La majeure partie de mon temps, je l’ai passée à terre dans le dépôt de vivres à Montréal, qui était un endroit intéressant parce que quand je suis arrivé à Montréal, ils m’ont dit que j’étais là pour le dépôt e nourriture et ils ont dit, mais, il n’est pas encore ouvert, mais vous devez aller dans le bâtiment de Atwater Street et avec votre équipe vous, votre travail c’est de le nettoyer, de le tenir prêt à recevoir la nourriture. Bon, quand je suis arrivé là-bas dans ce bâtiment, la marine avait loué ce qui avait été un dépôt de réparation pour les camions Mack. Alors c’était ça, un vieux garage à camions plein de graisse et tout le reste ; et il fallait nous activer, brosser et gratter l’endroit de haut en bas et ça nous a pris une semaine environ pour tout décrasser et enlever cette graisse du ciment. Et puis les charpentiers de marine sont arrivés et ont construit des cloisons pour les différentes réserves où on entreposait le sucre et la farine. Il y avait un grand réfrigérateur encastré là et on avait un boucher qui s’occupait de la viande sur place.
On ne vivait pas à la caserne, on habitait de notre côté, et on était défrayés pour ça, « lodging and compensation », « scrounge and lounge » (vivre en parasite) comme on appelait ça à l’époque, on recevait une allocation de 65 dollars par mois pour vivre. Juste en dessous de là où on habitait dans Mountain Street il y avait un endroit qui s’appelait la Maison de la Marine ; et c’était une grande maison qu’un groupe de femmes qui se faisait appeler les amies de la marine avaient reprise et elles avaient installé un coin où on pouvait prendre petit-déjeuner et repas de midi dans cet endroit à des prix très raisonnables. Et vous pouviez acheter un ticket repas là-bas et prendre notre petit-déjeuner et les repas de midi et pour le repas du soir, on devait aller au restaurant.
Mais cette Maison de la Marine nous procurait aussi des divertissements. Et certains jours de la semaine, quand on savait qu’il y allait y avoir un déjeuner divertissement d’organisé, on faisait en sorte d’être là pour profiter du divertissement. Et je me souviens d’une fois, il y avait ce grand gaillard noir un jeune qui est venu pour jouer du piano. Et c’était un grand gaillard et il est entré, et il avait l’habitude de nous jouer du piano et on n’a pas fait très attention à ce gars sur le moment. Mais c’était Oscar Peterson. Et c’était juste ses débuts à l’époque. Il jouait à Montréal pour 10 dollars la soirée et les concerts, mais il venait tous les mercredi midi, il jouait du piano à la cantine de la Maison de la Marine, pour nous. Donc j’ai connu Oscar Peterson au début de sa carrière.
Dans les quartiers à l’est de Montréal, la marine avait un grand dépôt d’effectif là-bas sur une île du Saint Laurent. Et notre personnel se faisait chahuter par un tas de gens du coin, des civils, des zazous (mouvement de jeune gens antifascistes/antimilitaristes dans les années 40, qui portaient vêtements et cheveux trop longs en signe de protestation) à Montréal. Et un samedi soir au cours de l’été 1944, un de nos officiers mariniers et sa femme rentraient à la base en passant par le pont Jacques Cartier, quand ils se sont faits malmener par ces zazous. Et quand il est arrivé il a signalé l’incident à l’officier de garde, qui à son tour en a fait part au commandant et le commandant en avait assez de ces zazous. Alors il a donné l’ordre à tout le personnel de la base de sortir et d’aller nettoyer les rues de Montréal. Et ils ont commencé par les quartiers est et sont remontés jusqu’à la rue principale de Montréal, et quiconque portait un costume zazou, la marine leur enlevait leur costume et tout le reste.
Et il y avait une sacrée émeute, et alors que je faisais à pied le chemin entre la partie basse de Montréal et mon trou de Mountain Street, un policier m’a arrêté et a dit, d’où viens-tu ? Et il s’est avéré que c’était un policier de langue anglaise et j’ai dit, oh, je suis sorti dans Saint Michel, pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Il a répondu, alors tu ne sais rien propos des émeutes ? J’ai demandé, quelles émeutes ? Il a répondu, bon, votre marine est en train de nettoyer les rues de tous les zazous. J’ai dit, oh bonté divine !
En tout cas, il a dit, tu continues ton chemin et retour dans ton quartier. Et il a dit, ne t’arrête pas, vas-y direct. Donc j’ai remonté la rue pour aller dans mon quartier et juste en arrivant, un camion de la marine s’est arrêté et ils m’ont appelé et ils m’ont fait monter à bord et ils m’ont mis un brassard, un brassard de la police de la marine et ils m’ont donné un casque en fer et une pioche, et je me suis retrouvé en route avec un camion plein de marins en patrouille, qui essayaient de, on était censé être la patrouille à terre, à essayer d’arrêter ces bagarres. Et le premier endroit où on est arrivés, là où il y avait un tas de zazous, quand je suis descendu du camion, j’ai plus ou moins glissé et j’ai fait tomber ma pioche, et un de ces gars avait ramassé ma pioche, un de ces zazous, et il m’a frappé sur la tête avec. Heureusement, je portais un casque en fer, mais ça l’a enfoncé sur mes oreilles, et ça m’a pris plusieurs minutes pour arriver à l’enlever. Juste après j’ai entendu ce gars hurler et pousser des cris, le gars derrière moi avait flanqué des grands coups à ce civil juste en travers de la bouche avec sa pioche et l’avait envoyer voltiger. Et il s’est avéré que ce gars de la marine, c’était un survivant d’un de nos bateaux qui avaient été torpillés. Alors il n’aimait pas ces zazous le moins du monde. Mais ça a été une grosse émeute dans Montréal un samedi soir de l’été, en août je crois, en 1944. Et savez-vous, que ça n’est jamais paru dans la presse où que ce soit.
Et la marine, tout le personnel a été interdit à Montréal pendant une semaine. Et la seule raison pour laquelle on était autorisés à sortir c’était parce qu’on travaillait sur place, mais on partait au travail le matin et puis le soir, on devait rentrer immédiatement dans nos quartiers. On n’avait pas la permission de sortir le soir ou quoi que c e soit d’autre pendant toute une semaine ou presque.
Et ces émeutes en fait se sont répandues dans les banlieues. À un endroit, ils avaient tout un tas de zazous réunis dans un kiosque à musique et ils allaient mettre le feu au kiosque. Ça montre à quel point ça avait mal tourné. Et un de nos gars de la marine, debout en attendant le bus, a été arrêté par la police de Montréal sans aucune raison. Ils l’ont juste arrêté. Et à ce moment-là on avait un adjudant de la marine à la tête de la patrouille à terre à Montréal, et quelqu’un lui avait rapporté cette histoire. Alors il est allé au commissariat et il a dit, relâchez cet homme et ils ne voulaient pas le relâcher. Et ils n’avaient rien contre lui, il n’avait rien fait, il attendait le bus. Et l’adjudant a dit, bon, si vous ne m’amenez pas cet homme dans les cinq minutes, dit-il, je déclare la loi martiale, ce qui voulait dire que la police de Montréal allait être sous les ordres de la patrouille à terre de la marine. Et c’était la dernière chose qu’ils voulaient. Alors, bon sang, en moins de cinq minutes, notre homme est sorti de prison et voilà. Mais toute l’histoire a été étouffée. Dans tout le reste du Canada personne n’a jamais entendu parlé des émeutes des zazous de 1944 à Montréal, mais ce fut une nuit brutale, je vous le dis.
Date de l'entrevue: 28 octobre 2010