. Et en haut de la carte, en grosses lettres rouges de deux ou trois pouces, il y avait marqué :TOP SECRET. Elles s’envolaient partout les cartes. Ça c’est ma première petite histoire. La deuxième histoire se passe à Rafah en Palestine. C’est difficile à croire mais c’est vraiment arrivé. Un jour, je vois une annonce tapée à la machine dans la section “Ordres courants du jour” sur le tableau d’affichage : « Recherche volontaires pour débarquer sur les côtes du Japon ». C’était après l’effondrement de l’Allemagne soit dit en passant. Je me suis porté volontaire et je pense que je n’étais pas le seul, mais ça je ne l’ai jamais su, c’est sans doute resté secret. J’ai appelé le bureau du type en charge et il me dit : « ne sois pas idiot ». Ce qu’ils veulent, c’est des petits bateaux pour débarquer sur les côtes du Japon et tu me dis que tu as de l’expérience avec les petits bateaux et que tu voudrais débarquer sur les côtes du Japon? je dis « oui ». Et il me dit : “ne sois pas idiot, tu vas te faire tuer”. Quelques jours plus tard, la bombe [atomique] a été lâchée sur Hiroshima. Donc tout ça, c’était une invention pour tromper les Japonais, car on avait pas l’intention de faire quoi que ce soit. Ça c’est ma deuxième histoire. La troisième histoire se passe à Habbaniya, en Iraq. En fait, ni Rafah, l’endroit où se passe l’histoire précédente, ni l’Iraq étaient en guerre à ce moment-là. Mais notre travail consistait à aller dans des régions où l’armée britannique prévoyait des troubles, à faire des cartes et à repartir. Et ces deux endroits font partie des places où on est allé. Donc, on est à Habbaniya en Iraq, juste à côté de l’Iran. À ce moment-là, ils n’avaient rien à voir avec la guerre du tout. Mais sur les cartes de l’Iran, qui se trouve à côté de l’Irak, on voit à un endroit une énorme montagne qui se dresse dans le désert, dans le sable du désert avec tous les détails en six couleurs : vert pour les bois, bleu pour l’eau, brun pour les contours, ce genre de choses – une montagne énorme. Et on nous a envoyé à Habbaniya, moi et un officier, faire des arrangements avec la Royal Air Force à Habbaniya - Habbaniya était un détachement de la Royal Air Force - pour survoler l’Iran et prendre des photos. L’aéronef était équipé d’appareils photographiques situés dans les deux ailes et le fuselage, donc en volant, l’avion prenait trois photos en même temps. On leur a indiqué l’endroit où ils devaient prendre les photos, là où était sensé se trouver cette grande montagne. Ils devaient faire une bande de photographies aériennes pour qu’on puisse ensuite les étaler au sol et avoir une image du terrain. Donc la RAF a pris ces photos et quand ils sont revenus, on les a développées et tirées et moi et cet officier on est allé dans la pièce privée qu’on nous avait donné. On les a déposées au sol, l’une après l’autre, côte à côte, de manière à avoir une image complète du district, comme si on le survolait. Il n’y avait pas de montagne. Il n’y avait que du sable et des ravines et rien d’autre. Donc, l’officier il a pris son courage à deux mains et il est allé à la RAF et il a dit : « écoutez vous vous êtes trompés d’endroit, il n’y a pas de montagne, est-ce vous pourriez y retourner s’il vous plait ». Évidemment, ils n’étaient pas très contents mais ils y sont retournés, ils ont pris les photos, ils les ont développées, tirées et étalées par terre, des acres et des acres de photos et pas de montagne. Rien que du désert, des criques et ainsi de suite. Non pas des criques, des oueds, des oueds – des ravines desséchées. Donc à nouveau, et là il lui a fallu encore plus de courage, il y est retourné et il leur a redemandé de survoler la région et ils ont fait la même chose. Il n’y avait pas de montagne. Cette montagne n’existait pas. Quand j’ai quitté Habbaniya et qu’on pensait avoir fait notre boulot, voilà qu’une autre équipe arrive, une demi-douzaine de personnes. C’était des arpenteurs topographes, leur boulot était de faire des cartes à partir de photographies aériennes et ils ont dû tout recommencer. Et voilà les trois histories que j’ai pensé que vous pourriez trouver très intéressantes.