Project Mémoire

Paul-Henri Laflamme

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Le seul temps que j’ai eu vraiment peur en Corée, c’est quand ils nous disaient qu’on s’en revenait dans quinze jours. (...) Là, évidement qu’on avait peur de se faire tuer.
Moi, en arrivant en Corée (avec le 2e Bataillon du Royal 22e Régiment), j’avais changé, j’avais été entrainé sur la compagnie de support sur un Bren Carrier (Universal Carrier, un véhicule blindé léger de transports de troupes et de matériel). J’étais gunner (mitrailleur) sur la Bren (fusil-mitrailleur britannique Bren) qu’on appelle. La fameuse Bren avec une « canne » (réservoir) d’eau pour refroidir le baril puis toute (ici en référence à la mitrailleuse britannique Vickers). Et puis, avant le départ, un aumônier catholique (Gontrand Lebel), un aumônier catholique cherchait un servant de messe. Moi, dans mon enfance, j’avais servi la messe souvent, alors j’avais donné mon nom pour être batman, ils appelaient ça le batman c’est le chauffeur pour l’aumônier. J’ai été toujours avec lui, le temps qu’on était en Corée. Alors c’est là que je suis devenu batman. En Corée, on faisait toutes les lignes. On faisait les compagnies qui étaient sur la ligne de feu. On se promenait d’une compagnie à l’autre, d’une tranchée à l’autre et puis lui confessait les gars. Puis, moi, je trainais, j’avais un sac avec moi, que je trainais, le Saint-Crème. Parce qu’à chaque fois qu’un militaire se faisait tuer, il donnait l’extrême-onction qu’ils appelaient. Il y avait des hosties dans ce sac-là. Il y avait des cigarettes. Et puis, il y avait sa mère qui nous faisait parvenir des chapelets. Elle faisait des chapelets en corde, les femmes ici à Québec faisaient des chapelets en corde pour nous envoyer en Corée. Moi, je distribuais ça le temps que l’aumônier confessait les gars. Cela fait que, la Corée, ç’a été pas mal ma guerre. On a eu pas mal d’expériences. On avait une école. J’allais souvent à Séoul. On descendait souvent à Séoul parce que l’aumônier avait à faire là. On avait une école, je pense, à Inchon, je ne me rappelle pas des noms. Cela fait qu’on était proche de là. On a eu toutes sortes d’expériences. Un automne, on a traversé, on a été douze mois sur le champ de bataille dans le temps, plus les six mois qu’on a été à fort Lewis (État de Washington). En réalité on a été parti 18 mois de Québec. On avait traversé l’Imjin River (rivière Imjin) qu’ils appelaient. Et puis là, l’eau avait monté. Il avait plu pendant, je pense, quinze jours. On ne pouvait plus retraverser avec nos véhicules. Cela fait que les ingénieurs étaient venus nous faire des ponts. Parce qu’on avait traversé, quand on a traversé la première fois il n’y avait pas beaucoup d’eau. Alors nous, les « jeeps », moi je chauffais une « jeep », les « jeeps » on enlevait la « strap » de « fan » (courroie du moteur), alors ça n’envoyait pas d’eau sur le moteur. On avait pu traverser, ce n’était pas trop profond. Mais après cela, quand bien même que tu enlevais la « strap » de « fan », on avait de l’eau par-dessus. Ça, c’est l’expérience que je me rappelle pas mal. Après ça, on a vu des gens, toute sorte de cas différents. Les gens mourir, nos confrères de travail. Il y en a que c’était des obus, ils étaient en mille miettes. C’était dans les premiers temps. Le seul temps que j’ai eu vraiment peur, moi, en Corée, c’est quand ils nous disaient qu’on s’en revenait dans quinze jours. Ils nous avertissaient quinze jours d’avance qu’on revenait au Canada. Là, évidement qu’on avait peur de se faire tuer, on ne voulait pas. Évidemment, en Corée, ce qu’on faisait, on se creusait