Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Mon nom est Ronald E. Wardell. Mon numéro régimentaire est SD9965. Je suis né à Montréal [Québec] le 31 mai 1934. Je n’étais pas dans les combats intenses en raison de mon âge, j’étais jeune, et je suis arrivé près de la fin de la Guerre [de Corée]. Je n’ai pas vu beaucoup d’action, mais je me suis trouvé dans beaucoup de situations où c’était l’ennui, en partie la peur, et nous devions… Une chose que je n’ai jamais comprise était qu’ils nous disaient que quand nous portions nos bottes, nous devions changer nos bas pour du cuir, vous savez, pour les chevilles. La raison qu’ils nous ont dite – je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est ce qu’on m’a dit – était qu’un serpent ne pouvait pas mordre à travers le cuir jusqu’à notre jambe; il y avait des serpents venimeux, là-bas. Il y avait des serpents alors que je me tenais sur le bord d’une tranchée pour regarder autour; je dormais dans un bunker, et il y avait des serpents tout autour. Je ne sais pas pourquoi ils nous donnaient ces trucs à porter en s’inquiétant que les serpents nous mordent à la cheville, alors que nous dormions en fait au même endroit que les serpents.
De toute façon, il y avait, l’odeur était […] parce que nous étions la tranchée, personne ne m’a jamais demandé quand j’étais dans le, vous savez, le 11 novembre [pour le jour du Souvenir], quand nous allions faire des présentations, où on… où on allait aux toilettes. J’ai dit: «En bien, on trouve une petite tranchée, on fait une petite tranchée, et on utilise ça comme toilette, et on couvre le tout avec une pelle, mais l’odeur reste toujours présente. Bien sûr, l’odeur est présente dans les pâtés de riz et le reste; les journées étaient monotones, stressantes et parfois terrifiantes.»
J’étais en patrouille, nous allions à la [Colline] 355 et, en redescendant une vallée en s’y dirigeant, il y avait un canon Beaufort. C’est un immense canon [de l’artillerie britannique]. Quand ce canon tire, c’est comme s’il y avait un tremblement de terre et vous pouvez perdre votre ouïe si vous êtes trop près et devenir sourd. De toute manière, je me suis arrêté là; nous prenions du repos parce qu’une autre patrouille revenait de la 355 qui allait nous rejoindre, et nous devions la remplacer. J’ai entendu ce gars m’appeler«Ronnie», parce que quand j’étais jeune ils m’appelaient toujours Ronnie, Major Ronnie. J’ai répondu: «Eh bien, on dirait bien moi. », mais je n’ai pas porté attention. Le gars a dit: «Ronnie Wardell.» Je me suis dit: «Bon sang.»
Ce gars, il venait du même endroit que moi, de Brossard [Québec], et son frère, qui était parachutiste lors de la Seconde Guerre mondiale, était celui qui m’avait convaincu de devenir parachutiste. Nous avons donc parlé et j’ai dit: «Eh bien, rentres-tu à la maison, maintenant ?» Il m’a répondu: «Eh bien, je ne sais si nous allons revenir à la division arrière.» La division arrière était plus loin de la ligne de front [l’échelon de division arrière de la ligne de front]. Quand j’ai eu un problème avec mon traumatisme après un bombardement, j’allais à l’échelon A, et je suis allé à l’échelon B, puis je suis allé à la division arrière. Voilà ce qui arrive quand on est blessé ou que quelque chose nous arrive, on va au A, au B, puis à la division arrière.
De toute manière, c’est à ce moment que nous sommes montés sur la Colline355. Ce n’était plus la 355, plutôt la 352, parce qu’ils avaient fait exploser trois pieds de la montagne avec toutes les bombes qui avaient été tirées sur la colline. Voilà pourquoi, dans l’armée, nous disions, lorsque nous en parlions, «Étais-tu à la 355 ?» On répondait que oui, mais que c’était plutôt 352.
Après cela, nous sommes allés à la vallée de Gloucester [un secteur de la ligne de front près de la rivière Imjin]. C’est là où j’ai rencontré des problèmes. La guerre venait de se terminer et nous mettions en place la ZDM [la Zone démilitarisée séparant les belligérants, au 38e parallèle]. Nous avions un ruban et chaque bataillon où chaque compagnie, peu importe, lorsque ça venait devant votre ligne, on devait avancer et placer le ruban au travers de la zone, et le prochain continuait, et ainsi de suite. Nous avions donc les King’s Own Rifle à notre gauche, puis les Marines [le Corps des marines des États-Unis] et, à droite, je pense qu’il y avait le Régiment royal australien. Nous sommes donc tous allés placer le ruban. Eh bien, quand nous y sommes allés, soudainement, j’ai vu qu’il y avait des gars en arrière de nous, et ils criaient tous, ils nous faisaient des signaux; nous nous demandions ce qu’il se passait. Nous n’arrivions pas à comprendre ce qu’ils faisaient. Nous sommes donc montés pour découvrir ce qu’il se passait, et ils ont dit que nous étions au milieu d’un champ de mines. Par la grâce de Dieu, il ne nous est rien arrivé. En plus de ça, c’était un peu excitant.
