Oui, cet éclat d’obus est le nez d’une bombe de 225 kilos qui a été larguée sur nous le jour après la bataille d’Italie la plus importante pour les canadiens durant la Deuxième Guerre mondiale c’est à dire la percée de la rivière Melfa [Tête de pont de la rivière Melfa], où en une seule journée on a perdu le tiers de nos chars d’assaut et un tiers de nos officiers. Une Croix de Victoria et l’Ordre du service distingué et une Médaille de conduite distinguée et plusieurs médailles ont été données pour cette opération parce qu’on a vraiment fait une percée dans les lignes allemandes, ce à quoi ils ne s’attendaient pas. Alors les allemands étaient tellement confus que la nuit suivante ils ont envoyé des bombardiers, et ceci est le nez d’une bombe qui est tombée de 14000 pieds de haut et a atterri à 10 mètres de notre char et le sol était dur ce printemps-là, très dur, comme du béton et malgré ça, la bombe a fait un cratère de deux mètres de profondeur et un peu plus de six mètres de diamètre, et elle a loupé notre char de 15 à 20 mètres, quelque chose comme ça.
Dès qu’on a eu traversé le Rhin et construit le pont flottant, on a fait traverser nos chars à Emmerich [Allemagne] et on est retournés en Hollande. Sans doute la bataille la plus excitante, certainement en Hollande, ça a été l’opération « Dutch Cleanser » qui allait de Arnhem au bord du Rhin inférieur jusqu’à Zuiderzee, sans doute 60 à 70 kilomètres. Et les ordres qu’on nous avait donnés, à toute la 5ème division, c’était de traverser à tout prix. Il y avait un demi million de troupes allemandes environ en Hollande de l’ouest, et aussi des bases de V1 qui bombardaient Londres. Alors juste après avoir traversé ça en serait terminé de tout ça.
Alors on y est allé tellement vite, on n’a pas pris l’infanterie avec nous et c’est très rare pour des chars d’y aller sans infanterie parce que vous êtes très vulnérables. Un homme pouvait être assis dans un fossé avec un bazooka et détruire un char. On est passé tellement rapidement, on a dépassé nos échelons de nourriture. Et les hollandais, qui ont mangé des bulbes de tulipes cette hiver-là, nous ont nourris en mettant des œufs et du lait dans nos chars quand on passait sur la route. Et ça faisat vraiment de l’effet. Les hollandais étaient tout simplement formidables. Et on est arrivés à Ermelo, qui est une petite commune près de Harderwick, et les violents combats avant ça, beaucoup de chars détruits, et tout à coup, les boches sont parti. Et sur la place, on a amené nos chars et en quelques minutes, environ 2000 personnes étaient là. Et j’ai des photos des filles qui escaladaient nos chars, vous pouviez à peine voir les chars. Et je me suis levé dans la tourelle et ai commencé à faire chanter les gens « Wilhelmus van Nassouwe
ben ik, van Duitsen bloed » qui était l’hymne national hollandais. Et il n’y avait pas une seule personne avec l’œil sec sur cette place, 2000 personnes. Ca faisait cinq ans qu’ils n’avaient pas eu la possibilité de chanter.
Alors ça c’était la chose la plus excitante qui est arrivée là-bas. Et ensuite dès qu’on a pris Harderwijk, trois jours après, on est monté à Groningen, dans la partie nord-est de la Hollande et on surveillait les îles de la Frise, où un grand nombre de canons navals allemands se trouvaient. Alors nos chars patrouillaient le long de cette côte du nord et le jour de la Victoire en Europe est arrivé. J’étais à Londres à ce moment-là, et j’avais un laissez-passer de deux jours, trois jours et je me trouvais à Londres le jour de la Victoire en Europe et j’ai été devant le palais de Buckingham avec 100 000 autres personnes, pour voir le roi et la reine et les deux princesses et Churchill sortir sur le balcon à plusieurs reprises. Alors c’est un, ça a été un grand moment et je suis retourné en Hollande le jour suivant et tout le monde dansait dans les rues. Et les hollandaises étaient très habiles avec leurs sabots en bois, c’était leurs chaussures en bois et elles ont épuisé les canadiens. Et puis plein de gens de notre escadron se sont portés volontaires pour le Japon et j’étais à Camp Borden le jour de la Victoire au Japon et, bien-sûr, les choses se sont arrêté là et on devait descendre en train à Fort Knox dans le Kentucky dans une division américaine et c’est tomber à l’eau à cause de la fin de la guerre. Alors le moyen le plus rapide de quitter l’armée à l’époque c’était de faire des études. Alors je suis allé compléter mon immatriculation à Toronto et j’ai fait des études en art et un diplôme de théologie et ça a tout été payé par le Mackenzie King. Alors si la guerre n’était pas arrivée, je n’aurais probablement jamais fait toutes ces études parce que là où j’habitais, dans le Toronto des années trente, la plupart des gens vivaient d’allocations du gouvernement. J’étais le seul gamin dans notre quartier qui avait un vélo, que j’avais gagné en vendant des journaux, le Liberty magazine. Alors c’était vraiment, comme je dis, les années trente c’était une catastrophe économique. Pas seulement pour les gens à la campagne mais aussi pour les gens de la ville.
L’éducation que nombre d’entre nous a reçue que nous n’aurions jamais eue, s’il n’y avait pas eu la guerre, parce qu’on en avait pas les moyens. Deux, le lien affectif formidable qui s’est crée entre la Hollande et le Canada grâce à la libération et la gentillesse des hollandais qui mangeaient des bulbes de tulipes pendant l’hiver, et qui ensuite nous ont nourris avec du lait et des œufs ce printemps-là quand on a traversé le pays. Et troisièmement, je suis contre les armes. Et on a élevé quatre enfants dans notre famille et je disais à ma femme, j’ai dit : « Il n’y aura pas d’armes dans cette maison. » Et elle a répondu : « Et bien tu rêves ils vont jouer avec des pistolets à l’école avec leurs copains. » et je disais : « C’est bien possible, mais il n’y aura pas de pistolets dans cette maison. » Alors c’est la position que j’ai prise en allant dans les écoles, je pense que les fusils ne peuvent pas accomplir quoi que ce soit. Et bien oui, j’étais tellement bien entraîné, que je pouvais démonter une Bren les yeux bandés, et on devait faire ça, et puis la remonter et toutes les autres armes aussi. Mais donc je connais les armes, j’y étais, mais je ne crois pas que ce soit une réponse, alors je suis vraiment contre les armes.
Et je suppose que ça a eu une influence sur ma décision plus tard d’entrer, d’étudier pour entrer dans les ordres et devenir prêtre. De voir tous ces gens qui étaient bien meilleurs que ce que je pourrais jamais être même en vivant une centaine d’années, tués, alors ça m’a fait me poser des questions, vous savez, sur le sens de ma vie. Et ce n’est pas parce que vous ne pouvez pas donner un sens à votre vie en étant excavateur ou ingénieur ou pompier ou peu importe, mais j’ai senti que ma vocation à moi c’était d’être prêtre, hum.