Project Mémoire

Rodolphe Belisle

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

L'Institut Historica-Dominion
L'Institut Historica-Dominion
Rodolphe Belisle à la Maison Paul Triquet à Québec, le 4 juin 2010.
L'Institut Historica-Dominion
C’était la guerre statique. Croyez-moi, ce n’était pas plaisant de faire les patrouilles de nuit. Ce n’était pas intéressant du tout.
À ce moment là, ce qui n’était pas beaucoup, surtout dans les chantiers. Il n’y avait pas beaucoup de nouvelles, c’était loin. C’était éloigné de la civilisation, si on veut. Naturellement, quand il arrivait des nouveaux, on parlait de la guerre, on s’informait ce que ça avait l’air. Et puis à ce moment-là, il y avait deux possibilités; on pouvait aller s’enrôler volontairement ou on était appelé pour faire notre entraînement militaire mais non volontaire [sous la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, adoptée en juin 1940]. Mais moi j’étais volontaire. J’ai été m’enrôler trois fois. La troisième fois on m’a accepté. Les deux premières fois on m’a refusé pour une mauvaise vue, « vision défectueuse de l’œil gauche », qu’on a marqué. La troisième fois, le médecin qui a fait mon examen visuel m’a dit, on avait besoin de plus de monde naturellement, je suppose. De là, on a traversé le détroit de Gibraltar pour entrer en Méditerranée pour aller accoster à Naples [Italie, en automne 1943]. De là, à Naples, on a débarqué des bateaux et c’est là qu’on a commencé à faire la guerre pour de vrai. Puis au printemps, lorsque la terre s’est refermée, l’avance a repris. On faisait, par exemple un mois - des fois plus, des fois un peu moins - en première ligne, ce qui veut dire qu’on était directement sur la ligne de front. Après une période semblable, là on reculait en arrière pour une petite période de repos et de reformation de notre équipement et de notre groupe, parce qu’on perdait du monde, naturellement. On en perdait par blessure, on en perdait par maladie, on en perdait par mort. Alors quand on ressortait en arrière, il fallait regrouper ces gens-là, les intégrer dans le groupe avec lequel ils étaient attachés. Fallait continuer comme ça. Et finalement, l’été s’est passé. On a avancé pas mal de terrain. On est parti d’Ortona [sous contrôle allié depuis décembre 1943], dans les environs. Et puis on s’est retrouvé l’automne suivant, l’automne de 1944 si on veut, dans les plaines de la Lombardie, dans le nord de l’Italie. Et puis là c’était encore le deuxième hiver qui a recommencé, la période de l’hiver, et ainsi de suite. Les plaines de Lombardie, c’était pareil, c’était de la boue et tout ça…Les véhicules se perdaient là-dedans. C’était la guerre statique. Croyez-moi, ce n’était pas plaisant de faire les patrouilles de nuit. Ce n’était pas intéressant du tout. D’abord on partait en un certain groupe, 10 soldats peut-être, des fois plus, des fois moins, dépendamment. Le but était de s’infiltrer à travers les lignes ennemies pour essayer de récolter de l’information; essayer de faire des prisonniers si possible; et faire notre possible pour ne pas se faire attraper nous autres mêmes. Ça se faisait naturellement au noir; on ne voyait pas l’ennemi, on ne savait pas où étaient leurs postes. On allait à la découverte. De temps en temps, les Allemands nous lançaient ce qu’on appelait des flares, une chose lumineuse qui éclairait beaucoup. Alors quand on se faisait prendre avec ça, ça arrivait d’un coup. Là on était comme tout nu devant l’ennemi, ce n’est pas mêlant. C’était vraiment énervant. Quand la guerre s’est terminée, on était en Hollande. On était revenu de l’Italie en Hollande, dans le nord de l’Allemagne. On revenait au Canada naturellement. On avait des conférences régulièrement pour faire le retour à la vie civile. On revenait au Canada, on laissait l’armée et on s’intégrait avec le civil. La presse qu’on nous racontait là-bas, était qu’on arrivait au Canada et puis on pouvait choisir l’emploi qu’on voulait. On avait le choix dans toutes ces choses-là, c’était bien. Mais une fois rentré au Canada, ce n’était plus la même chose. Il y avait tellement un surplus de main-d’œuvre et puis tout ça que chacun postulait pour le même emploi. Fallait prendre ce qu’on pouvait trouver.