Reg Harrison (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Reg Harrison (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Reg Harrison a quitté la ferme familiale dans la Saskatchewan et s’est engagé dans l’Aviation royale canadienne en 1941. Il est devenu pilote et a piloté des bombardiers Halifax puis des Lancaster dans le 431e escadron de l’ARC. Il a effectué de nombreuses missions au-dessus de l’Allemagne, notamment dans la Ruhr, et aux Pays-Bas. Il a également participé à la mission des 13 avions envoyés dans la poche de Falaise en 1944, où les troupes canadiennes ont été accidentellement bombardées par des avions alliés. Reg Harrison a survécu à quatre accidents d’avion, ce qui lui a valu le surnom de « Crash ».


Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

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Alors je ferais mieux de maintenir cet engin à niveau, c’est mon premier vol sur un Lanc. J’ai levé les yeux et je vois tout ce feu, et il y a un Halifax en train de brûler et : « Oh mon Dieu ! Je ferais mieux de rester entre ces deux murs de flammes. »

Transcription

Je sais que tout allait bien jusqu’au treizième vol, et mon mitrailleur de queue ; il avait plu cette nuit-là et il avait fallu aller dans la salle de briefing deux fois parce qu’il tombait des cordes. Et quand on y est retournés pour la troisième fois il ne disait trop rien et je lui ai demandé : « Qu’est-ce qui se passe Kenny, tu ne te sens pas bien ? », « Tu sais, Capitaine, tu sais de quel vol il s’agit ? » Et j’ai répondu : « Oui, c’est le treizième. », « Bon sang, dit-il, je n’aime pas le nombre 13 ! On ne peut pas l’appeler le 12A ? » Et j’ai répondu : « Oui, Kenny, si ça t’aide à te sentir mieux, on l’appellera le 12A. »

Les pilotes, une fois qu’ils décollent, peu importe si vous êtes dans une unité d’entrainement opérationnelle ou autre, la seule chose que vous craignez vraiment, c’est de perdre un moteur. J’avais parcouru les trois quarts de la piste et je n’étais pas encore dans les airs, et bang. Le moteur tribord qui lâche. Et puis quand il lâche, vous êtes à plein régime ici, et vous déviez comme ça. Nuit noire, je suis le troisième dans la file, il y a environ 21 appareils par escadron. Ils y vont chacun à leur tour.

Donc je savais que les appareils étaient encore dans le périmètre, en attendant leur tour pour décoller. Je n’y voyais rien et je n’avais pas vraiment le temps de réfléchir. Alors je ne savais pas si je devais réduire les gaz parce que j’avais tout un chargement de bombes et je ne savais pas ce qui allait se passer si je réduisais les gaz. Est-ce que j’allais rester coincé dans la boue ? Alors j’ai poussé à fond la manette pour avoir plus de puissance et quand j’ai fait ça, ces deux moteurs étaient à plein régime et l’appareil est parti comme ça.

Alors j’ai compris que j’allais m’écraser. Et j’ai crié à l’équipage. C’est la dernière chose dont je me souvienne. J’ai crié à l’équipage de se préparer au choc. L’appareil a décroché et ensuite on s’est écrasé à l’extérieur du terrain, à environ 400 mètres de là, on se dirigeait vers une ferme, mais il y avait un mur en pierre de la hauteur de cette table à peu près, et on est rentrés dedans. Mon viseur de lance-bombes, je n’ai pas eu le temps de lui dire de se baisser. Mais quand on a heurté le mur, il est passé à travers le tableau de bord et un des boutons s’est fiché dans son front.

Le cockpit était complètement en bouillie, et moi je me suis retrouvé projeté à l’extérieur et je ne me souviens de rien à propos de l’accident parce que j’étais dehors sur l’aile et mon opérateur radio et le mitrailleur dorsal, ils étaient toujours conscients. Et autre chose aussi, le véhicule d’intervention et l’ambulance venaient à notre rencontre et l’ambulance s’est pris le camion de secours. Ils étaient en train de faire des tranchées de drainage. Ils sont tombés dans une tranchée de drainage et se sont arrêtés là et l’ambulance derrière, elle est rentrée dedans et les deux hommes dans l’ambulance ont été tués.

Donc il n’y avait vraiment personne là-bas après. Alors mon opérateur radio et le mitrailleur dorsal, ils m’ont retrouvé sur l’aile et ils m’ont sorti de là et les autres, ils sont sortis par l’arrière. Et ensuite, le chargement de bombes, il a explosé. Mais je ne m’en souviens pas. Je me souviens de mon réveil dans l’ambulance, l’hôpital était à environ 70 kilomètres, et je me rappelle avoir repris connaissance et j’ai entendu ce hurlement horrible et je pense que mon viseur de lance-bombes était encore en vie, mais ça lui comprimait le cerveau. Je ne le savais pas à ce moment-là, j’ai découvert ça après. Ils n’étaient pas prêts à lui opérer le cerveau, mais ils l’ont fait. Il est mort sur la table d’opération.

