Project Mémoire

Robert Walter Rodgers

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Robert W. Rodgers
Robert W. Rodgers
Vol 75, Ecole d'entrainement aérien, Toronto, Ontario, 1944. Robert Walter Rodgers est le troisième à gauche dans la rangée centrale.
Robert W. Rodgers
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Robert Walter Rodgers en 1944.
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Médaille de guerre 1939-45 attribuée à Robert Walter Rodgers pour service, en 1946.
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Section 11, Newmarket, Ontario, 1945. Robert Walter Rodgers est le troisième à gauche dans la rangée centrale.
Robert W. Rodgers
Ouais, a-t’il dit, Clinton, ici c’est Clinton. Mais vous devriez être à Clinton en Angleterre, pas Clinton en Ontario.

Je travaillais à ce moment-là dans une aciérie à Owen Sound. Faire des hélices pour les bateaux, verser du métal brûlant, recouvrir les hélice de bateaux, j’en avais assez de la poussière, du bruit et de la chaleur. Et un jour la Canadian Royal Air Force est venue à Owen Sound et ils recrutaient, alors j’y suis allé avec mon père et je me suis engagé. Il se trouve que c’était le jour de l’anniversaire de ma mère. Alors je me suis présenté au Parc des Expositions de Toronto qui s’appelait à l’époque le dépôt Manning.

C’est là qu’on a fait nos classes et ils essayaient de nous apprendre à marcher en cadence, à faire le salut et à utiliser un fusil. Et vous savez, après on nous a fait les vaccins habituels là en haut du bras, on en a eu quatre le premier jour puis on a attendu deux semaines et on nous en fait deux de plus. Alors je sais que c’était en novembre qu’on nous a fait les piqûres parce qu’on était là-haut dans le palais du cheval au dépôt Manning. On est monté là-haut, on était une centaine à attendre en file indienne et les sergents sont arrivés et nous ont dit de nous mettre à poil. Alors on s’est déshabillés, il faisait un froid de canard. Pas de chauffage. Alors certains ont gardé leurs sous-vêtements et ils ont dit, j’ai dit à poil le sergent a dit. Alors ils ont dû se mettre à poil. Et ensuite quatre infirmières sont entrées avec toutes ces aiguilles et on a simplement fait la queue les uns derrière les autres, on mettait la main gauche sur la hanche gauche et la main droite sur la hanche droite et les coudes qui ressortaient et on avançait jusqu’à elles et on se tournait dans un sens et puis dans l’autre et on recevait nos quatre injections.

Ils nous ont envoyé à Arnprior, Ottawa. Et là-haut, on a étudié les moteurs et les maths parce qu’ils disaient qu’on allait être mécaniciens de bord. Et après ils ont décidé de nous envoyer outre-mer, alors un matin ils nous ont dit, vous partez outre-mer ce soir alors cet après-midi vous faites vos bagages. Alors on avait les gros sacs de l’armée de l’air bleus et on a fourré toutes nos affaires dedans. Et après les camions sont venus nous chercher pour nous emmener au train. On s’est douté qu’on allait prendre le train, de toute façon ils ne nous avaient rien dit, ils avaient seulement dit qu’on partait.

Alors ils avaient assez de camions jusqu’au dernier, on était encore huit à attendre avec le camion mais il n’y avait pas de chauffeur. A ce moment-là, il faisait déjà sombre et ils ont dit, bon il va falloir aller au, là où ils gardent les camions et trouver un chauffeur. Alors à peu près une heure plus tard, ils arrivent avec leur chauffeur et maintenant il faisait nuit noire et les autres étaient tous partis et ils lui ont donné une grosse enveloppe avec les consignes des huit hommes dedans ; il la leur a tendue et a dit, il est temps de partir, les autres sont déjà loin. Alors on est monté dans le camion, tout emmitouflés dans la grosse toile et on croyait que ça allait prendre une demi-heure pour aller à la gare. Mais on a roulé, roulé pendant une heure et demie, roulé deux heures. Et on a entendu une porte s’ouvrir devant nous et il est entré là, a fait un demi-tour est sorti du camion et a dit, allez dehors tout le monde. Alors on a tous sauté hors du camion en plein milieu d’un terrain de manoeuvre. Et il a donné l’enveloppe qui contenait nos consignes à Jim Steevie, il est remonté dans le camion et a filé.

On était là debout, il n’y avait personne alentour, les lumières étaient presque toutes éteintes à cette heure. Et un gars s’approche et dit, qu’est-ce que vous faites ici les gars. Et ben on viens juste de nous déposer ici. Bon, il dit, vous ne pouvez pas rester dehors dans la lumière, allez dans ce baraquement là-bas il est vide montez à l’étage c’est ouvert en haut. Restez-y jusqu’au matin. Alors c’est ce qu’on a fait. Il y avait seulement des matelas sur les lits superposés. On s’est levés le lendemain matin et on est allé dans le mess, on a mangé – pendant trois jours on a mangé et dormi là. Finalement, un officier et deux hommes sont entrés, l’officier du jour et il a dit, qu’est-ce que vous faites là les gars. On lui a répondu qu’on nous avait envoyés ici. Regardons vos consignes. On lui a donné les papiers et il les a regardés. Ouais, a-t’il dit, Clinton, ici c’est Clinton. Mais vous devriez être à Clinton en Angleterre, pas Clinton en Ontario. A cette heure le reste de vos affaires est sans doute à deux jours d’ici en pleine mer, sur le bateau.

