Dans l’ensemble les estafettes étaient un groupe de gens assez rudes. J’adorais rouler à moto. Nous étions à Cervia, au sud de Ravenne [côte adriatique en Italie]. Comme on était là-bas depuis deux ou trois semaines, ils ont décidé, disons les autorités, ont décidé d’organiser une très grande fête. Et ils ont invité tout ceux qui avaient un grade de colonel ou supérieur. La veille du jour où la fête devait avoir lieu, ils se sont souvenus qu’ils avaient oublié d’envoyer une invitation au colonel du régiment Westminster. C’était moi qui devait aller lui porter le message.
Ils étaient censés être retranchés le long du canal, avec les allemands de l’autre côté du canal. Donc les allemands étaient au nord du canal, et nous nous étions au sud. Je ne les ai jamais vus. Je n’arrivais pas à les trouver. Alors je me suis assis un minute au carrefour, en essayant de trouver de quel côté je devais aller, et puis, l’Adriatique n’est qu’à un kilomètre et demi sur la droite, je vais aller dans cette direction en premier et si je ne les trouve pas là en bas, je ferai demi tour et reviendrai.
Bon, quand j’ai été à 400 mètres à peu près du croisement, tout à coup, ils ont commencé à me tirer dessus. Alors j’ai compris que quand il s’agit des intersections, étant donné qu’ils tiennent une position, et qu’on tient une position, il n’y avait pas moyen de traverser le carrefour, parce qu’ils l’avaient encerclé avec des mortiers. Alors j’ai largué la moto, je l’ai juste posée sur le flanc mais bêtement, j’ai sauté dans le fossé sur le côté droit de la route, au nord, pas au sud. Donc j’étais de notre côté du canal mais de leur côté de la route.
Alors quand j’ai compris ce que j’avais fait, j’ai décidé, je vais revenir en rampant le long du canal, qui avait 60 centimètres d’eau dedans, et je savais qu’il y avait des grandes buses. Et dès que j’arrive près d’une buse, je la traverse et je me retrouve de l’autre côté, donc c’est ce que j’ai fait.
Quoiqu’il en soit, je l’avais larguée du mauvais côté. Alors quand je suis arrivé là où il y avait un grand bassin, j’ai commencé à escalader pour sortir et deux gars m’ont hissé hors de l’eau. J’avais été capturé. Je me suis retrouvé dans le stalag VII A [camp de prisonniers de guerre allemand]. Et là vous deviez travailler. Ce gars qu’on avait il représentaient les canadiens. Je ne pesais plus que 43 kilos. Il a dit, vous ne nourrissez pas les prisonniers, et nous comprenons pourquoi, c’est parce que vous n’arrivez même pas à nourrir les vôtres. La Croix Rouge a des tonnes de nourriture en Suisse. Mais ils ne peuvent pas l’acheminer. Ils n’ont pas de moyens de transport. Les routes ferroviaires sont toutes fermées. Il a dit, les alliés vont vous fournir un camion, la Croix Rouge avec les camions, ils ont la nourriture, et moi je vais vous procurer les chauffeurs. Juste là, j’ai un laissez-passer signé par ce gars.
Au départ, je suppose qu’il en avait pris une quinzaine, et je sais pas comment mais, une quinzaine de canadiens ont été emmenés à la frontière suisse, qui était à quelques 150 kilomètres de là. Oh, à propos, il en avait fait un contrat exclusif. Il avait été décidé que c’était réservé aux canadiens. Il avait dit, vous savez, n’importe quel canadien qui approche de ses 16 ans conduit la voiture de son père. Les anglais qui pilotent des avions de chasse ils n’ont même jamais conduit une voiture. Mais les américains et les canadiens, vous pouvez compter là-dessus, n’importe lequel d’entre eux sait conduire un véhicule. Les allemands ne voulaient pas des américains, les canadiens ne voulaient pas des anglais. On voulait ça pour nous. Alors c’était un canadien, un prisonnier canadien qui s’en occupait. Notre représentant dirigeait toute l’affaire.
Alors ils ont emmené, presque tout de suite, ils ont emmené une quinzaine de canadiens dans le sud, à la frontière suisse. Mais, comment les suisses les avaient-ils amenés là-bas, je ne sais pas. Mais ils, quand ils sont arrivés à la frontière, il y avait 15 camions qui attendaient, remplis à ras bord avec de la nourriture. Ils les avaient conduits jusqu’à la frontière. Et les Canadiens ont fait le chemin jusqu’à notre camp. On a déchargé la nourriture. Ils en ont emmené 15 autres. Alors après il y avait 30 camions, et puis de 30 on est passé à 60, et de 60 à 120. Je pense que c’est à peu près combien il y en avait, je ne sais pas.
De toute façon, en mars, je suis devenu l’un de ces chauffeurs. Ils voulaient qu’on en apporte dans les camps de concentration et d’autres choses et il, on nous disait simplement, et on transportait la nourriture par camion, que ce soit pour les camps russes, les camps polonais, n’importe quels camps, on transportera la nourriture. Mais on ne fait ça que pour les prisonniers, les camps de prisonniers de guerre. Alors de toute façon c’est ce qu’on a fait.
Et bien c’était une alternative. Toute l’affaire tournait vraiment très bien. Les allemands à un moment, c’était des gens très étranges. Si vous avez des racines allemandes , vous comprenez ce que je veux dire. C’est bon ou mauvais, gauche ou droite. Alors le truc c’était, ils disaient, on a des gens dans nos camps de concentration, des hollandais et des belges dans des camps de concentration. S’ils n’ont pas été condamnés, on les relâchera si vous pouvez les faire sortir de là. Je faisais parti d’un groupe qui avait apporté un chargement dans un camp et puis après de là, je suis allé à Mauthausen, qui est une horreur. C’était l’endroit le plus effrayant. J’avais été à Dachau, dans d’autres camps mais ça c’était l’enfer.
Et c’était au sommet d’une montagne et nous sommes montés là-haut, avons pris notre chargement de nourriture, quel que soit l’endroit où on l’apportait, et puis sommes montés en haut de la montagne jusqu’à ce camp. J’avais un groupe de femmes. Je ne me souviens pas de ce que les autres ont fait mais je ne sais pas, ils étaient vraiment entiers. J’avais je crois une trentaine de femmes qui sont montées dans mon camion. Et c’était intéressant, on y est, à cet endroit, il y avait une fille, ils avaient un dossier, alors vous avez une montre, vous aviez une paire de boucles d’oreilles, vous aviez un bracelet, voici une montre, voilà une boucle d’oreille, ils avaient des grosses malles remplies de bijoux confisqués. Monter dans le camion.
J’ai fait la connaissance de cette fille et elle avait été infirmière dans un des hôpitaux et elle avait été condamnée pour avoir aider un pilote en détresse. Mais elle ne l’avait jamais reconnu. Et elle était prisonnière depuis environ huit mois dans un camp de concentration. Et elle a dit, mais c’est de la chance, ils ont exterminé 500 personnes dans les chambres à gaz aujourd’hui avant votre arrivée les gars. Un jour, ils prennent une personne sur trois, le jour suivant c’est une sur deux et si je m’étais trouvée à la mauvaise place, c’est comme ça. Je n’étais pas sur une liste, c’était seulement, c’est bon, c’est bien, voici les camions, ils peuvent emmener 300 personnes avec eux.
Bon, ceci n’est consigné nulle part. Les canadiens ont sauvé beaucoup de vies.