Project Mémoire

Roland Lemieux

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Roland Lemieux
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Roland Lemieux, 1942.
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Roland Lemieux, avec un singe (<< un petit ami >>) de bord, 1942.
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Roland Lemieux avec d'autres matelots en 1942.
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Roland Lemieux en le << <em>crow's nest </em>>>, 1944.
Roland Lemieux
On était dans la jungle. Comme ce n’était pas tellement profond, les gros bateaux au long cours prenaient une demi-charge. S’ils avaient chargé au complet ils auraient touché le fond.
Moi même en 1941 avant de partir sur le bateau je travaillais à l’Arsenal sur la côte du Palais [ville de Québec] à $0,12 de l’heure. Je dépensais $0,05 cents pour traverser et $0,05 cents pour revenir. Donc la première heure il me restait $0,02. Il [M. Brochu, un ami de son père] était à Halifax et il a appelé mon père pour savoir si son fils serait disponible pour travailler sur son bateau. J’ai dit oui tout de suite. Lorsqu’on est passé au large des Bermudes on a eu l’ordre d’éteindre toutes les lumières – aucune lumière apparente - et de peinturer le bateau en gris dans le prochain port, car ils avaient commencé à torpiller des bateaux. On est arrivé à Trinidad. Il faut dire que ces petits bateaux de lac ont été réquisitionnés par le gouvernement. Il y avait eu tellement de bateaux coulés, ils manquaient de bateaux. C’était les seuls bateaux qui pouvaient passer dans le Canal-de-Lachine; les gros ne passaient pas. Ils ont réquisitionné ces bateaux pour charroyer la bauxite en Guyane; Guyane hollandaise et Guyane anglaise. On prenait un chargement, on montait 125 miles dans la rivière pour aller dans la région hollandaise et à peu près 60-70 miles pour la région anglaise. C’était des rivières comme l’Amazone. Tu pouvais aller sur le côté, ça coupait carré. On était dans la jungle. Comme ce n’était pas tellement profond, les gros bateaux au long cours prenaient une demi-charge. S’ils avaient chargé au complet ils auraient touché le fond. On prenait notre charge et on s’en allait à Trinidad et on déchargeait ça. Les gros bateaux au long cours remplissaient leurs cales full [au maximum] pour l’Amérique. C’est ce qu’ils appelaient le « shuttling » [navettage]. On devait faire attention à l’eau potable, le réservoir était situé sur le bridge [le pont] en haut. C’était épouvantable. Le pont était situé au-dessus de nos chambres et le soleil plombait dessus toute la journée. Tu pouvais prendre un œuf et le mettre sur le pont et il blanchissait dans le temps de dire. S’il avait fait beau toute la journée tu entrais dans ta chambre le soir et c’était un four. Il n’y avait pas de screen [moustiquaires] dans les hublots. On montait dans la jungle, il y avait des gros maringouins. Les nôtres ont l’air des nains à comparer à ceux-là. Quand tu ouvrais la lumière pour aller te coucher le soir, mon lit était rempli de petits points rouges, des bedbugs, des punaises. C’était impossible de se coucher là. J’ai pris mon petit lit de camp je me suis installé en arrière sur le « boat deck » [pont de navire]. J’ai mis deux poteaux à chaque coin et avec une toile, j’ai fait une cabane. J’ai couché là dedans. Là j’étais bien. On est parti d’Halifax avec un chargement pour l’Angleterre. On faisait un détour pour profiter de la protection de l’aviation. Les avions n’étaient pas équipés pour aller trop loin en mer. Il y avait une base américaine en Islande. Il y avait un trou noir où les avions ne pouvaient pas aller et c’est justement là que les sous-marins nous attendaient. Ils formaient des barrages de 200-300 miles. Les sous-marins étaient tous en ligne. Ils gardaient de 10 à 20 miles entre eux. Ils formaient une barrière. On a été pris dans une tempête au mois de janvier, c’était épouvantable. Une tempête de trois jours. Pas de cuisiniers dans la cuisine. On prenait un pot de beurre d’arachide et un pain. On allait s’asseoir dans le « mess room » et on se croisait les pieds à l’entour du poteau de la patte de table qui était vissée dans le plancher pour ne pas se ramasser dans les murs. Dans nos lits on s’attachait avec de la corde pour ne pas tomber pendant qu’on dormait. Ça a duré trois jours. La petite routine a continué. La guerre était finie, ça ne s’est pas passé autrement que ça.