Pendant la guerre de Corée, Romuald Bourgon a servi au sein du 2e Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (2 PPCLI).
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Transcription
Ma mère ne voulait vraiment pas que j’aille en Corée faire la guerre. Elle détestait ça. Elle aurait préféré s’en passer. Elle pleurait tout le temps et m’écrivait pour me dire de faire attention et de faire mes prières, et je l’ai écoutée quelques fois.
J’étais responsable du mess des officiers et je pouvais acheter du whisky Canadian Club pour le mess pour 60 $ ou même du gin ou un autre alcool. Les officiers étaient de grands consommateurs. Il n’y en avait pas pour nous. Quand je faisais les courses, j’en achetais donc pour moi.
Une fois, sur le chemin du retour, j’ai brûlé le moteur de la jeep ou il a cessé de fonctionner, et me suis retrouvé près d’un groupe de mécanique des États-Unis. J’ai demandé aux hommes s’ils pouvaient m’aider à réparer la jeep. Le sergent est venu voir et m’a dit qu’il n’y avait plus rien à faire avec la jeep. Il a rajouté que je devrais la laisser sur place et retourner à Chipyong-ni sur le pouce (c’est où nous étions, je crois). Ce n’était vraiment pas envisageable, on m’aurait botté les fesses à coup sûr. On m’a demandé ce que j’avais à l’arrière du véhicule. J’ai dû répéter que c’était du whisky, et le sergent m’a demandé si je pouvais leur en vendre une bouteille. J’ai donc proposé de troquer une bouteille contre la réparation de la jeep. Le sergent est allé chercher une autre jeep. On a fait venir un autre caporal qui a peint les numéros que j’avais sur la jeep d’origine. J’ai donc eu une jeep toute neuve pour retourner au camp contre une bouteille de Canadian Club. De retour au camp, [le lieutenant Brian] Munro m’a demandé si j’avais lavé la jeep. J’ai répondu que j’en avais reçu une neuve et je lui ai raconté l’histoire. Il n’en a pas fait de cas. C’était mon histoire d’alcool!
Chaque fois que j’allais faire les courses, j’achetais des bouteilles en surplus. On ne me laissait pas mettre l’argent dans mon carnet de solde parce que nous ne recevions que 104 $ par mois. Je devais faire quatre ou cinq cents dollars et ce n’était pas permis d’en faire autant. Et pas question de l’envoyer par la poste non plus, nous n’avions pas le droit. Je me rendais donc à l’économat des États-Unis et je renvoyais l’argent à la maison. J’ai envoyé 6 800 $ en tout.
Je me souviens très bien d’une patrouille. J’ai trouvé un jeune garçon d’environ 9 ans qui avait marché sur une mine ou avait été blessé, je ne l’ai jamais su vu qu’il ne parlait pas anglais. Il y avait une cicatrice autour de l’os de sa jambe qui dépassait d’environ cinq centimètres. C’était presque une lame. L’os était sec, cicatrisé et à l’extérieur de sa jambe.
J’ai dit à mon officier Brian Munro qu’il fallait lui trouver un médecin pour l’aider, sinon il allait souffrir toute sa vie. Il a répondu qu’il n’allait pas le transporter, que je ne pouvais pas plus le faire vu que j’avais la radio et qu’il n’allait pas demander aux autres hommes de le faire. Puis je me suis souvenu d’une cabane où nous étions allés dans un petit groupe de maisons. Il y avait là un Coréen, peut-être un déserteur. Mais c’était le Coréen le plus costaud que j’avais jamais vu. Il mesurait environ 1,80 m et pesait environ 113 kg. C’était un monstre. Je lui avais posé des questions parce que nous avions un jeune Coréen que nous appelions Jeff. Il faisait l’interprète et transportait aussi des munitions supplémentaires pour ma carabine et pour le pistolet de Brian.
Nous lui avons donc demandé de le transporter, ce à quoi il a répondu qu’il était blessé et qu’il avait mal au dos, entre autres. Je l’ai persuadé avec ma carabine de calibre 45. Je lui ai dit qu’il devait essayer ou il ne serait plus en mesure de bouger. Je l’ai menacé même si je ne comptais rien faire en fait. Il a accepté. Il a porté l’enfant sur une distance de près de 20 km. Nous avons confié l’enfant au médecin militaire, qui l’a envoyé à Séoul où on s’est occupé de sa jambe. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé par la suite. Je ne connais pas son nom. Mais c’est l’un des événements qui ressort le plus pour moi des patrouilles que nous avons effectuées. Un enfant est sorti de l’enfer grâce à moi.