Alors ils nous ont emmenés au, à Londres à nouveau et ils nous ont mis là et ils ont dit, bon, c’est tout annulé parce qu’on a pas besoin de plus de mécaniciens de bord depuis l’invasion. Alors ils ont dit, qu’est-ce que vous allez bien pouvoir faire. Bon vous allez passer de la position de personnel naviguant à personnel au sol tout simplement. J’ai dit, ça veut dire laver par terre, n’est-ce pas ? Et ils ont dit, c’est à peu près ça. Bon, j’ai dit, alors je veux un transfert. Alors on m’a transféré le jour même dans l’armée de terre. Et ensuite ils nous ont envoyé à Newmarket pour faire nos classes. Et j’avais déjà un peu de formation dans l’armée de l’air alors on m’a propulsé à la tête de la section en quelques sortes. Et quand on a fini là, je suis allé à Farnham au Québec, pour une formation supérieure et on était dans les 500 à venir de Newmarket. La population se montait à un millier de personnes environ je pense. Et il y avait cinq hôtels. Et la seule chose qu’on pouvait acheter c’était de la bière Dawes Black Horse en litre. Et ils n’avaient pas de système de réfrigération.

Alors cette nuit-là, quand les gars sont tous allés dans le centre ville, un bon nombre d’entre eux ont eu quelques ennuis cette nuit-là. Le lendemain matin, on marchait au pas sur une route, on a traversé la ville et je crois qu’il y avait trois vitres cassées dans ces motels, ou ces hôtels, là où se trouvait les buvettes. Toutes les vitres étaient cassées dans trois d’entre eux. Et on a eu une petite discussion à ce propos avec le sergent-major du régiment là-bas le jour suivant.

Pendant qu’on était là-bas, ils avaient choisi quelques uns d’entre nous et on était, il y avait un camp de prisonniers allemands là-bas des officiers, des officiers allemands. Et ils nous avaient envoyés là-bas et on devait, le matin on prenait un prisonnier avec nous et on le faisait monter dans une sorte de jeep ou un petit camion et ils nous emmenaient dans une ferme, là où ces français [québécois] avaient des fermes. Et les prisonniers allemands devaient soit sarcler les plans de pommes de terre ou de tomates ou tout autre chose que le français voulait qu’ils fassent, il le faisait avec une fourche, une binette ou un bêche ou tout autre outil et on devait le surveiller pour la journée. Et ils venaient nous rechercher en fin d’après-midi et nous ramenaient au camp. J’ai fait ça pendant trois semaines je crois, au printemps.

Et puis tout ce qu’on faisait c’était de rester debout sur le, dans les tours, ils nous envoyaient pour faire le tour du camp de prisonniers. Mais ils étaient très bien disciplinés et très stricts avec le, je crois qu’ils avaient des lieutenants-colonels là-dedans et tous leurs officiers les plus gradés étaient là aussi. La seule chose à laquelle on devait faire attention c’était qu’ils ne s’échappent pas, ils voulaient aller aux Etats-Unis. Et à Farnham la frontière n’était qu’à 150 kilomètres.

Et ils ont essayé de, quelquefois il y avait un, deux fois ils se sont échappés pendant qu’on était là-bas. Deux d’entre eux ont essayé de rejoindre la frontière américaine. Ils ont sauté par dessus la clôture, on ne nous a jamais expliqué comment ils avaient fait. On était, je dormais dans le dortoir quand les sirènes se sont mises à sonner et j’ai dû me lever et sortir et au moment où j’ai commencé à les poursuivre, ils étaient déjà à 20 à 25 kilomètres au sud du camp de l’autre côté des rails. Le sergent a repéré l’un d’eux et en traversant il avait de l’eau qui lui montait jusque, entre les genoux et la taille. Et il a dit, tu les vois ? J’ai dit ouais. Et il a dit, bouge-toi, tire-leur dessus. J’ai répondu vous voulez que je les descende ? Et il a dit, c’est pour ça qu’on est là. Et c’est la première fois que je tirais sur un homme avec un fusil. On les a eu tous les deux cette fois. Il était là à me donner des ordres, en fait, il a fallu qu’il me le dise deux fois avant que je puisse le faire. Mais c’est la seule fois où j’ai utilisé le vieux Lee Enfield 303 pour tirer sur un homme.

On était là-bas quand les japonais ont largué la bombe atomique. Et le camp s’est vidé d’un coup après ça.