Project Mémoire

Robert Collin Routledge

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Robert Routledge
Robert Routledge
Carte de Noël de l'Armée du Salut, 25 décembre 1944
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Robert Routledge
Carte de Noël de l'Armée du Salut, 25 décembre 1944
Robert Routledge
Tout à coup, on a entendu un sifflement, c’était une bombe incendiaire.

Je m’appelle Robert Routledge. Je me suis enrôlé dans l’Armée de réserve en juillet 1940. J’ai suivi mon entraînement à Farnham pendant quelques mois puis j’ai décidé de joindre le service actif, de sorte que je suis entré dans la force régulière en octobre 1940.

Vous vous demandez comment j’ai trouvé ça? Eh bien, ça a été la période la plus extraordinaire de ma vie, de ma jeunesse si l’on peut dire, tout bien considéré. Dans ce temps-là, vous savez, l’idée, c’était : allons-y, faisons notre devoir. Et c’est exactement ce que j’ai fait. En 1940, quand j’ai joint les Transmissions, on était ici, à Montréal, notre première affectation était à Montréal. Ensuite, on est allés à Barryfield, où on a joint d’autres soldats. On portait alors le nom de 1re Division blindée canadienne. Mais, comme il paraît qu’il y avait déjà une première division, on nous a rebaptisés 5e Division blindée canadienne. De là, on est allés au camp Borden et, en novembre 1941, on est partis pour l’Angleterre.

Fait intéressant, on était escortés par le premier convoi américain quand on a quitté Halifax; je pense que ce convoi représentait la moitié de la flotte américaine à ce moment là. Ils nous ont laissés en Islande, et c’est la marine britannique qui a pris le relais, mais c’était comme le jour et la nuit : il s’agissait seulement de trois ou quatre destroyers dans un état douteux.

En cours de route, on s’est levés un matin pour constater qu’on était tout seuls en plein milieu de l’Atlantique, et notre navire est tombé en panne. Et c’était toute une surprise parce que, vous savez, il y avait des sous-marins autour, mais je pense que j’ai été chanceux, car, 48 heures plus tard, un destroyer britannique s’est pointé, et on nous a demandé de le suivre. Cela nous a menés à Gurrock, en Écosse.

Eh bien, beaucoup de gars avaient le mal de mer, mais je n’ai jamais été malade. Ils ont essayé de me rendre malade un soir : on était en train de jouer aux cartes en bas, sous le pont, ils ont bien essayé, mais je suis passé au travers. Il y avait une blague qui courait, ça tournait autour d’un morceau de lard qu’on attachait au bout d’une corde et qu’on agitait de haut en bas et de bas en haut dans la gorge. Bien sûr, les gars ont essayé ça… Ça ne m’a pas dérangé, et j’ai fini par atterrir sur le pont; ça ne m’a jamais dérangé, j’adorais naviguer. C’était apeurant, mais on se disait que si quelque chose devait arriver, ça arriverait, c’est tout.

Mais, je vous le dis, on a eu de la chance. Le convoi qui se dirigeait vers l’Italie, le convoi avant nous, a été frappé; quelques navires ont coulé. Le convoi après nous a été frappé, et nous, on n’a rien vu. Tranquille tout le long dans notre cas. On pourrait dire qu’on a eu plus de bons moments que de mauvais. Il y a eu des moments pénibles, mais c’était notre vie à ce moment là. On avait les copains, une chance! Et nous autres, on posait des fils. Et ce qu’il y a de drôle à ce propos… une nuit, on était bombardés, et on nous a dit que les communications étaient coupées avec une des escouades. Mon copain – il était poseur de lignes – a demandé à son chauffeur de prendre la jeep : « Allons-y, Murray, il faut qu’on aille voir ce qui cloche et arranger ça ». Et, évidemment, son chauffeur ne voulait pas y aller.

