J’étais à bord du navire britannique depuis seulement un mois quand nous avons été engagés dans la bataille du cap Nord [le 26 décembre 1943], au nord des côtes norvégiennes, dans l’océan Arctique. Nous faisions partie des navires qui ont coulé le cuirassé allemand Scharnhorst. En fait, je me souviens que l’officier torpilleur a donné l’ordre de tirer, et, même si 90 pour cent des membres d’équipage étaient immobilisés à l’intérieur et ne pouvaient pas voir l’action, nous pouvions entendre ce qui se passait. Il y avait un gars sur le pont qui nous décrivait le déroulement de la bataille. On nous avait dit que si nous comptions 18 secondes après l’ordre de faire feu, nous devrions entendre ou sentir l’explosion. Et c’est ce qui s’est passé. J’étais assis sur le pont dans la salle des torpilles; j’ai compté et, comme de fait, nous avons entendu deux secousses indiquant que deux de nos torpilles avaient touché le navire. Le cuirassé a sombré très rapidement après ça. Nous n’avons même pas eu le temps de nous retourner et de tirer notre autre salve de torpilles.
J’étais opérateur de grue, parce que notre navire avait été désigné pour transporter des avions. Les avions étaient catapultés dans les airs, mais quand ils revenaient, il fallait qu’ils atterrissent sur l’eau. Nous nous servions de cette grue pour les récupérer et les remettre sur le pont du navire. Lorsque j’étais à Seydisfjordur [Islande], un bateau non ponté est venu le long du bord, et il y avait de fortes vagues d’environ six pieds dans le fjord où nous étions ancrés. Alors ce bateau était comme un bouchon de liège et il y avait à son bord un marin gravement blessé. Des membres de l’équipage se servaient d’une civière spéciale qui ressemblait à un panier en treillis métallique pour le transporter. Ils devaient le hisser à notre bord parce que nous avions une salle de chirurgie. C’était donc très délicat. La grue avait un gros crochet, pour attacher les avions. Il a fallu que je baisse le crochet au-dessus du bateau et que le fasse bouger verticalement au même rythme que le bateau était agité par les vagues; je ne voulais pas que le gros crochet tombe sur le pauvre gars. Mais j’ai réussi à l’amener à bord dans sa civière à l’aide du crochet. C’était pas mal compliqué, mais nous avons réussi à l’amener à bord pour qu’il soit soigné.
Une autre fois, nous étions en Union soviétique. L’URSS payait les Alliés pour les approvisionnements de guerre qui étaient expédiés à Mourmansk. Ils payaient avec des lingots d’or. Je me souviens que nous chargions les caisses d’or à bord. À l’aide de la grue, je transférais les caisses d’un petit bateau le long de notre navire sur le pont, où je les empilais. Je savais que c’était des caisses de lingots d’or et je savais qu’il y en avait beaucoup. Il y en avait tout un tas. Mais c’est seulement il y a deux ou trois ans, je pense, que j’ai su combien. Je suis retourné sur le navire, à Londres, et j’ai découvert que j’avais chargé 17 tonnes d’or à bord du navire. Je ne sais cependant pas ce qu’il est advenu du chargement parce qu’une fois au port, c’est un autre opérateur de grue qui a déchargé les caisses. Ce n’était pas moi, j’en suis certain. Mais c’est simplement un autre fait intéressant qui s’est produit.
Dans le Pacifique, nous accompagnions un porte-avions quand nous avons été attaqués par des kamikazes. L’un d’eux s’est écrasé sur le pont du porte avions. Il a défoncé le pont d’acier, y laissant un creux d’environ 15 pieds de diamètre et d’un pouce ou deux de profondeur. On a alors simplement poussé l’épave à l’eau. L’équipe de pompiers a éteint le feu. Tous leurs avions étaient partis en mission de bombardement. Avec du mortier à prise rapide, ils ont rempli le trou sur le pont d’envol, ils ont bien égalisé et l’ont laissé prendre. Quand les avions sont revenus de leur mission, ils ont pu y atterrir sans difficulté.
Je me souviens qu’après ça, des amiraux américains sont venus voir ce qui rendait les porte avions britanniques si résistants. En fait, les porte-avions de l’Angleterre avaient des ponts en acier renforcé de sorte que si un avion s’y écrasait, on poussait simplement l’épave à l’eau. Quand les porte avions américains étaient touchés par des kamikazes, ils ne pouvaient plus servir pour le reste de la guerre. Comme ces navires avaient des ponts d’envol en bois, les avions qui s’y écrasaient passaient au travers du pont jusque dans le pont hangar et ils coupaient les conduits qui servaient au ravitaillement en carburant des avions. Cela provoquait un important incendie et les dommages étaient tellement graves que le porte-avions ne pouvait plus être utilisé. Les porte avions américains qui ont été frappés de cette manière ont été mis hors service. Les porte avions britanniques étaient beaucoup plus résistants. Ils pouvaient résister aux attaques. C’était très intéressant, et les Américains ont appris une leçon [rires].