Je pense que certains d’entre eux avaient tellement peur qu’ils pouvaient à peine monter dans l’avion, ça les rendait malades. Remarquez, les pilotes, je ne crois pas, on avait peut-être plus d’appréhension, mais on avait tellement de choses à faire. Piloter l’avion, il faut en connaître un peu sur tous les différents postes à bord, et quand les projecteurs... Le pire c’était de voir un avion en flammes ou de le voir exploser, ça, c’était ce qu’il y avait de plus effrayant. Mais vous étiez toujours en train de vous dire que ça ne peut pas vous arriver à vous, que vous allez passer au travers. Il fallait penser de cette façon, autrement, bon, beaucoup d’entre eux avaient peur. Ils ne pouvaient pas faire ça, ils avaient trop peur d’y aller.

De plus, les raids auxquels j’ai participé avaient lieu de nuit et j’étais plutôt content parce que j’en ai fait trois ou quatre de jour. Le premier, vous avez surement entendu parler de la poche de Falaise [bataille très importante qui eut lieu entre le 12 et le 21 août 1994] ; j’ai participé à raid où ils ont bombardé trop tôt, et tué des soldats canadiens et des Polonais qui étaient montés jusqu’à cette carrière. Les incendies brûlaient encore. Ils nous disaient, si vous ne savez pas où vous larguez vos bombes, rapportez-les. Et Hal était un bon navigateur, alors il avait de la côte au canal, et du canal au point cible qui était dangereux. On était à environ une minute et demie de la cible, mais le bombardier principal a été abattu ce jour-là, pour larguer les marqueurs, et l’adjoint, voyez, il a pris le relais.

Il y avait 13 bombardiers qui ont largué ces bombes trop tôt, et je le vois encore ce [Handley Page] Halifax qui attendait là, il n’était pas très loin de moi, et je voyais tous les marquages sur les bombes, la peinture blanche, je les voyais, j’étais à ça de cet Halifax. J’ai dit à mon navigateur, je lui ai dit : « Il y a un Halifax ici, il a la trappe de sa soute à bombes ouverte. » J’ai ajouté : « Il est en train de larguer ses bombes. » Il a répondu : « Bon, tu n’y es pas encore, il te reste une minute et demie. »

Ensuite quand il a largué ses bombes, d’autres ont commencé à larguer les leurs. Et on nous a dit qu’il y en avait 13 qui avaient largué leurs bombes. Alors quand on est rentrés à la base, il y avait un message pour nous : « Tous les pilotes » c’est arrivé par l’intercom, dans le casque, « Tous les pilotes, les navigateurs et les viseurs de lance-bombes, présentez-vous immédiatement en salle de briefing. » Tous les appareils ont des appareils photo à bord, et dès que le viseur de lance-bombes appuie sur le bouton pour lâcher les bombes, l’appareil photo se met en marche. Alors ils savaient exactement lesquels avaient bombardé à l’avance et ils se sont aperçus que pour la plupart il s’agissait d’équipages inexpérimentés. Ils n’auraient jamais dû les envoyer faire un raid comme celui-là. Ils avaient les Allemands qui étaient coincés. La seule route par laquelle ils pouvaient s’échapper c’était au sud et il faisait une chaleur d’enfer ce jour-là et je me souviens encore des chevaux dont ils se servaient alors, car ils n’avaient plus assez de carburant. Il y avait des chevaux dans le fossé, il y avait des chars qui brûlaient et des camions, c’était le chaos total. Mais on n’a su ce qui s’était passé seulement après notre retour.

Et une autre fois, on a participé à un raid de jour pour aller bombarder un terrain d’aviation pour chasseurs de nuit allemands à mi-chemin entre Rotterdam et Amsterdam [Hollande] et c’était une belle journée ensoleillée et j’avais oublié mes lunettes de soleil et le soleil brillait et on a survolé Hull [Yorkshire, Angleterre] où se trouvaient mon oncle et ma tante, je m’en souviens. C’était la route qu’on a empruntée et j’ai pensé : « Oh ! Je me demande si ma tante est dehors à regarder ces bombardiers. »

On a survolé l’endroit et puis évidemment en plein jour, avec les tirs antiaériens, quand les obus explosaient, on voyait la fumée noire. Alors que la nuit si l’obus était proche, l’appareil faisait une petite embardée et vous saviez que ce n’était pas passé loin.

Il avait autre chose qui était effrayant, c’était de se faire prendre dans le cône d’un projecteur. Ils avaient ce qu’ils appelaient un projecteur principal. Si un projecteur, pas le projecteur principal, mais un autre projecteur, s’il arrivait à prendre un appareil dans son cône de lumière, le projecteur principal piquait droit sur l’appareil en question et vous étiez complètement aveuglé, c’était tellement puissant. Et puis bien sûr, s’il y avait un chasseur de nuit dans les parages, évidemment vous étiez pris comme un rat.

Mais l’unique moyen de se sortir de là c’était de mettre, même si vous aviez un chargement de bombes à bord, il fallait baisser le nez de l’appareil et descendre en piqué avec le truc et puis remonter à toute vitesse et reprendre votre route. On s’est fait prendre une fois et c’était vraiment effrayant.