des trous. Moi-même, lorsqu’on arrivait dans une position, on creusait des trous pour éviter les bombardements puis tout. Moi, je creusais le trou en même temps pour l’aumônier. On creusait dans la glaise avec une pelle puis un pic et puis des fois c’était assez dur à creuser. Mais dans les tranchées, les soldats se creusaient tous des trous aussi. Quand on avait des attaques, ça bombardait d’un bord puis de l’autre. On restait dans nos trous, on se cachait dans nos trous, on se surveillait dans nos trous. À un moment donné, le trou se remplissait d’eau, on n’avait pas de rigole pour vider, ça fait que des fois on passait la nuit les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux, jusqu’au lendemain matin. On ne sortait pas de là pour ne pas se faire descendre par l’artillerie aussi. Les Chinois, ils avaient l’artillerie. Ils avaient une espèce, je ne me rappelle pas de la capacité du canon, mais je sais que c’était sur des « tracks » (sorte de rails) ce canon-là. C’était un canon qui tirait assez vite parce que tu n’entendais pas le coup partir, tu l’entendais plutôt arriver. Quand l’obus sillait, c’était parce qu’il était parti. Cela fait que tu n’avais pas le temps, il fallait que tu sois toujours sur tes gardes. Ça arrivait souvent qu’il y en ait qui se faisait tuer. Évidemment, quand la bombe arrivait... C’est pour ça qu’on n’était pas mal séparé l’un de l’autre. On se séparait pas mal. L’infanterie, eux autres, ils étaient tous l’un à côté de l’autre en ligne dans leurs trous. Puis, ils se faisaient des tranchées pour communiquer l’un à l‘autre. Nous autres, on était en arrière de ça. Nous autres on se trouvait au centre de ça, car on faisait partie du BNHQ (Battalion Headquarters, état-major régimentaire) le commandant Dextraze (le lieutenant-colonel Jacques Dextraze) était là avec les officiers. Puis les officiers de chaque compagnie faisaient ces réunions-là. Après ça, eh bien il y avait les « snipers » qui étaient avec nous autres, les francs-tireurs et tout ça. Dans les quartiers généraux. Puis il y avait une section d’intelligence. Eux autres s’occupaient pas mal de tout ce qui se passait et des informations. Puis ils donnaient ça au commandant pour qu’il sache préparer les attaques et comment qu’on s’y prenait. Après ça, il y avait les communications avec l’artillerie. Quand ils faisaient des prisonniers chinois, ils les interrogeaient. On avait un interprète avec nous autres. On avait un interprète coréen avec nous autres qui parlait très bien français. Lui, il était toujours avec nous autres, l’interprète. Les quartiers-généraux, c’était eux autres qui dirigeaient. On était quatre compagnies. Il y avait toujours trois compagnies sur le front. On avait une compagnie de « spare » (en réserve). Admettons que la compagnie A était attaquée, la compagnie C qui était de « spare » venait leur donner du renfort, pour ne pas que l’ennemi perce nos lignes. D’ailleurs, ils n’ont jamais percé nos lignes. Les Canadiens ne l’ont jamais été. Les Américains, des fois on leur donnait une position et des fois perdaient la position le lendemain. Ils n’étaient pas équipés ou je ne sais pas. Ils n’avaient pas l’entrainement qu’on avait peut-être ou les tactiques qu’on avait. Alors, dans ce temps-là, nous autres, ils nous appelaient la brigade fantôme, le 22e, 2e Bataillon (2e Bataillon du Royal 22e Régiment). On remplaçait les gars nous autres. Nous autres on allait reprendre le terrain qu’ils avaient perdu et après ça on leur redonnait. C’est ce qui s’est passé en Corée. Ça été une belle expérience, pour ma part, moi j’ai trouvé que ça été une belle expérience. Évidemment là.