Un, j’avais un doigt de pied sérieusement infecté, le pied gauche. Et que j’avais, j’ai le regret de le dire, ça s’était pas mal envenimé. Et il (son ami Charles Dylan) a dit : « Oh, non, ne fais pas ça. Pourquoi ne pas aller à ton bateau (NCSM Cayuga), ton docteur (Joe Cyr) vient d’arriver des Etats-Unis, c’est américain tu sais. » Et j’ai répondu : « Bon, d’accord. » Et hop on y est allés et c’était un homme très affable (Dr Cyr), un homme sympa et il a dit : « Bon, regarde, il est 5 heures du soir, pourquoi diable s’embêter avec ça là tout de suite, reviens donc demain matin à 8 heures pour qu’on s’occupe de ça. » Et c’est ce que j’ai fait. Et ça s’est bien terminé. Complètement réussi grâce au scalpel et tout le reste. Et quand le bateau a atteint Hawaï, j’ai pu mettre mes béquilles au rancard. Mais une sorte de complicité s’est crée sur le champ entre le docteur et votre humble serviteur.
Mon vieux commandant (J. Plomer, commandant du NCSM Cayuga) a eu une terrible rage de dents, une molaire. Et il n’y avait pas un dentiste à des milles à la ronde, alors il fallait bien faire quelque chose. Et on a fait venir Joe et j’étais présent. Il a dit : « Bon jetons un coup d’œil là dessus, » et a regardé et dit : « « Il faut que je vous dise, docteur, capitaine, la dentisterie à l’école de médecine on n’en a pas trop parlé mais j’ai des livres. Et on va s’en occuper. » Et le capitaine a répondu : « Bon, d’accord. » Donc quelques heures plus tard, Joe est apparu dans la cabine de jour du capitaine qu’on pouvait aussi aménager en hôpital avec les moyens du bord et il y avait une lampe de salle d’op ronde et tout ce genre de choses bien utiles. Et le voilà avec la table et il avait des pinces, de la plus petite à la plus grosse. Il lui a fait une piqûre avec une seringue hypodermique et il a réussi à avoir la bonne dent et après pas de septicémie ou quoi que ce soit et ça a complètement désenflé et tout allait bien. Et naturellement, notre docteur a été couvert de compliments une fois de plus.
Une fois, on a eu droit à un sacré spectacle, au large de l’estuaire de Haeju (large estuaire sur la côte ouest de la péninsule, proche du 38ème parallèle), qui se trouvait un peu au sud de là où on opérait en général. Et c’était pour soutenir une opération de la guérilla organisée par ce qu’on appelle ROK (troupes de la République de Corée). Notre mission consistait à les protéger avec des tirs nourris à l’avant pendant qu’ils débarquaient et à nouveau, en les appuyant quelques heures plus tard alors qu’ils repartaient. Notre navire s’est juste laissé porter par le courant de la marée et on a gardé la tête, c’est à dire le navire pointé dans la bonne direction. Juste en gros pour attendre le moment d’agir.
Tout s’est bien passé pour commencer et puis quand ces gens (les soldats de la République de Corée) sont repartis, certains d’entre eux n’allaient vraiment pas trop bien, il y avait des blessés et deux étaient morts mais notre docteur lui, Joe Cyr, c’était le héros. Et il se pavanait de haut en bas du pont supérieur avec sa blouse blanche et son calot à faire son travail de rafistolage et ainsi de suite et on était tous vraiment épatés.
Parce qu’après cet épisode dans l’estuaire d’Haeju, ce combat, nous dans le carré on était tellement impressionnés par Joe, on a contacté notre gars des relations publiques qui s’appelait Jenkins pour lui dire : « Écoute, il faut qu’on s’arrange pour que Joe reçoive une médaille, c’est fantastique. » On leur a tous envoyé des câbles pour suggérer la citation de Joe Cyr, l’AP (Associated Press), la CP (Canadian Press) et toutes les autres, y compris Reuters. On était debout cette nuit-là, nuit de bombardements, quand notre communicateur du bureau des transmissions, Johnnie Waters, est venu me voir pour me dire : «Et dis donc, on en as reçu un ici, c’est carrément chaud. » Il a dit : « Oh oui, et tu ferais mieux de le montrer au capitaine. » Alors c’est ce qu’on a fait. Et (le message disait) : « À remettre au capitaine en mains propres, avons des raisons de croire que votre médecin militaire est un imposteur. » « Faites une enquête et faites un rapport. » Bon, on a dit : « Sont zinzin ces soldats en chambre d’ Ottawa, ils n’ont pas idée. »
Et bien sûr, le vrai docteur Joseph Cyr au Nouveau-Brunswick a déclaré : « Eh, il s’agit de moi. » Et alors il a informé Ottawa, d’où le message reçu sur la bateau qui disait : « Votre docteur, on a découvert que c’est un imposteur. » Bon, là-dessus on a fait venir Joe et il a explosé en disant : « Ah, personne ne me fait confiance alors. » et ainsi de suite. Bon, on a dit : « Ne sois pas ridicule, bien sûr qu’on te fait confiance Joe. » Quoi qu’il en soit, il est parti bouder et s’est enfermé dans sa cabine et il a essayé de se supprimer avec des barbituriques. Et ça n’a pas marché. Et finalement, on a réussi à le faire monter sur le pont et on avait appelé notre navire ami, le Ceylon, c’était un croiseur de la marine royale. Il (Joseph Cyr) nous a dit, à un gars qui s’appelait Don Saxon et moi-même : « Vous savez les gars, j’avais juste espéré qu’on aurait pu retourner à Esquimalt (le port d’attache du NCSM Iroquois) et puis je serais parti tout simplement et c’est tout. » Bon, il est rentré escorté par le père d’un gars qui s’appelait Little. À Noël, on a eu un magasine Life, un de ces journaux à sensation, et il y avait un article très bien là dedans, et avec notre carte de Noël et toutes les signatures des officiers du carré.
En 1979, on a eu une réunion à Esquimalt et devinez qui s’est présenté ? Le révérend Ferdinand Joseph Demara (Ferdinand Waldo Demara, Jr) c’était son vrai nom. Aumônier à l’hôpital d’Anaheim, Anaheim en Californie. Et il a débarqué à l’improviste et on l’a laissé entrer bien sûr ; « Joe Cyr, bon sang, c’est fantastique. » Quoi qu’il en soit, un an plus tard, il était mort (Demara est mort le 7 juin 1982).