Project Mémoire

Robert Peacock

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Don Landry
Don Landry
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Robert Peacock
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Il a arraché l’avant de la jeep et nous a envoyés dans le fossé, par-dessus le remblai, et le chauffeur était tout commotionné. Moi et Sam, on était sourds comme des pots.

Alors j’ai pu, après avoir obtenu mon diplôme [du Collège militaire royal du Canada en 1952], partir en Corée, rejoindre le PPCLI 1 [Princess Patricia’s Canadian Light Infantry] et retrouver la compagnie avec laquelle j’avais suivi l’entraînement l’année précédente à Calgary. Donc je connaissais pas mal de monde dans la compagnie.

Les sous-officiers étaient de première quand il s’agissait de donner de conseils aux officiers cadets, pour peu qu’on ouvre bien grand ses oreilles, qu’on les écoute tout en sachant faire la le tri dans leur baratin, ils avaient beaucoup à vous apprendre. Et quand ils réalisaient que ça vous intéressait, ils passaient beaucoup de temps à vous enseigner. Nombre d’entre eux étaient décorés et vraiment très professionnels, de fait. Ils mettaient la barre très haute, mais, bon sang, ils faisaient tellement d’allées et venues avec la brigade en train d’être formée au même moment en Europe [27e Groupe brigade du Canada en Allemagne], elle avait la priorité, croyez-le ou non, sur la Corée. Ça montre bien le parti pris du [gouvernement] Canadien et du haut commandement militaire à propos de l’Europe. Nous, on se battait en Corée, et ils envoyaient des renforts à l’OTAN [Organisation du Traité Atlantique Nord]. Nous, on partait se battre en Corée sans en avoir.

Les trois bataillons [du PPCLI en Corée] ont fait un travail de tout premier ordre. Les trois bataillons se sont tous les trois confrontés à des types de guerre différents. Pour le 2e bataillon, c’était l’escarmouche, l’escalade des collines, les attaques au son du clairon, et autres. Le 1er bataillon a fini par faire une guerre des tranchées, parce que c’était l’époque des pourparlers pour l’armistice qui eurent lieu à Panmunjom [ville coréenne où les Nations Unies et les communistes ont conduit la majorité des négociations d’armistice afin d’arrêter la guerre en Corée]. Et quand je suis arrivé là-bas, on en était à un point où on faisait le même genre de patrouilles que pendant la Première Guerre mondiale. Et, curieusement, l’artillerie, les mortiers et les mitrailleuses firent plus de victimes au cours des six derniers mois de la guerre que pendant l’exercice du 1er et du 2e bataillon. Parce que l’artillerie, ce n’était plus que des combats d’artillerie, et vous passiez votre temps à garder la tête baissée le plus possible, et à patrouiller.

Les patrouilles étaient de rigueur pour le personnel divisionnaire et les brigades et alors chaque compagnie devait organiser des patrouilles régulières, naturellement, pour la protection et aussi pour prévenir à temps s’il se passait quelque chose dans le secteur, mais après il fallait explorer tout le secteur pour être sûrs qu’ils n’installent pas de mines et n’essayent pas non plus de franchir la ligne frontalière de notre côté. Et puis il y avait des patrouilles de combat pour capturer des prisonniers, mettre en place des embuscades, pour piéger les patrouilles chinoises, on faisait tout ça de nuit. Et on partait toujours aux environs de 6 heures du soir et ça durait jusqu’à, si vous aviez de la chance, vous rentriez aux alentours de 6 ou 7 heures le lendemain matin. Alors c’est – c’était du travail de nuit presque tout le temps. Et, toutes les attaques se produisaient en début de soirée ou en début de matinée.

Et, on était toujours sur le qui-vive et on devait sortir pour surveiller. On arrivait à mesurer quand on allait être la cible des Chinois ou des Nord-coréens parce qu’ils utilisaient leur artillerie pour régler leur tir sur des positions particulières de la compagnie. Et ensuite, ils détachaient un énorme barrage et lançaient leur avance. Mais notre artillerie était aussi bonne et en général ça conduisait à une impasse et les Chinois perdaient. Donc quand vous étiez assez content de, on ne donnait aucun, dans le 3e bataillon ou même dans le 1er bataillon, on n’avait pas d’attaques, à initier, parce qu’avec la trêve de Panmunjom [les négociations] en train d’avoir lieu, les Nations Unies ne voulaient pas passer pour l’agresseur. Alors, c’était les Chinois qui étaient tout le temps en train d’attaquer, essayant de gagner du terrain, et alors ce qu’on faisait, c’était une guerre défensive, avec l’artillerie, les mitrailleuses et les mortiers, le fil barbelé, eh oui, vous aviez des pertes, mais, heureusement, elles n’étaient pas très lourdes et les Chinois ont fini par abandonner, parce qu’ils avaient de très lourdes pertes de leur côté.