Lorsqu’on allait en patrouille, nous savions où étaient nos champs de mines, mais il arrivait souvent que l’on change de position et, vous savez, que quelqu’un vienne nous remplacer ou vice-versa. Les officiers supérieurs savaient où ils étaient et ils transmettaient l’information aux autres et leur montraient où étaient les champs de mines. Nous le savions donc toujours d’avance. Mais lorsque nous avons fait ça, personne ne nous a rien dit; personne n’y a pensé, je suppose. Je ne sais pas.
Eh bien, ce qui est arrivé est que nous sommes passés sur la Vallée de Gloucester, et nous étions sur la ligne de front. Nous tenions nos positions dans les tranchées, et un mot nous est parvenu que les Mongols [des soldats chinois] allaient attaquer. Ils nous ont donné des baïonnettes, mais aucune munition.
Nous y sommes allés et, avant le coucher du soleil – nous savions, durant la journée, ce qui allait se passer. Nous sommes allés sur la colline et nous étions dans la tranchée. Nous avions toujours un CATCOM avec nous. Chaque soldat occidental, pour autant que je sache, avait avec lui un soldat de la RDC, et nous les appelions des CATCOM. La RDC signifie évidemment la République de Corée., et il y avait toujours un soldat de la RDC avec nous, peu importe où nous étions, peu importe quand. En patrouille, sur les postes avancés, il y avait toujours un soldat de l’ONU et un CATCOM. C’était toujours comme ça.
Comment dites-vous ? Ils ne semblaient pas s’en soucier beaucoup. Je me suis plusieurs fois réveillé, la nuit, et je trouvais le gars dormant à côté de moi au lieu de monter la garde comme il le devait. Lorsque nous étions sur la ligne de front, je dormais une heure, il dormait une heure, je dormais une heure et nous nous échangions les rôles, vous savez. Mais chaque fois que je me réveillais, il dormait. J’étais donc complètement effrayé, pour être honnête avec vous. Le matin suivant, après que – normalement, quand les Chinois attaquent, ils attaquent tôt à l’aube et ils viennent en hordes avec des clairons en laiton. De toute manière, nous les attendions et rien n’arrivait. Il n’arrivait simplement rien, et ils ont dit: «sortez vos baïonnettes et oubliez ça.» Eh bien, je ne me sentais pas très bien.
Lorsque nous sommes retournés en Corée, en 2003, j’étais assis à une table au banquet, et nous avions un invité avec nous, chacun des vétérans, et la chose qu’il a dite – c’est la plus stricte vérité –, ce gars nous a demandé quelque chose, à la table. J’étais un RRC [un vétéran du Régiment royal canadien], et il était un Vandoos [un vétéran du Royal 22e Régiment]. Oh oui, Major – quel était son nom ? – lui et moi sommes devenus de grands amis, parce qu’il était de Montréal et que j’étais de Montréal, et nous partagions la même chambre. Mais j’oublie son nom de famille.
De toute manière, il était avec les Vandoos, et j’étais du RRC, et il y avait un Princess Pats [un vétéran de l’Infanterie légère canadienne de la Princesse Patricia] et un autre, je ne sais avec quel régiment il était, et il nous a demandé «Le feriez-vous encore ?» La première chose que j’ai répondue, sans hésiter, était oui. J’ai cru toute ma vie que j’ai fait quelque chose de bien en allant en Corée et en aidant un autre pays. Voyez, maintenant, ce pays a un grand succès. Et je le dis aux enfants lorsque je vais dans les écoles, je dis: «Lorsque j’étais jeune, j’étais naïf et, avec toutes les choses que l’on pense, quand on est enfant, à propos de ce qu’il se passe, mais pour être capable de faire quelque chose pour son pays, même s’il est petit, peu importe ce que vous voulez faire, essayez toujours de le faire, parce que vous pouvez réussir.»
Je leur dis que 30000 d’entre nous sont allés en Corée. J’ajoute: «J’étais une seule personne, j’étais un simple soldat, j’étais le plus bas qu’on pouvait être. Tout ce que j’avais était une simple .303 [la carabine britannique Lee-Enfield n°4 Mk I], mais j’ai fait partie de tout ce qui est arrivé.» Lorsque j’y suis retourné, en 2003, j’étais fier de voir ce pays que j’avais aidé à faire ce qu’il est aujourd’hui. Ça en valait vraiment, tout à fait le coup sur le long terme. Tout ce par quoi je suis passé, vous savez, il faut le regarder en face, mais Dieu a gardé un œil sur moi, et il a fait des miracles pour moi, parce qu’il m’a sauvé la vie, il m’a gardé en santé. Je le ferais encore.