Project Mémoire

Reuben Patrick

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

M. Reuben Patrick, novembre 2011.
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Le soldat Patrick dans son uniforme du temps de la guerre.
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M. Patrick posant près d'un camion pendant la guerre.
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Et j’étais allongé et j’étais comme ça sous le soleil, prenant un bain de soleil, et il y a un avion qui est arrivé et vous voyez la soute à bombe s’ouvrir et cette satanée bombe tomber.
J’ai fait la traversée à bord du Princess Mary (RMS Queen Mary, un paquebot), un grand navire, et pendant la traversée, j’étais serveur. Oui. Servir les repas des soldats. Je jouais aux cartes. Avant la guerre, j’étais dans le camp de ligne d’arrêt et j’avais l’habitude de regarder les gens jouer aux cartes et ils jouaient au cribbage (un jeu de cartes anglais très populaire), 15/2, 15/4, 15/6, 15/8. Bon sang comment vous réussissez à avoir 15, deux (…). Et je n’arrivais pas à trouver. Et en allant outre-mer, je m’asseyais et je les regardais jouer aux cartes, et un groupe de CWAC (les femmes qui servaient dans le Service féminin de l’armée canadienne) jouait au cribbage. Et je dis à une de ces jeunes femmes, j’ai dit : « Bon sang, mais comment vous arrivez à faire 15/2? », et ceci et cela. Et elle m’a montré et j’ai juste (…). J’ai toujours joué aux cartes depuis. Mais oui, ça nous a pris 12 jours pour arriver au… On est monté, tout là-haut jusqu’au Groenland. Et le Queen Mary était un grand navire et rapide aussi et on a fait toute la traversée (de l’océan Atlantique) en zigzaguant. On s’entrainait, on essayait de se former du mieux qu’on pouvait pour qu’au moment d’entrer en action, on arrive survivre. On a commencé à avoir une idée de ce qui se passait quand on est arrivés sur le front, ce n’est pas ce qu’ils vous enseignent dans les livres ni à l’entraînement. Je veux dire, ça vous aide un peu, mais quand vous arrivez sur le front, c’est chacun pour soi. Vous survivez ou alors vous vous faites tuer. Si vous ne les tuez pas, c’est eux qui vous tueront. Alors vous n’avez pas vraiment le choix. Le seul événement un peu spécial dont je me souvienne c’est quand nous avons été bombardés par notre propre avion (pendant la campagne de Normandie, en juillet 1944). J’étais allongé, on venait de rentrer du front et j’avais pris un bain, je m’étais rasé et c’était une belle journée. Et j’étais allongé et j’étais comme ça sous le soleil, prenant un bain de soleil, et il y a un avion qui est arrivé et vous voyez la soute à bombe s’ouvrir et cette satanée bombe tomber. Bon sang, c’est sûr que ça vous fait vous bouger. Et j’ai manqué à l’appel pendant deux semaines parce que je suis parti à la plage. J’ai dit : « Au diable tout ça », mais je n’oublierai jamais ça et le jeune gars, je dis un jeune gars, je suppose qu’il avait à peu près le même âge que moi, et il était effrayé. Et j’ai dit : « N’aie pas peur, j’ai dit, reste avec moi, j’ai dit, ça va aller. » Et le pauvre gars, je crois qu’il avait roulé sur un capteur explosif ou quelque chose comme ça, un camion plein d’explosifs, de la bombe, et je suis parti et il ne me suivait pas. Et le pauvre gars, je ne l’ai jamais revu après ça, donc. Vous ne pouvez pas leur en vouloir (les bombardiers alliés) parce que je comprends tout à fait, parce que les pauvres gars, ils quittent l’Angleterre et ils ont un endroit précis où on leur a dit de larguer leur bombe. Entre le moment où ils partent d’Angleterre et arrivent ici, nous on est déjà là. On avançait tellement vite, au moment où l’avion arrive ici, ils vident l’avion et ils se fichent de savoir ce qui est en dessous parce qu’ils ne savent pas si ce sont les Allemands qui essayent de les arrêter ou bien nous. Et ils ont reçu des ordres. On ne peut pas entrer en contact avec ces gars, on n’avait pas les moyens de communication d’aujourd’hui. Alors on ne peut pas leur en vouloir. Ils avaient des ordres, ils devaient vider leur avion à un certain endroit et c’est ce qu’ils ont fait. On a envoyé un Typhon (le Hawker Typhon, un chasseur bombardier monoplace) pour essayer de les arrêter, mais ça ne les a pas stoppés, ils ont continué à arriver. Dans mon unité, les gens avec qui j’étais, je ne sais pas combien ils étaient, mais j’ai entendu dire qu’il ne restait que 12 personnes de mon unité après le bombardement. Et peut-être que le 13ème c’était moi parce que j’étais loin derrière. Parce que quand j’ai vu ces bombes tomber, je ne suis pas resté dans le coin. Et là où j’étais allongé, c’était un cratère de deux mètres de large, fait par une des bombes. Alors vous imaginez. Et s’ils atteignaient le camion, ils ont bien dû toucher le camion parce que le camion était plein d’explosifs, ce n’était pas très loin de là où j’étais. Alors ce truc a dû lui aussi exploser. Je peux vous raconter mon expérience et le gars d’à côté peut vous raconter son expérience et chaque soldat, chaque individu qui voit les choses différemment. Ce que je vois est différent de ce que voit le gars d’à côté. Je m’en fous pas mal de ce que tout le monde dit. Il n’y a pas deux soldats qui vous raconteront la même histoire.