Project Mémoire

Roméo Ouellet

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Institut Historica-Dominion
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M. Roméo Ouellet, Chaudière regiment.
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Quand on pense au bruit, c’était continuel jour et nuit. Les avions venaient la nuit, les Allemands venaient la nuit. Ils nous lançaient des parachutes éclairés pour essayer de nous localiser et ensuite de nous mitrailler ou nous bombarder.

J’étais sur le LCT 1512, mon bateau pour le Débarquement. On était quatre carriers [chenillettes] à transporter des mortiers sur le bateau plus une centaine d’hommes, puis un petit bulldozer. On a débarqué dans environ sept, huit pieds d’eau. J’ai gardé ça, c’est un beau souvenir pour moi; le 6 juin 1944, Madame Françoise Baudot, dentellière, elle s’était sortie la tête par la fenêtre de sa maison. La maison est très près du trottoir, il y a une petite fenêtre. On était en train de se parler entre soldats. Elle s’est sortie la tête par la petite fenêtre. Elle nous a demandé si on était venu pour rester ou repartir. Je me souviens de ses paroles comme si c’était aujourd’hui. On lui a répondu qu’on était là pour rester.

Notre objectif était de prendre la ville de Caen qui était à 35-40 kilomètres. La première journée on a fait sept kilomètres. Dans la première nuit, nous avons reculé de deux; ils ont fait des prisonniers et pris un canon anti-tank [antichar] qui était avec nous. Moi je me suis couché le long du chemin. Il y avait une petite haie de branchages sur le bord du chemin. Ça tirait et ensuite j’ai entendu parler les Allemands. Ils sont passés à côté de moi. Je n’avais pas le souffle grand. Je ne respirais pas fort, je ne voulais pas qu’ils m’entendent. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient alors ce n’était pas des Français. Ils sont passés. Le matin venu, nous avons appris qu’ils avaient pris le canon anti-tank et cinq prisonniers. Ce n’était pas loin de moi.

Nous les mortiers, nous étions toujours devant l’infanterie pour protéger l’infanterie qui avançait. Notre objectif était de continuer. On avançait un petit peu. À gauche, à droite, recule, change de position trois, quatre fois par jour, quatre, cinq fois par nuit. On creusait un trou et il fallait repartir.

Sur le bord du Rhin, on était rendu en novembre [1944]. Nous avions installé nos six mortiers. On n’était pas loin du Rhin et les Allemands étaient de l’autre côté. La nuit on protégeait tout notre secteur. On tirait des mortiers; il y avait toujours des mortiers qui travaillaient. Des fois on tirait 300 obus par nuit chacun. La nuit de Noël, ils nous avaient dit de ménager les tirs. C’est là qu’on a entendu les Allemands chanter.

La guerre a fini le [8] mai 1945. Je faisais la garde d’un canal. Les Allemands étaient partis le matin et ils avaient tout fait sauter les ponts et ponceaux qui jonchaient le canal. Ils avaient mis des charges d’explosifs sous les ponts. Ils les ont quasiment tout fait sauter. J’avais la garde d’un de ces ponts là. Nous devions empêcher les Allemands, qui savaient que la guerre était terminée, de s’en retourner. Nous devions les empêcher de passer, car ils ne pouvaient pas passer dans nos lignes tout de suite. J’étais seul et les autres étaient plus loin. Il y avait une maison à peu près à 200 pieds. J’ai aperçu une femme qui était sortie sur son balcon et elle me criait en faisant des signes avec les bras V ! V! Je me demandais ce qu’elle voulait. Je me suis éloigné du pont en me dirigeant vers elle. Le pont a sauté. C’est une Allemande qui m’a sauvé la vie.

Ils m’ont dit il y a quelques années, « Pourquoi vous n’avez jamais parlé de ça ? » Vous ne m’avez jamais posé de questions sur la guerre. Pourquoi ne vous êtes-vous pas informé ? J’aurais aimé vous en parler à la famille. Je n’en ai pas parlé. J’ai gardé ça en moi. C’est comme ça.

Quand on pense au bruit, c’était continuel jour et nuit. Les avions venaient la nuit, les Allemands venaient la nuit. Ils nous lançaient des parachutes éclairés pour essayer de nous localiser et ensuite de nous mitrailler ou nous bombarder. On était toujours sur le qui-vive. Tous les matins, quand le soleil se levait, je me demandais si j’allais survivre à la journée. Il y en avait qui étaient avec nous la veille qui n’étaient plus là. Ils étaient partis. Moïse était parti, Yvon était parti. J’ai été chanceux.

Un gars qui était assis avec moi dans le carrier, Yvon Bernard un petit gars de Montréal. Il me parlait de sa blonde à Montréal, il était amoureux. Il était avec nous autres sur le front. On était dans le carrier et on ne pouvait pas passer. Il y avait des chevaux morts dans le chemin. Le bruit infernal des bombardements. Il m’a dit, « Moi je ne reste pas ici dans le carrier. Je vais aller me cacher derrière cette maison. » Je l’ai regardé et je lui ai dit, « Vas-y si tu veux, mais moi je reste ici. » Il est débarqué et a couru vers la maison, s’est installé derrière la maison et bang ! Une bombe sur la maison. Il n’était plus là.

Je vais dans les cimetières parfois et je vois des noms des gars que j’ai connus. Il est là et moi je suis ici. Pourquoi lui ? Je regrette de ne pas avoir parlé de ça. Les jeunes ne savent pas. Ils ne l’ont pas appris dans les écoles. Ils ne savent pas grand-chose les enfants. Ils peuvent reconnaître un vétéran, mais pas grand-chose à part de ça. Je suis allé dans les écoles; ils auraient dû continuer ça.