Je m’appelle Peter John Melkert. Je suis né à Rotterdam en Hollande le 9 janvier 1930. J’avais 11 ans quand la guerre a commencé, j’avais 16 ans quand elle s’est terminée. Quelques uns de mes amis, un de mes amis en particulier, son père jouait un rôle très actif dans la Résistance. Il était le seul à avoir une mitraillette Sten et ils partaient en raids le soir. Ce qu’on faisait c’était, pendant la journée, j’habitais près de, il y avait un pont de chemin de fer qui descendait de Rotterdam, le train allait de Rotterdam à La Haye et Amsterdam. Derrière ce pont il y avait un pâturage, juste une ferme et un grand pâturage. La journée, les allemands amenait les prisonniers contraints au travail là-bas et ils plantaient des poteaux dans la terre pour empêcher les parachutistes ou les planeurs d’atterrir là si, vous savez. Alors tous les quatre, on essayait de recueillir le plus de renseignements possible parce qu’avec les plus vieux, pendant la soirée, en fin de soirée, pendant la nuit plus ou moins, on enlevait le plus de poteaux qu’on pouvait.
Et aussi pendant la journée, ils construisaient des rampes sur lesquelles ils pouvaient installer des canons antiaériens et tout ce qu’on transportait comme on était des adolescents, je veux dire, beaucoup étaient des ados et comme on était sous occupation allemande et qu’on avait la vie dure avec ce qui se passait, ce qui se passait dans ma famille, on essayait de faire autant de dégâts qu’on pouvait dans leurs constructions, peu importe ce que c’était, on essayait de les détruire.
On a été près de se faire prendre deux fois. On s’est échappés mais, comme je l’ai dit, on était plus ou moins impliqués, comme on était les plus jeunes, à faire passer les renseignements qu’on dégotait dans notre quartier. La raison en était, j’avais découvert et je savais que pendant la guerre dans notre quartier, il y avait des collabos qui collaboraient avec les allemands. Et alors on essayait de recueillir des informations qu’on pouvait faire passer à la Résistance.
Un soir, on est descendus voir ce qui s’était passé pendant la journée. Alors on est descendus un soir, c’était toujours le soir, toujours quand tout était silencieux, qu’il faisait presque noir. Apparemment, ils étaient en train de construire un petit bâtiment, du genre des postes de sentinelles, ou quelque chose comme ça, un petit bâtiment. Et on en a abattu une bonne partie pendant la soirée. Et bien sûr, comme je l’ai dit, quand vous êtes un ado, vous… Alors ils nous ont tiré dessus et on a réussi à partir de là, à nous en sortir.
Alors on a eu de la chance, on avait la chance qu’il y ait beaucoup d’eau dans ce pâturage là-bas, il y avait des petits canaux, des petites rivières où les canards barbotaient. On est descendus dans l’eau là-bas et on s’en est sortis.
Ils m’ont volé ma jeunesse. J’ai grandi pendant une période terrible. Je veux dire, mon père a été déporté en Allemagne pour les travaux forcés. Ma mère a fait une grosse dépression nerveuse. Et ça allait si mal que, vous savez, j’étais fils unique, alors c’était très dur de voir ma mère quand, parfois elle n’arrivait plus à respirer. Et je m’étais procuré des médicaments chez le médecin là-bas, de la poudre. Il n’y avait pas d’inhalateur à l’époque évidemment. J’avais une poudre que je mettais dans une petite assiette et je l’allumais et ma mère devait inhaler la fumée qui s’en dégageait pour pouvoir recommencer à respirer. Alors ce n’était pas facile pour un adolescent.
Je déteste ce que c’était, si terrible à l’époque et quand vous avez mon âge et vous traversez tout ça, vous ne voyez pas le moindre danger. Vous ne voyez pas le danger. Les choses qu’on faisait pendant la soirée, vous vouliez faire quelque chose là-bas, vous savez.
Les soldats canadiens avaient déjà libéré une partie de la Hollande en huit mois. Et on attendait toujours. Amsterdam, La Haye et Rotterdam, on attendait toujours que les canadiens arrivent pour nous libérer. On n’était plus ravitaillés et il était clair que les allemands n’allaient pas nous nourrir alors qu’il leur fallait nourrir leurs propres hommes. Alors ça voulait dire qu’on mangeait des oignons de tulipes. J’ai mangé des oignons de tulipe et des betteraves à sucre. J’ai mangé d’autres choses dont je ne veux même pas parler mais je veux dire, on se battait pour survivre. On était affamés.
Quand on a entendu dire que les canadiens arrivaient, je suis allé à l’hôtel de ville. Et j’ai eu la chance de rencontrer les premiers canadiens qui sont arrivés à Rotterdam. Il y avait quatre officiers dans une jeep. Et ils se sont garés devant l’hôtel de ville. Et ils voulaient savoir qui (était responsable), bon, évidemment, je ne parlais pas anglais. Je ne parlais pas anglais. Alors, mais ils voulaient en quelque sorte parler à des gens de la Résistance, savoir comment entrer en contact avec eux. Alors on les a emmené à l’intérieur de l’hôtel de ville. Et bien sûr c’est là qu’ils sont restés et je suis parti juste après, pour aller dehors.
Et quand je suis arrivé dehors, les premiers chars arrivaient et les soldats arrivaient et comme je le dis toujours, je les appelle mes libérateurs, je suis allé à la rencontre du premier soldat canadien et il m’a serré la main et je lui ai serré la main et j’ai dit, merci, merci, merci. Et le premier cadeau que j’ai reçu d’un soldat canadien c’était une poignée de raisins secs. J’étais très fier de l’accepter, de porter le drapeau hollandais à la tête du groupe, derrière les soldats canadiens qui ont marché au pas, de l’hôtel de ville jusqu’à certaines parties, la rue principale de Rotterdam. C’était la marche de la libération et j’y ai pris part.
Date de l'entrevue: 8 octobre 2010