Mon premier vol, et ensuite on est passés aux [Avro] Lancaster, des Lanc canadiens. Mon premier vol avec un Lanc canadien, on a été déviés. On a atterri à Tottenham [Angleterre] avec le système FIDO [dispersion intensive de brouillard]. Vous avez déjà entendu parler de FIDO ? Il y avait du brouillard, ils avaient ces deux tuyaux avec des trous dedans et ils envoient du carburant à indice d’octane élevé là-dedans, ils y mettent le feu et la chaleur disperse le brouillard jusqu’à 600 pieds d’altitude. Bon, quand on a suivi les cours de pilotage de perfectionnement pendant six semaines, tout l’entraînement reposait sur l’approche sur faisceau. Il fallait se servir du morse. On apprenait le morse au Canada. Je me suis souvent demandé pourquoi un pilote avait besoin de connaître le morse. Et bien, pour vous mettre dans l’axe avec le faisceau il fallait connaître le morse. Dans le Halifax, les commandes étaient en haut, et quand j’ai levé les yeux, je ne les trouve pas, et j’attends mon tour et ils sont en train d’appeler mon numéro. Je regarde tout autour et bon sang de bonsoir, je n’arrive pas à trouver la piste et puis j’ai levé les yeux et là je trouve ça. Ensuite, je n’arrivais pas à me souvenir de celui pour la gauche et celui pour la droite, parce que ça faisait un an et demi que je ne m’en étais pas servi.

Finalement, après ce qui m’a semblé être une éternité, j’ai finalement réussi à comprendre ce qu’on m’envoyait. Je pilotais sur faisceau, et puis vous recevez un bip continu. Quand il est arrivé, j’étais à 700 pieds, et mince alors ! Et puis vous sortez du brouillard et il y a deux grands murs de feu. Alors je ferais mieux de maintenir cet engin à niveau, c’est mon premier vol sur un Lanc. J’ai levé les yeux et je vois tout ce feu, et il y a un Halifax en train de brûler et : « Oh mon Dieu ! Je ferais mieux de rester entre ces deux murs de flammes. » En tout cas, pour être bref, je me suis débrouillé pour poser l’engin.

On a pris le petit déjeuner, on est repartis à Croft [-on-Tees, dans le Yorkshire en Angleterre]. Deux jours plus tard, on est partis à Duisbourg [Allemagne] dans la Ruhr [cœur industriel de l’Allemagne]. Pour commencer, on avait un nouveau mitrailleur dorsal. Je ne connaissais pas très bien l’équipage. Je n’avais fait que des vols dans le pays, et il a dit : « Capitaine, il y a un Halifax qui nous tire dessus. Qu’est-ce que je dois faire ? » J’ai répondu : « Bon, ce n’est pas possible. » « Si ! dit-il, c’est un Halifax, je le vois. » J’ai répondu : « Et bien, tire-lui dessus toi aussi. »

En tout cas, à peu près à ce moment-là les tirs ont cessé. On a découvert plus tard que c’était un équipage de Skip lors de son tout premier vol et ils croyaient tirer sur un chasseur de nuit allemand non identifié. Il s’agissait d’une mission de bombardements. Et bien sûr, un des moteurs était en feu, ils avaient mis le feu à un moteur. On a su tout ça après coup parce qu’ils avaient tout enregistré. Mon navigateur avait noté l’heure de l’attaque et ça coïncidait.

En tout cas, je l’ai gardé en palier, le mécanicien a éteint l’incendie, a largué les bombes, est allé fermer les portes de la soute à bombes. Il n’a pu les fermer qu’en partie alors je suis rentré avec les portes comme ça, mais on ne le savait pas sur le moment, mais quand le Halifax… Oh ! On a aussi été touché par les tirs de DCA [tirs antiaériens]. Quand ils nous ont tirés dessus, les circuits hydrauliques sont toutes situés sur le côté gauche de l’appareil. Ces balles de mitrailleuse, elles ont fait des trous dans les tuyaux. Alors je suis rentré à la base et puis évidemment le mécanicien descend le train. J’ai demandé : « Le train est descendu ? » Il a répondu : « Pas de roue de ce côté, Capitaine ! » J’ai répondu : « D’accord. » Est-ce qu’il a une bouteille d’air comprimé dont on pourrait se servir ? Ne peux pas la faire descendre. Abaisse-la, ça ne marchait pas. Alors j’ai dit à la tour de contrôle, je leur ai dit : « On n’a qu’une seule roue. Je ne peux pas atterrir ici, la piste est trop courte. » « Attendez. » Alors j’ai attendu et puis ils m’ont envoyé sur un terrain pour les atterrissages en catastrophe sur la côte est, [RAF] Carnaby, mon dernier atterrissage là-bas. Alors j’ai atterri sur une seule roue.

En tout cas, mon mécanicien était anglais et il m’a dit : « Capitaine, Christ, a-t-il dit, il va falloir qu’on saute en parachute. On n’a pas assez de carburant pour aller jusque là-bas. » J’ai répondu : « Ne t’inquiète pas, on a deux ou trois fois plus de carburant qu’il n’en faut. » Il avait peur, vous savez. En tout cas, c’était mon dernier vol.