[Le Lieutenant Général] Matthew Ridgway, qui est arrivé et il a remplacé – il tenait désormais le poste de commandant de l’armée, commandant de la Huitième armée [des É.U], a dit : « On ne peut pas les battre sur le terrain, mais on peut les battre avec l’artillerie. » Il a dit : « On ne va pas avancer jusqu’au Yalu [fleuve qui marque la frontière entre la Corée du Nord et la Chine], donc, laissons-les venir à nous et on les tuera au fur et à mesure qu’ils se présentent. » Et c’était la tactique en place pendant la dernière année de la guerre.

C’était en août 1953, on a eu la mousson, qui venait de la mer Jaune, c’était un typhon d’ailleurs. Et, en 24 heures, une trentaine de centimètres d’eau a recouvert la campagne. Tous les bunkers de la brigade ont été touchés, je pense, mais je sais que mon peloton, j’ai perdu 80 % des bunkers qui se sont effondrés. Alors, on a déblayé pour sortir les gens de là-dessous, et bien sûr, toutes les vallées étaient inondées. Et les rizières avaient de l’eau jusqu’au cou. Et les petits ruisseaux étaient devenus des rivières mugissantes, et j’ai failli me noyer dans l’une d’elles en essayant d’envoyer un câble de sécurité de l’autre côté à une patrouille qui n’était pas revenue assez rapidement. J’étais chef de patrouille cette nuit-là. On a réussi à envoyer ce truc de l’autre côté et à traverser pour accrocher le câble, mais il y avait tellement de courant que j’ai failli me noyer.

Au début du mois de septembre 1952, avec un autre gars, un certain Sergent Urquhart de la compagnie C, on nous avait donné une patrouille à faire. Et il affirme encore aujourd’hui que j’étais taré, mais jamais il n’écouterait. On avait, on empruntait une importante route de ravitaillement américaine et certains des nôtres dépassaient la vitesse autorisée en redescendant cette colline, parce qu’elle était surveillée par les Chinois et ils aimaient faire un carton sur les camions, ils faisaient ça régulièrement. Et le commandant m’a fait venir et il a dit : « Vous allez faire cette patrouille. » J’ai répondu : « J’aimerais bien que la position du Royal Canadian Regiment me fasse une analyse de la situation parce que je pourrais y voir plus de là-haut. » Et il a dit : « Oui, mais vous devez observer la loi sur la route de ravitaillement américaine, alors pas d’excès de vitesse. » Et nous voilà partis, et au retour on est arrivé au sommet de la colline, et il n’y avait eu que quelques rares coups tirés, et le prévôt américain [officier de la police militaire] a dit : « Pas d’excès de vitesse! » Et j’ai répondu : « J’ai reçu mes ordres du commandant qui a reçu les siens du brigadier. »

Et on a descendu la colline, sans décoller la poussière et bien sûr, on s’est fait tirer dessus. Mon pauvre vieux Sam Urquhart pensait que c’était la chose la plus dingue, et j’étais bien d’accord avec lui, c’était dingue, mais on avait des ordres. Un obus de 122mm, il a atterri sur la route et il a atterri à un mètre vingt environ juste devant notre jeep qui roulait. Il a arraché l’avant de la jeep et nous a envoyés dans le fossé, par-dessus le remblai, et le chauffeur était tout commotionné. Moi et Sam, on était sourds comme des pots. On est rentrés à pied et le truc drôle c’est que, ce n’était pas ma jeep, c’était la jeep d’un commandant de la compagnie. Et il avait passé un bon moment à essayer d’obtenir une jeep toute neuve. Et la voilà, en route pour l’atelier de réparation, et je ne crois pas qu’ils l’aient réparée. Je pense qu’ils l’ont tout simplement envoyée à la casse.

L’autre s’est passée pendant la bataille pour le Crochet [série d’actions au sommet de la colline], avec le 3e Bataillon [18-19 novembre 1952] on s’est retrouvé avec un peloton tout nouveau, il restait encore quelques personnes du 1er bataillon. Mais on a combattu en novembre 1952 et ensuite on est restés sur le Crochet, qui était une sale position. Vous êtes juste sur une saillie et pendant la journée tous vos mouvements étaient visibles côté Chinois. Alors on ne relevait pas très souvent la tête.

La guerre s’est terminée ce matin-là pour moi, là-haut sur le front, on a vu les Chinois sortant de leurs bunkers, et ils recouvraient toutes les collines aussi loin qu’on pouvait voir. Et si vous regardiez tout autour, une compagnie comprenait soixante-dix personnes à l’époque, et rien derrière eux. Ils étaient debout au sommet de la colline, en agitant des drapeaux.