Je faisais partie des jeunesses hitlériennes (organisation paramilitaire du Parti nazi) et à cette époque, j’étais apprenti boulanger. Il y a eu cette rumeur qui circulait dans ma ville natale comme quoi ils étaient à la recherche de volontaires pour l’artillerie antiaérienne dans ma ville natale. J’ai pensé, bon, ce serait pas mal d’essayer quelque chose. Alors j’ai levé la main et dans les trois semaines, j’ai reçu une lettre, une carte postale, qui me disait de me présenter au bureau du travail, à telle et telle salle, pour commencer à travailler comme auxiliaire antiaérien (dans la Luftwaffe, armée de l’air allemande).
J’ai commencé en août 1944 et vers la fin du mois d’octobre, notre batterie a été dissoute parce qu’on avait toutes les raisons de croire qu’un pilote de reconnaissance ennemi (allié) nous avait pris en photo et s’en était tiré; et notre batterie était plus ou moins une cible facile maintenant. Les autorités n’ont pas attendu de se faire bombarder. Donc la batterie a été dissoute et les aides, les auxiliaires, ont été renvoyés chez eux en congé jusqu’à ce qu’on les rappelle. Mais on ne nous a jamais rappelés parce que les Américains sont arrivés à la place.
Évidemment, j’étais censé être appelé, mais en fait ça ne s’est pas produit. Mais il y avait d’autres choses intéressantes qui se passaient. Au début du mois de mars 1945, au moment où l’Allemagne avait déjà un quart de son territoire couvert de soldats ennemis, vous savez, les troupes alliées, on n’en savait rien parce qu’on ne nous disait rien dans les nouvelles. Dans le sud de l’Allemagne, les choses étaient plus ou moins normales. On m’a donné l’occasion de suivre une formation de pilotage de planeur parce que j’avais passé le test A de pilotage de planeur, alors on m’a offert la possibilité de passer le test B et ça s’était bien passé. Je m’en suis très bien sorti. L’instructeur m’a dit : « Regarde-moi ça, tu te débrouilles vraiment très bien à l’atterrissage sur la cible. Pourquoi ne ferais-tu pas carrière là dedans? »
Et il s’est avéré que, l’avion que j’étais censé piloter, vol d’essai, programme d’entraînement, c’était la V1 version pilotée. La V1 version pilotée était une mission suicide. J’ai découvert ça en quittant la base parce que l’instructeur de vol, à qui on m’avait présenté en premier, était un ami de la famille. On se connaissait, comme un oncle et son neveu. Et en retournant vers la sortie, il m’a accompagné vers la sortie et je lui ai demandé : « C’est quoi comme genre d’avion le Fieseler 103? », parce qu’on ne m’en avait pas dit plus que ça. Je croyais que c’était une sorte de planeur. Il s’est arrêté net et il a secoué la tête tant il avait peine à y croire et il m’a regardé. Il m’a demandé, on ne t’a rien dit? Les Fieseler 103 sont, plus précisément, les V1 version pilotée. Mais il était tenu au secret. J’ai dit, bon, d’accord. Il ne m’a pas demandé, je ne t’ai pas dit, d’accord. J’ai pensé, si ce truc s’écrase, le temps que mon parachute s’ouvre, je serai en dessous de 400 mètres, l’onde de choc va détruire mon parachute. Alors je me suis figuré, si jamais j’en pilote une, je ne vais pas actionner le coupe-circuit et si possible, je vais sortir plus tôt, avec de la chance, je ne me ferai pas descendre.
Le rappel de l’artillerie antiaérienne n’est jamais venu, le rappel pour piloter une Fieseler 103, rien ne s’est passé. À la place, pendant les deux dernières semaines, on m’a poussé à suivre l’entraînement des Werwolf (opération Wehrwolf : unités de commandos de l’armée allemande entrainées à infiltrer les lignes ennemies). Les Werwolf ne tuent pas des gens. Les Werwolf sabotent le matériel et foutent la trouille aux soldats, pour ralentir l’effort de guerre. (rire) Alors que les Américains étaient déjà arrivés, ils (les Allemands) ralentissaient l’effort de guerre. (rire) Vous savez, on n’avait pas connaissance de tous les progrès, alors on était toujours branchés sur le fait, de faire quelque chose de bon, qui serait à quelque chose.
À nouveau, en ce qui concerne nos actions avec les Werwolf, ce sont les Américains qui sont arrivés à la place. Donc avec le recul, au début, j’étais intimidé et je ressentais de la honte parce qu’on avait perdu la guerre, qu’on avait été conquis. Mais quand j’ai enfin compris que j’étais en fait débarrassé du national-socialisme, et ça m’a pris du temps pour comprendre. Alors aujourd’hui, être au Canada, avoir prêté serment d’allégeance à la reine, je m’en montre digne et quand je suis avec des militaires, je leur témoigne mon respect.
Date de l'entrevue: 18 octobre 2010