De bons moments et de moins bons… Le chauffeur disait : « Oh, non, je ne me sens pas bien, tu sais. Je n’ai pas envie d’y aller, Jack. » J’étais couché, je venais juste de me mettre au lit, et quand je dis lit, je veux dire juste un lit de camp que j’avais piqué quelque part. Alors Jack m’a dit : « Hé, Bob, tu viens avec moi? » J’ai répondu : « Ouais… tu sais, Jack… ». Et il a insisté : « Voyons, Bob, allons! » On était copains depuis un certain temps. J’ai accepté. Et on est partis. C’était toute une excursion, sous les tirs d’obus, au-dessus de nos têtes et tout autour. On a vérifié le premier téléphone, le deuxième, le troisième puis le quatrième; tout allait bien pour ceux là. Je pense que quand les tirs ont commencé, le type qui était au téléphone avait son appareil avec lui. Il a plongé dans sa tranchée et, évidemment, il a tiré son téléphone avec lui et le fil s’est détaché, tout simplement. C’est tout ce qu’il y avait. On s’est dit : « Bon Dieu, c’était juste ça? » On a haussé les épaules, sans oublier de rabrouer le type, puis on a rebroussé chemin.

C’est un exemple des choses qu’on devait faire, pour ce qui est des transmissions. C’était super. Une autre nuit, j’avais un chauffeur, un jeune francophone, le gars le plus gentil de la terre. On était assis à côté du camion, et il commençait à faire noir. Les Allemands occupaient une haute colline, c’était leur stratégie favorite : se planquer en hauteur et faire feu sur l’ennemi plus bas. On savait que si on entendait le sifflement d’un obus qui s’en venait, on était OK. Si on ne l’entendait pas, on ne s’en inquiétait pas.

Mais, tout à coup, un obus a explosé à une bonne distance, mais quand même assez proche. Et mon pote, Don qu’il s’appelait, a sauté dans la tranchée qu’on avait creusée, parce qu’on était là depuis une journée environ. Il a sauté dedans, donc, mais, moi, j’avais enlevé mes bottes. Je les ai cherchées, mais c’était la brunante. J’en ai trouvé une, mais l’autre… Il criait : « Allez, arrive! Viens-t’en! » J’ai fini par trouver l’autre botte et je l’ai jetée dans la tranchée. Il a eu tellement peur, il pensait que c’était un fragment d’obus ou quelque chose comme ça. Mais c’était seulement ma botte… On a tellement ri!

C’était le genre d’aventure qu’il nous arrivait. Des tirs d’obus, des tirs de mortier, et ainsi de suite… Ça me rappelle autre chose. On était à Brighton, en Angleterre, une petite ville côtière anglaise typique. On a entendu un avion; c’était après souper, on était assis, puis on a entendu le ronron d’un avion. On s’était habitués à reconnaître les bombardiers allemands par le son des moteurs. Cette fois là, on n’était pas sûrs… c’est un de nos avions… non, c’est un allemand… Tout à coup, on a entendu un sifflement, c’était une bombe incendiaire. Ces bombes-là, elles étaient dans de grosses douilles. À l’impact, elles s’ouvraient et il en sortait des fusées éclairantes qui leur indiquaient les cibles pour larguer leurs grosses bombes, vous savez…

Eh bien, je vous dis qu’on avait bien du plaisir à essayer d’éteindre les fusées éclairantes. On savait que si on ne les éteignait pas, on y goûterait dans pas long. Alors, il y avait une fusée qui brûlait juste derrière notre bâtisse, à l’hôtel derrière nous autres… mais on ne peut pas éteindre ça avec de l’eau. La seule manière d’éteindre ces feux-là, c’était avec du sable. Eh bien, on avait un gars, on lui a dit : « Allez, vas-y! » Et on le poussait pour qu’il aille éteindre ça. On n’était pas des héros, on l’a poussé vers la fusée en lui disant d’aller l’éteindre. On a fini par y arriver. Mais, pendant ce temps là, il est descendu un parachute, et un de mes copains a récupéré le parachute. J’ai eu un morceau de la minuterie et un morceau de l’ailette, et tout ce qui s’ensuit.

Évidemment, le lendemain, des gars du Renseignement sont venus; ils voulaient savoir ce qui s’était passé et ils voulaient les débris… Personne ne savait où ils étaient, ni où se trouvait le parachute… Mon copain a envoyé le parachute à la maison, à sa femme… en pure soie, vous savez. Comme j’ai dit, c’était ce genre de choses qui nous arrivait. Comme j’ai dit, on s’amusait. Et je sais que beaucoup d’entre nous, s’il fallait qu’on le refasse, on recommencerait. Parce que, vous savez, en ce qui me concerne et en ce qui concerne les autres, les soldats canadiens sont les meilleurs de tous. S’il y avait un sale job à faire, les Canadiens s’en chargeaient.