M. Roger Beauregard est un vétéran de la Guerre de Corée déployé outre-mer en 1953 avec le 3e Bataillon du Royal 22e Régiment comme caporal commandant une section d'infanterie. Après la guerre, M. Beauregard servit avec les Forces canadiennes pendant plus de 35 ans et se retira avec le grade de lieutenant-colonel.
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Transcription
Dans ce temps-là, le 3e Bataillon (du Royal 22e Régiment) venait d’être formé quelques mois à l’avance, et il y avait 1200 à 1400 soldats dans le bataillon. Au lieu de quatre compagnies d’infanterie, il y en avait cinq, la compagnie E. Chaque compagnie avait de 250 à 300 membres. Il fallait plus de sous-officiers et d’officiers. Mon premier commandant de peloton était Jean Riffou qui était un officier cadet dans ce temps-là. Il faisait la troisième phase (de formation d’officier) à Valcartier. Il s’agit de mon premier commandant de peloton. Il y avait un sergent dans la compagnie et quelques caporaux. Après trois mois de service, ils m’ont promu au grade de lance-caporal. Je n’ai jamais complété mon entraînement de base.
Ça a pris deux trains spéciaux pour transférer le bataillon de Valcartier à Seattle. Je crois que ça a pris cinq jours, le voyage. Très intéressant, parce que c’était la première fois que je voyais les montagnes, par exemple. Mais arrivé à Seattle, on embarque sur le navire américain : un « Troop Transport Ship », qu’on appelle. Une chose qui m’a frappé, c’est que nous, nous étions tous volontaires. Le moral était bon, on chantait, on faisait des folies. 10 ou 15 minutes avant le départ du navire de Seattle pour la Corée, on a entendu les sirènes sur le quai. On s’est rendus au bord du navire. Il y avait deux voitures de l’armée américaine avec deux Jeeps. Chaque Jeep avec quatre policiers nucléaires américains et avec des fusils. Ils ont débarqué une quinzaine de soldats qui, sans doute, ne voulaient pas se rendre en Corée. Ils étaient déclarés absents sans permission, tous attachés l’un à l’autre avec des… Je cherche le mot… Ils étaient tous enchaînés ensemble en réalité. Ils ont embarqué sur le navire pour se rendre en Corée à la pointe du fusil. J’ai compris combien on était chanceux d’être Canadien!
Les conditions (au front) n’étaient pas très bonnes. On était dans un compartiment environ la même grandeur que cette chambre ici. Il y avait quatre « bunks » (couchettes, sur le navire), qu’on appelle, 16 pouces ou 18 pouces entre les niveaux et 18 pouces de large. Quand on était couchés en haut, ils touchaient presque en bas. Les conditions n’étaient pas très bonnes. Et en voyageant au mois d’avril, la mer du Pacifique n’était pas pacifique.
Ils (les soldats) venaient de partout, il y en a qui venait des prisons, d’autres qui venaient de la Beauce, d’autres qui venaient de Gaspé, du Nouveau-Brunswick et du Lac-Saint-Jean. Il y avait trois pages de Tremblay sur notre (liste) nominal, plusieurs de Montréal. On voyait certaines différences… C’est intéressant de constater les différences entre ceux qui venaient d’une ville comme Montréal et ceux qui venaient comme de la Gaspésie ou du Lac-Saint-Jean. Quand on est arrivés en Corée, ceux des villes étaient moins à l’aise qu’on était. On est arrivés à Pusan (maintenant Busan, Corée du Sud) le matin. On est restés sur le navire deux ou trois heures. Ensuite, on avait transféré sur des trains coréens, bâtis en bois, des sièges en bois, pas de fenêtres, les fenêtres avaient toutes été brisées. Ils nous ont donné ce qu’ils appellent un « box lunch ». On a mangé ça. Le soir, on est partis de Busan pour Séoul. On nous a donné de la munition, parce qu'apparemment, il y avait toujours le risque qu’il y ait des Coréens du Nord, qui étaient encore présents dans le sud. Mais, le trajet pour se rendre à Séoul était sans incident.
On est arrivés le matin, on est embarqués dans des camions. On est montés au nord et l'on a pris une position de réserve de la brigade canadienne. On est resté là environ sept ou huit jours. Ensuite, on a remplacé le PPCLI (le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry). C’est notre première position. J’étais dans le peloton 5, la compagnie B (du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment). Les autres compagnies étaient toutes intégrées sur la même position. Le peloton 5 était sur une butte par lui-même et les autres pelotons étaient de l’autre bord d’une rivière, disons. Là, on était assez bien, mais il fallait monter tout notre équipement sur notre dos, évidemment. Les côtes étaient d’une bonne pente. En arrivant, avec le second lieutenant (Jean) Riffou, j’ai travaillé avec ma section pour monter l’équipement de peloton. On a fait sept voyages du bas de la côte jusqu’en haut de la côte. Le matin, on était rendu à bout, c’était fatigant. On était en bonne condition, mais on est devenus en meilleure condition, en montant sur les côtes partout.
Normalement, on dormait le jour parce que le risque d’être attaqué durant le jour était minime. Alors on dormait, disons, vers 8 ou 9 heures le matin, après avoir déjeuné, nettoyé nos carabines et se raser. La discipline était assez sévère. Comme caporal de section, c’était une de mes responsabilités. Alors on prenait nos positions de défense, à l’exception de… On avait toujours un « outpost » (avant-poste) qu’on appelle, un caporal et un soldat. C’est pour donner une notification, les méchants, les infiltrés, et de temps à autre on était affecté pour aller sur une patrouille de reconnaissance, « standing patrol ». Alors, on était debout toute la nuit. Après la première lueur, on prenait notre déjeuner, on se rasait, on nettoyait nos fusils. Après que les fusils avaient été examinés, on pouvait se reposer.
Normalement, ce qu’on appelle les « standing patrols » qui étaient tous les soirs, c’était déterminé, chaque compagnie avait un certain nombre de patrouilles à fournir. C’est le commandant de peloton qui décidait quel sous-officier y allait. Normalement, les caporaux choisissaient ceux que je voulais qui m’accompagnent. Alors, en général on avait appris comment les patrouilles s’organisaient, comment les gens étaient préparés pour les patrouilles même. En général, les patrouilles sont devenues trop routinières. Les « briefings » (instructions) pour les patrouilles n’étaient pas tellement bons à part quelques exceptions.
Premièrement, j’avais seulement 14 mois de service quand je suis arrivé en Corée. J’ai réalisé très vite que je n’étais vraiment pas préparé. J’avais eu tout l’entraînement. Mais, par exemple, je n’avais pas d’expérience à l’usage d’une carte. Les caporaux n’avaient pas de carte, c’était le commandant de peloton qui l’avait. Alors, je n’avais pas d’expérience. Il est arrivé quelques fois que je me sois plus ou moins perdu, disons, dans le « no man’s land ». Lorsqu’on se fait surprendre, qu’on n’est pas certain d’où ce qu’on est, qu’il commence à faire clair, que les Chinois nous ont vus, qu’ils commencent à nous lancer des mortiers dans notre direction, que soudainement on se trouve dans un champ de mines par accident, alors on est encore chanceux d’être en vie.