Project Mémoire

Roy Edgell

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Roy Edgell
Roy Edgell
Sergent Roy Edgell à Essex, Angleterre alors qu'il était au mariage de sa sœur en 1945.
Roy Edgell
Elle tenait à la main un long fume-cigarette avec dedans une cigarette qui n’était pas allumée et dans son dos il y avait une note épinglée sur laquelle on pouvait lire : pas avant le petit-déjeuner s’il vous plait. Et voilà, c’est comme ça que j’ai rencontré ma femme.
C’était une alerte à l’invasion. On est partis dans les tranchées étroites sur la côte situées juste en dessous des falaises où se trouvaient nos casernes. Heureusement, il n’y a jamais eu d’invasion sinon je ne serais pas ici aujourd’hui. Mais un dimanche matin, on a vu 27 très grands avions qui nous arrivaient dessus depuis l’endroit où se trouvait l’Allemagne. À ce moment-là, le seul canon qu’on avait était étalé sur le sol, il avait été démonté pour être nettoyé, alors on a frénétiquement essayé de le remonter, mais on n’y est jamais arrivés ; et tout ce qu’on a pu faire c’était de les regarder venir et larguer leurs bombes. Heureusement, ils ne visaient pas très juste et on a vu toutes les bombes tomber, et détruire nos quartiers là-haut, au sommet des falaises. Et puis à partir de là, parce qu’on n’avait plus de caserne, je suppose, j’ai été affecté au Wiltshire Regiment (Duke of Edinburgh’s) et on appelait les Wiltshire les « Moonrakers » et de là, j’ai postulé pour un travail d’électricien du contrôle de tir et je me suis retrouvé à suivre une formation élémentaire de radio à Greenock, là-haut sur la Clyde en Écosse. J’ai fait trois mois là-bas et puis j’ai suivi la formation radar à North Barrack sur le Firth of Forth, c’est à dire sur la côte est écossaise. À la fin de cette formation, on m’a gardé comme instructeur et je suis resté là-bas pendant deux ans. Ensuite, je me suis inscrit pour le service outre-mer et on m’a envoyé à Nottingham pour partir outre-mer, mais le contingent a été annulé parce que tous les précédents contingents se faisaient nettoyer. Je me suis retrouvé à Douvres, à m’occuper du radar dans les sept emplacements de canons antiaériens autour de Douvres. De là, un matin, une batterie antiaérienne américaine est arrivée et s’est installée à côté de nous ; et on m’a dit d’aller étudier leur radar, ce que j’ai fait. Et puis on s’est procuré leur radar à l’aide d’un prêt-bail (programme prêt-bail américain fournissant du matériel de guerre aux nations alliées) et je me suis retrouvé à installer ces radars sur tout le sud-est de l’Angleterre. Et je suis resté là jusqu’à ce que les V1, les bombes volantes, que tous les raids aériens de bombes volantes soient terminés et après, j’ai été affecté dans un petit atelier là-haut dans le Sufflolk où j’ai rencontré ma future femme. Après on nous a finalement démobilisés. Quand je suivais ma formation élémentaire de radio à Greenock, j’étais de piquet d’incendie à l’école, la James Watt Memorial School, qui est dans la ville de Greenock en quelque sorte. Et un après-midi, un des maîtres là-bas a dit, on va se faire bombarder ce soir, c’est nous qui sommes visés. Bon, en effet nous l’étions. Ils ont, ils ont fait un super boulot en ce qui concernait la destruction de la ville tout autour de nous. Alors c’est un souvenir qui est resté très présent dans ma mémoire. Je travaillais au radar de contrôle de tir, radar qui contrôlait les tirs des canons antiaériens de 9,25 cm. Bon, au début de la guerre, en réalité, c’était quasi inutile. Ça avait peut-être un effet dissuasif sur les pilotes là-haut, mais en terme d’abattre des avions, ça ne marchait tout simplement pas. Mais vers la fin de la guerre, c’était meurtrier. Et ceci largement du fait de l’invention des fusibles de proximité. Le fusible de proximité était une sorte de radar miniature installé dans chaque obus et il envoyait une impulsion, et dès qu’il recevait un écho en retour de cette impulsion, il explosait. Et ça faisait toute la différence. Avant ça, dans chaque obus qui était tiré, pour déterminer la portée, il fallait qu’il y ait une fusée installée à l’intérieur. Alors vous deviez cliquer l’obus dans un régloir de fusée, placer la fusée qui servait d’amorce et ensuite vous la mettiez dans le canon, et vous tiriez. Et le résultat en bref c’est que vous n’arriviez pratiquement jamais à atteindre quoi que ce soit. Mais le fusible de proximité a vraiment fait toute la différence. En deux après-midis, j’ai vu quinze bombes volantes arriver par la côte, non, approchant de la côte et pas une n’a réussi à atteindre la côte parce qu’elles ont toutes été descendues avant d’atteindre la côte. Ce qui était complètement différent de, vous savez, un mois auparavant. C’était le soir de Noël, en 1944, juste après 23h30. À ce moment-là, les raids sur la Grande-Bretagne avaient cessé et j’avais été envoyé dans un petit atelier dans le Suffolk. En ce jour de Noël, soir, notre atelier avait une soirée dansante. Or, cette soirée dansante a été considérée comme un ratage parce que non loin de là se trouvait une très importante base de bombardiers américaine et pour venir dans une soirée organisée par un petit atelier anglais de rien du tout plutôt que de se rendre à la soirée d’une grande base américaine, il aurait fallu des filles soit très patriotes ou alors pas trop dégourdies. En conséquence de quoi, nous n’avions que très peu de femmes à notre soirée. Mais je n’assistais pas à la soirée parce que j’étais le sergent de service ce jour-là ; et je devais rester au poste de garde. Bon, juste après 23h30, l’officier de service est entré et a dit, le bal est en train de dégénérer, tu ferais mieux d’aller faire un tour là-bas et de faire sortir les femmes. Bon, quand je suis arrivé sur place, il ne restait plus que deux jeunes femmes. Il y avait une blonde et une brune, toutes deux des WAAF (Auxiliaires féminins de l’armée de l’air) et elles s’étaient réfugiées sur l’estrade derrière l’orchestre. Et heureusement pour moi, alors que j’entrais par la porte de derrière, les fauteurs de trouble sont sortis par la porte de devant, alors tout ce qui me restait à faire c’était d’escorter les deux jeunes femmes à l’extérieur et les renvoyer à leur base sur leurs vélos. Elles étaient opératrices à la grande station radar anglaise qui se trouvait dans le coin. Bon, je pensais en avoir terminé avec ça, mais deux jours plus tard environ, alors que je sortais d’un emplacement de canons, il fallait que je passe par Halesworth une petite bourgade dans la campagne. À quelques kilomètres de Halesworth, qui était sur le bord de la route en train de faire de l’auto-stop, la fameuse blonde. Alors je l’ai amenée à Halesworth et juste avant qu’on arrive là-bas ; elle a dit, pour la soirée du Nouvel An il y a un bal costumé à la base, voulez-vous venir ? Alors pour la soirée du Nouvel An, j’ai retourné mes galons dans l’autre sens et j’ai essayé de me faire passer pour un américain ; et je me suis pointé au bal pour trouver la blonde vêtue d’un long déshabillé à fleurs en soie noire. Elle tenait à la main un long fume-cigarette avec dedans une cigarette qui n’était pas allumée et dans son dos il y avait une note épinglée sur laquelle on pouvait lire : pas avant le petit-déjeuner s’il vous plait. Et voilà, c’est comme ça que j’ai rencontré ma femme.